Le Chabbat précédant Pourim est appelé «
Chabbat Zakhor » parce qu’on y effectue la lecture de l’une des « Quatre
sections » - celles lues chaque semaine comme haftara pendant cette période –
dont le thème est de nous rappeler les méfaits d’Amalek contre nos ancêtres. Or,
selon de nombreux avis, il apparaît que la mention de ce passage constitue
l’unique lecture de la Torah qui soit formellement imposée par ordre
divin…
Le thème générique de la « guerre contre Amalek » comporte
en réalité trois mitsvot distinctes : la première (603e du compte du Séfer
ha’Hinoukh) nous enjoint de nous souvenir à jamais des actions belliqueuses du
peuple d’Amalek à notre encontre, comme l’énonce le verset « Souviens-toi de ce
que t’as fait Amalek lors de votre voyage en sortant d’Égypte », (Dévarim 25,
17). La seconde mitsva (604e) consiste quant à elle à « effacer le souvenir
d’Amalek » (ibid. 19) en lui livrant une guerre sans merci.
Enfin, le troisième
de ces commandements (605e) nous défend de jamais oublier l’hostilité dont fit
preuve ce peuple envers nos ancêtres, peu après leur sortie d’Égypte
(ibid.).
Or de prime abord, il semblerait que la première et la
dernière de ces mitsvot fassent redondance : en effet, si nous avons le devoir
de « nous souvenir » de ces événements, il semble donc fort improbable que nous
en venions à les oublier…
C’est en réponse à ce problème que nos Sages comment
tèrent ces versets de la manière suivante dans le Sifra (début de Bé’houkotaï) :
« ‘Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek’ – serait-il ici question d’un souvenir dans le coeur ? Il est pourtant déjà dit par ailleurs : ‘N’oublie pas’, d’où l’oubli du coeur ! Alors que devons nous entendre par ce ‘souvenir’ ? De le mentionner verbalement ! ».
Autrement dit, la répétition du commandement induit un second devoir : celui de formuler verbalement les agressions de l’Amalécite à notre encontre, ainsi que notre devoir d’éradiquer son souvenir de la surface de la terre.
« ‘Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek’ – serait-il ici question d’un souvenir dans le coeur ? Il est pourtant déjà dit par ailleurs : ‘N’oublie pas’, d’où l’oubli du coeur ! Alors que devons nous entendre par ce ‘souvenir’ ? De le mentionner verbalement ! ».
Autrement dit, la répétition du commandement induit un second devoir : celui de formuler verbalement les agressions de l’Amalécite à notre encontre, ainsi que notre devoir d’éradiquer son souvenir de la surface de la terre.
C’est sur la base de ce texte que de nombreux
décisionnaires, et non des moindres, furent amenés à trancher que contrairement
à toutes les « lectures de la Torah » ayant été instituées par Moché puis par
Ezra, celle de ces versets décrivant l’épisode d’Amalek relève d’un devoir
formel imposé par la Torah elle-même !
Telle est la décision des Tossefot (Traité talmudique
Bérakhot, page 13/a), du Roch (Bérakhot chapitre 7, paragraphe 20) et de
plusieurs autres.
A un point tel que rabbi Israël Issarline, l’auteur du «
Téroumat haDéchen » reconnu comme l’une des références de base en matière de
Halakha (XVe siècle de l’ère commune) en conclut qu’il convient d’attacher plus
d’import tance au fait d’effectuer cette lecture des rouleaux de la Torah en
présence d’un quorum de dix hommes – impératifs pour toute lecture de ce genre –
que pour celle de la Méguila, dont la lecture est possible, selon de nombreux
avis, au plan individuel !
(Telle est également la conclusion du Michna Beroura 685,
alinéa 16, et ce, contrairement au Maguen Avraham qui considère que si le choix
devait être donné, il serait préférable de rassembler un minyan pour la lecture
de la Méguila puisqu’elle est elle-même précédée d’une lecture dans la Torah
d’un autre passage évoquant aussi la guerre contre Amalek).
Mais en quoi cette « évocation verbale » signifie-t-elle
nécessairement une lecture des rouleaux d’un Séfer Torah ?
C’est un passage du Talmud relevé par le Ba’h (sur le Tour,
chapitre 685) qui en rend compte de manière quassiment explicite : « D’où
savons-nous que cette commémoration [de la fête de Pourim évoquée dans la
Méguila] signifie une lecture [dans un parchemin] ?
Peut-être s’agirait-il d’une
simple méditation ! C’est impossible, car il est dit [concernant Amalek] :
‘Souviens-toi’ – or, il est pourtant déjà dit ‘n’oublie pas’. (…) Alors que
signifie ce ‘souvenir’ ? Une évocation verbale ! ».
Dans ces derniers mots, le
Talmud fait manifestement référence au Midrach du Sifra cité plus haut, et c’est
précisément à partir de ce texte que l’on déduit que la « commmémoration » à
laquelle nous engage la Méguila - à l’instar de celle de l’épisode d’Amalek -
s’effectue par une lecture dans un parchemin.
A quelle fréquence cette lecture doit-elle être effectuée ? La réponse à cette question ouvre en fait de nombreuses perspectives !
A quelle fréquence cette lecture doit-elle être effectuée ? La réponse à cette question ouvre en fait de nombreuses perspectives !
Le Séfer
ha’Hinoukh révèle dans un premier temps que l’on ne saurait assimiler ce
souvenir aux autres obligations semblables évoquées dans la Torah, telle celle
de la Sortie d’Égypte que nous sommes tenus de nous remémorer quotidiennement,
matin et soir.
En effet, dans la mesure où cette dernière constitue l’un des
principes fondamentaux de notre foi, c’est donc à cet égard qu’elle mérite
d’être rappelée si souvent.
En revanche, le souvenir d’Amalek ne consiste qu’à «
ne pas effacer de notre coeur la haine que ce peuple nous voue » ; or pour
résister à l’oubli, précise cet auteur, une lecture effectuée tous les ans, tous
les deux ans, voire même tous les trois ans pourrait s’avérer suffisante.
Le raisonnement avancé par le Séfer ha’Hinoukh semble même suggérer que dans l’absolu, une seule évocation pendant toute la durée d’une vie pourrait s’avérer suffisante pour perpétrer ce souvenir (conclusion du Min’hat ‘Hinoukh sur place).
Le raisonnement avancé par le Séfer ha’Hinoukh semble même suggérer que dans l’absolu, une seule évocation pendant toute la durée d’une vie pourrait s’avérer suffisante pour perpétrer ce souvenir (conclusion du Min’hat ‘Hinoukh sur place).
A l’extrême opposé, le Rambam (Assé 189) semble pour sa part considérer
que l’on ne peut observer cette mitsva qu’en ravivant quotidiennement dans notre
esprit le souvenir d’Amalek, au point de « mentionner le mal commis par lui à
chaque instant » !
C’est sous ce jour que le Min’hat ‘Hinoukh, le très célèbre
commentateur du Séfer ha’Hinoukh, conçoit l’avis de Maïmonide qui fait
manifestement de ce commandement l’une des mitsvot continuelles que nous sommes
tenus d’observer à chaque instant de notre vie, à l’instar de la foi en
D.ieu.
C’est sur la base de cette opinion qu’apparaissent
également, parmi les « dix évocations » figurant à la fin de notre prière du
matin (fixées notamment par le rav Yaacov Emdin dans son « Siddour Yaavvets » et
par le ‘Hida), les versets relatant l’épisode d’Amalek afin que ce souvenir nous
accompagne quotidiennement, conformément à l’avis de Maïmonide.
Or, il se pourrait que ces deux positions contraires sur la
fréquence à laquelle il convient de réaliser cette lecture, reflètent en réalité
deux conceptions opposées de ce devoir.
Lorsqu’il décrit les principes de cette
mitsva du souvenir, le Séfer ha’Hinoukh laisse clairement entendre que c’est
l’attitude belliqueuse d’Amalek que nous devons garder en mémoire : « Ce devoir
implique que nous nous souvenions de ce que fit Amalek contre les Enfants
d’Israël, lorsqu’il fut le premier à les agresser à leur Sortie d’Égypte avant
que tout autre peuple ou nation ne porte sa main sur eux ».
Par conséquent, dans
la mesure où c’est le souvenir d’un événement particulier que nous devons nous
remémorer, il s’avère suffisant de l’évoquer de temps à autre, sans
nécessairement en faire un leitmotiv quotidien.
En revanche selon le Rambam, il s’avère que le souvenir
porte essentiellement sur un autre point : « Que nous évoquions [ce mal] à
chaque instant afin d’éveiller nos âmes au combat contre cette nation ».
Ainsi,
outre le souvenir des agissements d’Amalek, nous devons aussi garder nettement
dans notre esprit ce devoir nous engageant à éradiquer ce peuple.
Par conséquent, dans la mesure où c’est notre engagement
personnel dans cette guerre qui est désigné par cette mitsva du « souvenir », il
convient donc de l’évoquer et de le remémorer continuellement.
Néanmoins, ce ne
sont pas ces deux points de vue qui furent communément retenus dans la Halakha
mais un troisième, que l’on retrouve dans les termes des Tossefot et du Roch
mentionnés plus haut : il consiste à considérer la lecture annuelle de la
section de Zakhor - réalisée avant Pourim - comme étant l’accomplissement du
devoir de se souvenir des méfaits d’Amalek.
Selon le ‘Hatam Sofer (Responsa Even haÉzer, Tome I,
chapitre 119), cette fréquence annuelle s’explique par le fait que l’on retrouve
à travers différents thèmes halakhiques que la notion de l’« oubli » survient
précisément après une période d’un an…
Or, s’il venait à s’écouler une année
entière sans que l’on n’ait procédé à la lecture de ce passage - avec
l’intention manifeste de se rendre quitte de ce devoir comme le prescrit la
Halakha –, surviendrait alors le risque que l’on en vienne à enfreindre la
troisième de ces mitsvvot : celle de « ne jamais oublier » la haine que voue
Amalek envers notre peuple !
Enfin, comme l’explique le Maguen Avraham (Ora’h ‘Haïm 685),
c’est pour cette même raison que les Sages instaurèrent une lecture annuelle à
l’occasion de ce qu’il convient désormais d’appeler « Chabbat Zakhor » - au
seuil de la fête de Pourim - afin de juxtaposer cette mitsva à la fête qui
évoque le mieux cette dualité séculaire, et dont le dénouement marquera le jour
où « le Nom de D.ieu et le Trône céleste reprendront leur entière dimension »,
(Rachi, Chémot, 17, 16).
Par Yonathan Bendennoune
Source Chiourim