Ils ont été abîmés par la neige, cachés dans les caves d’un ghetto, jetés d’un convoi ou ont permis de sauver pour quelques belles notes la vie de leurs propriétaires : 30 violons «rescapés» de la Shoah ont repris vie le temps d’une série de concerts en Israël......
Au moment de placer sous son menton le violon, brillant de laque sous les projecteurs de l’auditorium bondé de Tel-Aviv en 2016, le soliste Guy Braunstein a la main qui tremble.
L’instrument qu’il tient était celui d’un violoniste de l’orchestre d’Auschwitz. Son propriétaire a été forcé de jouer des jours durant pour accompagner les marches vers le travail forcé, souvent antichambre de la mort pour les déportés les plus affaiblis.
Dans l’auditorium pétrifié et silencieux, accompagné des musiciens de l’orchestre de chambre de Jérusalem, en quelques mouvements d’archet et sur un adagietto de Gustav Mahler, la complainte du «violon d’Auschwitz» met une partie du public en larmes.
«J’ai joué des milliers de concerts, mais jamais je n’ai eu l’émotion et le tremblement que j’ai eus en prenant en main ce violon d’Auschwitz, son odeur était différente, j’avais comme l’impression en jouant qu’on m’enfonçait un pieu dans le cœur, car je connaissais son histoire», explique en coulisses Guy Braunstein.
Il a fait carrière à l’orchestre Philharmonique de Berlin et participe pour la deuxième fois à ces concerts baptisés «Violons de l’espoir» et dont l’un a également eu lieu durant ce mois en Galilée dans le Nord d’Israël.
«Pleurs, rires et prières»
«Le violon (d’Auschwitz) a joué devant des piles de corps humains. Ce qu’il a vu peut rendre fou», dit le luthier Amnon Weinstein, à l’initiative des concerts déjà organisés en Allemagne, aux États-Unis et en Turquie.
L’Israélien de 76 ans, lui-même issu d’une famille de juifs lituaniens ayant échappé à la Shoah, a passé plus de 20 ans dans son atelier souterrain de Tel-Aviv, dans l’odeur de vernis et de laque, à restaurer les violons souvent récupérés dans un état déplorable.
«Ma mission c’est de mettre la main sur tout violon rescapé de la Shoah, de l’acquérir, de le réparer et d’en faire un violon capable d’être joué pour un concert. Je veux que ces violons soient joués, qu’ils fassent entendre ce qu’ils ont à dire», dit M. Weinstein.
«Car de ces violons sort un son très particulier, s’échappent des voix, des pleurs, des rires et des prières», assure-t-il.
Sa collection compte aujourd’hui 60 pièces, des violons et des violoncelles. Chacun témoin et mémoire d’une histoire, souvent tragique, d’un Juif en Europe pendant la Shoah. La plupart ont été fabriqués dans des ateliers en Allemagne ou en Tchécoslovaquie et portent une étoile de David ou un nom inscrit à l’intérieur.
Amnon Weinstein passe des heures, devant son ordinateur, seule touche de modernité dans son atelier étriqué. Il fait des recherches sur Internet et anime un cercle de sympathisants qui n’hésitent pas à le solliciter quand ils ont entre les mains un «violon avec une histoire qui pourrait (l’)intéresser».
Abandonné en route vers Drancy
Via ce réseau, il a récemment reçu un violon qui avait été abandonné par un déporté en partance pour le camp de Drancy en France. Depuis la fenêtre du train, son propriétaire l’avait confié à un agent français le long des rails en lui disant «là où je vais je ne peux rien en faire».
L’instrument et son histoire ont survécu quelque 70 ans avant d’être remis à Amnon Weinstein. Le violon était l’instrument de prédilection, avec la clarinette, des communautés juives d’Europe centrale et de l’Est, où la tradition musicale Klezmer a prospéré jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale.
Le mémorial de l’Holocauste à Jérusalem, Yad Vashem, qui a travaillé en partenariat avec Amnon Weinstein, possède 15 violons de cette époque, a indiqué Michael Tal, l’un des conservateurs du musée.
«Dans tout témoignage sur la Shoah, il y a une histoire de violon, d’un homme qui se saisit d’un violon et qui, malgré le froid et la faim ou les puces, joue... Et ceux qui l’écoutent sont transportés, ils volent, comme dans une peinture de Chagall», explique le luthier.
«Il n’y a rien d’autre qui puisse restituer leur voix et qui restera après nous», regrette Amnon Weinstein. Il compte sur son fils Avshalom, troisième génération de luthiers, pour continuer sa mission et préserver la mémoire et la musique de ceux qui ont péri.
Source Le Courrier du Vietnam
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