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mercredi 2 février 2022

Des canadiens victimes d'une fraude internationale


Des publicités Facebook proposant de faux investissements en cryptomonnaie prennent pour cible les Canadiens. L'industrie de plus de 10 milliards de dollars derrière ce stratagème lessive des victimes sur presque tous les continents. Les drames humains se comptent par milliers, révèle une enquête de La facture et des Décrypteurs.......Détails.......


Fernand Larouche pensait faire fortune en investissant dans les cryptomonnaies. Et il n’est pas le seul.
Fernand Larouche a plutôt perdu les économies de toute une vie, soit environ un million de dollars. L’argent de ma retraite, je l’ai tout perdu.
Cette triste histoire s’amorce il y a un an. Fernand Larouche, psychothérapeute et auteur, alors nouvellement retraité, commence à s’intéresser aux cryptomonnaies.
C’est une curiosité que j’avais pour les cryptomonnaies. C’était dans l’air. Ça me fascinait. Comme plusieurs, Fernand Larouche est inspiré par l’homme d’affaires et milliardaire Elon Musk, fervent défenseur des cryptomonnaies comme remplacement viable à l'argent liquide.
Fernand Larouche a été victime d'une fraude. Son prétendu conseiller financier communiquait avec lui par courriel et par téléphone sur une base régulière.
Intrigué, le septuagénaire fait des recherches sur le web. Peu après, il voit des publicités sur le sujet apparaître sur son fil Facebook. De fil en aiguille, il clique sur un lien. 
Il se rappelle vaguement d’y avoir vraisemblablement laissé ses coordonnées. Peu de temps après, il reçoit des appels de conseillers financiers. L’un d’entre eux lui inspire confiance. Un dénommé David Silverman, qui dit être en Suisse et travailler pour une entreprise nommée 24xforex.
« Il était extrêmement respectueux, très très très poli, très poli, très professionnel. »
David Silverman propose d’abord à Fernand Larouche d’investir 250 $ en cryptomonnaie. Pour ce faire, il doit d’abord ouvrir un compte sur une plateforme d’échange, convertir ses dollars en cryptomonnaie, puis les transférer à 24xforex pour les faire fructifier. 250 dollars, c'est pas stressant. Je ne me suis pas trop méfié.
Au bout de deux ou trois semaines, le 250 avait plus que doublé, raconte Fernand Larouche. Pour le mettre en confiance, David Silverman l’aide à rapatrier son argent. Puis là, évidemment, il me dit : "Si tu veux faire plus d’argent, il faut investir plus que ça." J’avais quelques centaines de milliers de dollars que je pouvais investir. Puis lui me disait qu’avec ces montants-là, on pouvait aller chercher plusieurs millions.
De juin à août 2021, M. Larouche multiplie les transferts vers 24xforex. Pour l’aider dans ses opérations et lui présenter ses résultats, David Silverman prend le contrôle de son ordinateur à distance et le contacte plusieurs fois par semaine. Sur mon ordi, on voyait chaque transaction. Les résultats continuaient de changer de seconde en seconde. Le portefeuille grandissait, grandissait. C’est presque de l’hypnose. J’avais les yeux sur le portefeuille.

Un investissement qui tourne au cauchemar

Fernand Larouche décide d’encaisser ses placements qui, sur papier, s’étaient multipliés par sept. Il en fait part à David Silverman, qui réagit de manière étonnante. Il me dit : "Aucun problème. Il faut juste régler la question des impôts". En d’autres termes, Fernand Larouche doit verser à 24xforex plusieurs centaines de milliers de dollars, supposément destinés au fisc, avant de pouvoir récupérer ses investissements.
Le septuagénaire réalise alors qu’il s’est fait avoir. Ça m’est arrivé comme une révélation. Il refuse de verser un sou de plus à David Silverman sachant qu’il ne reverra jamais son argent. 
Dans les semaines qui suivent, le site Internet de l’entreprise n’est plus en ligne et les numéros de téléphone de Silverman sont débranchés. 24xforex n’était que de la poudre aux yeux de A à Z. Le réveil est brutal. J’avais investi tout l’argent disponible que j’avais.
Fernand Larouche n’est pas le seul. Cinq autres Canadiens nous ont raconté avoir perdu des sommes faramineuses dans des fraudes semblables, dont deux qui ont été dépouillés de plusieurs centaines de milliers de dollars. La plupart des victimes ne voulaient pas témoigner à visage découvert parce qu’elles avaient honte d’avoir perdu autant d’argent sans se douter de rien.
Il s'agit d'un site où on peut voir des graphiques qui montrent l'évolution du prix de cryptomonnaies.
Seulement au cours des dernières semaines, de multiples reportages à propos de victimes ayant tout perdu aux mains de ces arnaqueurs ont été publiés dans les médias canadiens. La plupart de ces victimes ont enregistré des pertes de plus de 100 000 $.
Le nombre d’incidents de fraude liée à la cryptomonnaie a augmenté de 400 % au Canada de 2017 à 2020, selon un communiqué de la GRC(Nouvelle fenêtre). En 2021, les Canadiens ont perdu plus de 70 millions de dollars dans des fraudes d’investissements, d’après le Centre antifraude. L’organisme estime toutefois recevoir des signalements pour seulement 5 % des fraudes perpétrées au pays.
Et ce qui se trame au Canada n’est que la pointe de l’iceberg de ce qui se passe aussi dans d’autres pays.
D’ailleurs, la Federal Trade Commission américaine a publié jeudi dernier un rapport(Nouvelle fenêtre) qui fait état d’une explosion du nombre de fraudes liées aux réseaux sociaux. Les montants perdus dans des fraudes ayant débuté sur les réseaux sociaux ont été 18 fois plus élevés en 2021 qu’en 2017 aux États-Unis, pour un total de 770 millions de dollars américains volés. Les arnaques à l’investissement, comme celle dont a été victime Fernand Larouche, représentent plus du tiers des sommes perdues.

Des fraudes publicisées sur Facebook

Une photo dans une publicité Facebook montre le premier ministre ontarien, Doug Ford, derrière un lutrin, devant une succursale de la Banque Royale.
Le nouveau programme de PCU (Prestation canadienne d’urgence) s’applique à tout le monde, est-il écrit en anglais, en référence au feu programme d’aide offert par le gouvernement canadien pour pallier les effets de la pandémie.
Quand Doug a annoncé le nouveau plan ce matin, c’était une bonne nouvelle. Tous les Canadiens peuvent y participer, dit le message publicitaire.
Cette publicité mène à un faux article du journal The Toronto Star qui explique que le premier ministre vient d’annoncer un nouveau programme d’aide, une PCU 2.0. Le programme en question? Une plateforme automatisée d’investissements en cryptomonnaies.
L’idée est simple : donner au citoyen ordinaire l’occasion de faire de l’argent avec le boom du Bitcoin. Même si on n’a absolument aucune expérience en investissements ou en technologie, peut-on lire.
Peu importe l'endroit où l’on clique dans l’article, on est mené vers une boîte où on nous demande notre nom et notre adresse courriel. Lorsqu’on entre ces informations, on nous demande ensuite notre numéro de téléphone. Toute personne qui entre ces informations recevra rapidement, comme Fernand Larouche, l’appel d’un agent qui cherchera à la convaincre d’investir en cryptomonnaie. 
Le processus de fraude s'enclenche.
Radio-Canada a pu traquer pendant plusieurs mois plus de 300 publicités visant les Canadiens avec cette fraude. Elles sont, dans leur vaste majorité, presque identiques et contiennent soit la photo de Doug Ford, soit celle d’Elon Musk. Toutes proposent des investissements fructueux.
Selon les conditions d’utilisation de Facebook, toute publicité concernant un enjeu social ou politique doit être étiquetée comme telle et respecter plusieurs règles spécifiques. Pour diffuser une telle publicité, l’annonceur doit par exemple prouver qu’il habite le pays en question et qu’il a légalement le droit de le faire.
Parmi plus de 200 publicités frauduleuses que nous avons identifiées contenant la photo de Doug Ford, seulement 17 ont été étiquetées comme étant de nature politique. 
Certaines ont été achetées avec des devises étrangères, telles que des euros, des bahts thaïlandais, des livres égyptiennes ou encore des ringgits malaisiens, ce qui va également à l’encontre des règlements de Facebook.
Ces 17 publicités disposent d’un budget total d’environ 12 000 $ CA, et ont pu atteindre entre 500 000 et 600 000 Canadiens, selon les données publiques de la Bibliothèque publicitaire de Facebook.
Il ne s’agit toutefois que d'une infime fraction des centaines de publicités répertoriées par Radio-Canada.
Le bureau du premier ministre Doug Ford s’est dit préoccupé par ces publicités. Nous sommes au courant de ces publicités frauduleuses et nous les avons signalées maintes fois à Facebook. 
Il est extrêmement troublant que le nom et la photo du premier ministre soient utilisés pour frauder d’innocentes victimes et nous nous attendons à ce que Facebook entreprenne toutes les actions nécessaires pour mettre fin à ces activités illégales, a fait savoir à Radio-Canada Ivana Yelich, la directrice des relations médiatiques du cabinet de Doug Ford.
D’ailleurs, selon les politiques de Facebook, les publicités ne doivent pas faire la promotion de produits, de services, de stratagèmes ou d’offres associés à des pratiques trompeuses ou malhonnêtes, y compris pour escroquer des gens ou leur subtiliser de l’argent ou des renseignements. 
Elles ne peuvent pas non plus promouvoir les échanges de cryptomonnaie ou des produits et services connexes sans autorisation écrite préalable.

Sitôt retirées, les publicités réapparaissent

Certaines publicités frauduleuses ont été supprimées par Facebook pour avoir contrevenu aux règles du site. D’autres, contenant une photo et un texte identiques à ceux qui ont été supprimés, ont circulé allègrement sur la plateforme pendant des mois.
Quelques jours après que Radio-Canada eut contacté Facebook à ce sujet, la vaste majorité des publicités contenant la photo de Doug Ford avaient disparu de la plateforme. Deux jours plus tard, deux nouvelles publicités frauduleuses – identiques à celles qu’avait signalées Radio-Canada – ont été mises en ligne sur Facebook.
Radio-Canada a fait parvenir à Meta, l’entreprise qui détient Facebook, une liste des 317 publicités frauduleuses que nous avons identifiées, ainsi qu’une description détaillée du rôle des publicités Facebook dans le présent reportage.
Le réseau social a refusé de nous accorder une entrevue. Il a plutôt fait parvenir par courriel une déclaration quasi identique à celle qu’il nous avait acheminée en réponse à des questions au sujet d’un autre article sur des publicités frauduleuses publié trois semaines plus tôt.
Nous n'autorisons pas les publicités qui induisent les gens en erreur en utilisant des photos de personnalités publiques, a déclaré Alex Kucharski, le directeur des communications canadiennes de Meta. 
Nous avons consacré des ressources importantes à la lutte contre ce type de publicités en améliorant les systèmes automatisés qui suppriment les publicités avant que les gens les voient, et nous investissons dans de nouveaux outils pour les rendre plus efficaces.
L’entreprise affirme également encourager ses utilisateurs à signaler toute publicité qui enfreint ses règles afin d'améliorer ses systèmes de détection automatisée.
Meta assure que la majorité des publicités frauduleuses que nous avons signalées ont été retirées dans les 24 heures suivant leur mise en ligne. Toutefois, le 28 janvier, nous avons pu constater que deux publicités qui avaient été mises en ligne le 12 et le 13 janvier étaient toujours en ligne.
Pourtant, Facebook est au courant du problème depuis des années. Des articles sur ce stratagème ont été publiés en 2018(Nouvelle fenêtre) et en 2020(Nouvelle fenêtre).
Derrière ces publicités frauduleuses se cachent des acteurs sophistiqués dont le travail consiste à trouver des victimes pour les fraudeurs. Et pour eux, ce travail est extrêmement payant.
Pour appâter de potentielles victimes vers les plateformes d’investissement frauduleuses, des sous-traitants mettent en ligne des publicités trompeuses sur les réseaux sociaux. Ils sont ensuite payés un montant fixe chaque fois qu’une victime s’inscrit et effectue un dépôt de 250 $.
Cette pratique, qui peut également être utilisée à des fins tout à fait légitimes pour promouvoir des produits ou des services, est connue sous le nom de marketing d’affiliation.
Radio-Canada a pu constater que certaines plateformes d’investissement frauduleuses offrent jusqu’à 1000 $ de prime aux sous-traitants chaque fois qu’une victime effectue un dépôt d’au moins 250 $.

Les malveillants derrière les publicités

L’appât du gain pousse des acteurs malveillants à se spécialiser dans ce type de publicité frauduleuse. C’est le cas d’un vaste réseau chinois bien connu pour être l'un des acteurs malveillants les plus importants du web, surnommé eGobbler par des chercheurs.
Parmi les 300 publicités frauduleuses identifiées par Radio-Canada, plus de la moitié contiennent des liens vers des sites enregistrés en Chine ou par des personnes habitant dans ce pays. La majorité de ces sites chinois contiennent dans leur code HTML des éléments les liant à eGobbler, dont les activités sont surveillées depuis plusieurs années par Confiant, une entreprise en cybersécurité qui traque des publicités sur le web.
Ce groupe, qu'on a identifié un peu en 2017, est spécialisé dans l'abus des plateformes publicitaires, explique le cofondateur de Confiant, Jerome Dangu. Ils sont capables de générer du trafic qui envoie les victimes sur des pages malicieuses à une échelle énorme. On a vu des pics. On a pu mesurer des millions de publicités en quelques heures qui étaient diffusées sur notamment des sites de médias.
Selon lui, eGobbler se retrouve facilement dans le top trois des plus importants groupes qui font de la publicité frauduleuse sur le web. Il n’est pas possible pour le moment de savoir qui exactement se cache derrière cette entité chinoise.
En 2021, Confiant a perdu la trace du groupe, qui œuvrait jusque-là dans des publicités plus traditionnelles placées sur des blogues ou des médias indépendants. 
Après que Radio-Canada eut fait part à l’équipe des résultats de nos recherches associant des publicités Facebook à eGobbler, M. Dangu et ses collègues ont pu constater que le groupe malveillant menait désormais l’entièreté de ses activités frauduleuses sur la plateforme californienne.
Jerome Dangu explique qu’il est avantageux pour eGobbler de se tourner vers Facebook. Anciennement, le groupe avait besoin de créer des sociétés-écrans pour se donner un air de légitimité et ainsi pouvoir faire affaire avec les réseaux majeurs de publicité en ligne. Sur Facebook, il a simplement besoin d’un faux compte et d’une carte de crédit.
La création d'un compte Facebook, c'est relativement simple, et quand on est capable d'en générer des milliers, c'est autant d'opportunités d'exécuter une fraude, de se faire attraper et d'en faire une autre et de continuer tous les jours et de maintenir une présence comme ça, illustre M. Dangu.
eGobbler utilise toutes sortes de techniques pour contourner les systèmes de détection de Facebook. 
Certaines, comme le cloaking (en français : masquage ou dissimulation), sont extrêmement sophistiquées. Grâce à cette technique, le lien contenu dans la publicité Facebook frauduleuse montre l’arnaque seulement aux potentielles victimes. Si une autre personne, comme un modérateur de Facebook, clique sur ce même lien, c’est plutôt un site web banal qui s’affiche.
Dans un billet de blogue publié en août 2017(Nouvelle fenêtre), Facebook affirmait pourtant être au courant des techniques de cloaking et disait vouloir sévir contre elles.
Mais des groupes malveillants comme eGobbler ne sont pas derrière la fraude elle-même. Leur rôle est d’appâter des victimes, puis de les diriger vers les véritables arnaqueurs.
Pour mieux comprendre qui dépouille, dévalise et siphonne l’argent de personnes comme Fernand Larouche, il faut se tourner vers Israël.

Fraudeurs sans frontières

Simona Weinglass est journaliste d’enquête au Times of Israel. En 2016, elle a publié The Wolves of Tel Aviv(Nouvelle fenêtre) (Les loups de Tel-Aviv), une série d’articles fracassants qui ont levé le voile sur l’industrie des centres d’appels frauduleux dans ce pays.
Depuis, elle constate que le problème ne fait qu’empirer.
Un des problèmes de ces centres d’appels frauduleux, c’est que plusieurs gouvernements colligent des statistiques [sur les montants associés à ces fraudes], mais c’est difficile de savoir combien d’argent ils génèrent à l’échelle internationale, estime Mme Weinglass. Elle ajoute que les autorités allemandes évaluent les pertes dans ce pays à plusieurs centaines de millions d'euros par année.
Quand on sait que ces arnaqueurs font des victimes dans presque tous les pays, les sommes volées grimpent facilement dans les milliards de dollars par année, laisse-t-elle tomber.
À l’époque où elle a commencé à enquêter sur le phénomène, les centres d’appels frauduleux, pour la plupart situés en Israël, flouaient leurs victimes avec des investissements extrêmement risqués appelés options binaires. Il s’agissait en vérité d’une sorte de casino en ligne. Mais au final, le casino gagne toujours, illustre Mme Weinglass.
Les victimes de ces arnaques ont été nombreuses. En 2018, le réseau canadien CTV diffusait The Biggest Scam on Earth, (La plus grosse arnaque du monde), un documentaire à propos d’un Canadien qui a tout perdu après avoir été appâté par un centre d’appel israélien proposant des options binaires. Après avoir réalisé qu'il s'était fait frauder, l’homme s’est tragiquement enlevé la vie.
En réponse au nombre grandissant de plaintes, le Parlement israélien a banni en 2017 les options binaires, tout comme le Canada.
Toutefois, les fraudeurs n’ont pas cessé leurs activités. Plusieurs des mêmes personnes qui œuvraient dans l’industrie des options binaires se sont tout simplement tournées vers la crypto ou le forex (le marché d’échange de devises internationales) et ont déménagé leurs centres d’appel en Europe de l’Est. C’est ce qui nous a menés à la situation actuelle, juge Mme Weinglass.
Mme Weinglass soutient qu’une poignée d’entreprises israéliennes ont mis sur pied des plateformes clés en main permettant d’exporter cette fraude à la cryptomonnaie. 
Moyennant un certain pourcentage des revenus, ces entreprises offrent toute une gamme de services aux fraudeurs : création de site, gestion de centre d’appel, formation des agents, mise sur pied de sociétés-écrans pour blanchir les profits.
C’est en quelque sorte le reflet de ce qui se passe dans le secteur légitime de la haute technologie. 
L’économie de la technologie bouleverse tellement d’industries de façon tellement rapide qu’on parle de disruption (perturbation). Quand le même processus s’opère dans l’économie illégale, c’est potentiellement beaucoup plus dangereux et beaucoup plus déstabilisant que quand ça arrive dans l’économie légitime.
Depuis, les centres d’appels utilisant ces plateformes pullulent un peu partout dans le monde. 
Les descentes policières, pêle-mêle, permettent parfois de faire fermer l’un ou l’autre centre d’appel, mais il y en a des centaines, assure Simona Weinglass.

De nombreux obstacles pour tenter de récupérer son argent

Si les autorités canadiennes disent être au courant des fraudes de cette nature, elles concèdent avoir peu d’emprise sur celle-ci et être à court de moyens pour aider les victimes à récupérer les sommes qui ont été perdues.
Dans la grande majorité des cas, les gens ne revoient jamais leur argent, se désole Christian Desjardins, directeur de l’évaluation et du renseignement à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Il est assez rare que l’on arrive à connaître la vraie identité des gens ou des groupes qui sont derrière ce type de fraude.
Selon M. Desjardins, c’est la composante internationale de cette fraude qui complique l’action des autorités, qui doivent collaborer avec leurs homologues à travers le monde pour aller au fond de leurs enquêtes.
Ce sont généralement des sites qui sont constitués dans des pays qui n’ont pas une grande transparence des marchés financiers. Les fraudeurs se camouflent derrière de fausses identités, des sociétés-écrans et beaucoup d'intermédiaires. Puis, quand ils réussissent à aller chercher des montants importants, généralement, ils vont disparaître, se désole M. Desjardins. Au fil des enquêtes, on finit par malheureusement perdre la trace.
Les ordonnances qui sont rendues par un tribunal québécois ont des limites à l'intérieur du territoire québécois et n'ont aucune portée extrajuridictionnelle, précise le directeur général du contrôle des marchés à l’AMF, Jean-François Fortin. Elles n’ont pas de portée à l'extérieur du Québec, donc, dans ce contexte-là, aller récupérer de l'argent, c'est très difficile.
Ces obstacles judiciaires n’ont pas empêché des pays comme l’Allemagne et les États-Unis d’ordonner l’an dernier plus d’une dizaine de perquisitions dans des pays comme Israël, Chypre et la Bulgarie pour arrêter des propriétaires et opérateurs de plateformes permettant d’exploiter ces fraudes à la cryptomonnaie, rapportait Simona Weinglass dans un article publié l’an dernier.
À l'exception de l’Allemagne et des États-Unis, je pense que la plupart des forces de l'ordre dans le monde ne font presque rien pour empêcher les arnaques, croit la journaliste israélienne. Je pense que les arnaques ne sont pas prises au sérieux.
Pour Simona Weinglass, le Canada ne fait pas peur aux arnaqueurs, et ça peut en partie expliquer pourquoi ces derniers ont décidé de cibler des Canadiens. Les autorités canadiennes n’ont pas assez sévi contre ces arnaqueurs. Ils savent qu’il y a peu ou pas de chance qu’ils vont se faire épingler, et que s’ils se font arrêter, ils n’auront qu’une petite tape sur les doigts, juge-t-elle.
La Sûreté du Québec (SQ) a refusé notre demande d’entrevue. De son côté, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) nous a renvoyés au Centre antifraude du Canada, qui recueille l'ensemble des données disponibles sur la fraude au pays.

Deux mois pour ouvrir une enquête

La police de Gatineau a officiellement ouvert une enquête sur le cas de Fernand Larouche deux mois après qu’il eut porté plainte. L’enquête a d’ailleurs été ouverte seulement après que Radio-Canada eut contacté le service de police pour connaître l’état de la situation.
Nous avons soumis le cas de Fernand Larouche à Paul Laurier, fondateur de la firme spécialisée en cyberinvestigation Vigiteck, et ex-enquêteur à la SQ.
Paul Laurier a été le premier enquêteur à analyser l’ordinateur de Fernand Larouche, selon celui-ci, qui avait pourtant porté plainte à la police de Gatineau et l’AMF deux mois auparavant.
Une telle situation est inconcevable, selon l’enquêteur privé. C'est une scène de crime. Son ordinateur aurait dû au moins être capturé immédiatement. Plus on attend, plus la preuve se détruit, s’indigne-t-il.
« Pour la personne qui est fraudée, en plus de surmonter l'épreuve, il faut se battre avec le système. »
L’AMF assure que l’enquête suit son cours, mais ne peut pas commenter le dossier de M. Larouche.

Les limites de la prévention et de la sensibilisation

Les recours du public et des autorités relativement à ces fraudes étant selon elle limités, l’AMF dit surtout mettre l’accent sur l'éducation et la prévention pour limiter les dégâts. On sait que c'est le meilleur moyen de prévenir le public, puis d'empêcher à la source que les fraudes se produisent, estime Christian Desjardins.
Le 17 janvier 2022, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), qui regroupent l’ensemble des organismes encadrant les marchés financiers au pays, dont l’AMF, ont lancé une mise en garde contre ces plateformes(Nouvelle fenêtre) frauduleuses d’investissement. L’AMF diffuse aussi depuis l’été des publicités en ligne(Nouvelle fenêtre) avertissant le public des risques associés aux investissements en cryptomonnaie.
L’AMF garde également sur son site web une liste noire(Nouvelle fenêtre) de sites web et de compagnies exerçant des activités à risque élevé potentiellement illégales au Québec. Bon nombre de ceux qui y ont été ajoutés depuis 2020 sont vraisemblablement des plateformes frauduleuses d’investissement en cryptomonnaie.
Selon Simona Weinglass, l’idée de garder à jour des listes noires et d’informer le public n’est pas futile, mais sa portée reste limitée.
C’est efficace parce que plusieurs de ces compagnies mettent beaucoup d’argent dans le marketing de ces sites web. Si l’un d’entre eux devient un site web d’arnaque notoire, ils devront changer le site ou certains de ses aspects, et ça, ça leur coûte de l’argent, analyse-t-elle. Mais pour ce qui est de s’attaquer au fond du problème, ce n’est pas efficace, parce que modifier le site web, c’est somme toute quelque chose d’assez simple.
C’est ce que constate également l’AMF, qui reconnaît qu’elle est engagée dans une lutte sans fin. Souvent, on va faire fermer un site, et le lendemain, ils vont partir un nouveau site sous un autre nom pour faire le même type de sollicitation illégale, témoigne le directeur général du contrôle des marchés à l’AMF, Jean-François Fortin.
Et c’est bien souvent trop peu, trop tard. 24xforex, l’entité qui a escroqué Fernand Larouche, n’est apparue sur la liste noire de l’AMF que le 20 août 2021, deux mois après la mise en garde de sa vis-à-vis de la Nouvelle-Écosse, la Nova Scotia Securities Commission (NSSC).
À cette date, Fernand Larouche avait déjà confié tout son argent à l’entreprise bidon. Éric Jacob, surintendant à l’AMF, reconnaît qu’il ne devrait pas y avoir un tel délai entre les mises en garde, d’autant qu’il y a une coordination à cet effet au pays.

La cryptomonnaie facilite la fraude

Fernand Larouche reconnaît qu’il en savait bien peu au sujet des cryptomonnaies lorsqu’il a fait confiance à 24xforex. C'est sûr que je n'ai pas assez fait de recherches. Et puis je me suis fait avoir.
Les cryptomonnaies, c'est complexe. Si on se met à investir des gros montants d'argent, puis qu'on ne comprend pas la mécanique, on se met à risque d'être une victime de fraude, explique Masarah Paquet-Clouston, professeure à l’Université de Montréal et experte en cybercriminalité.
Dans l’univers des cryptomonnaies, les transactions entre deux parties se font par l’entremise d’adresses anonymes. L’échange est validé par un réseau d’ordinateurs partout dans le monde et inscrit dans un registre public aussi appelé blockchain ou chaîne de blocs.
Ça peut être très facile de se cacher en arrière de ce type de transactions parce que les gens peuvent être n'importe où, explique Louis Roy, président de la firme spécialisée en audit d’actifs numériques Catallaxy, une filiale de Raymond Chabot Grant Thornton.
Louis Roy et ses collègues ont suivi les flux des transferts de Fernand Larouche vers 24xforex. Comme tous les stratagèmes frauduleux dans ce domaine-là, il y a une dissémination de la cryptomonnaie que M. Larouche a envoyée pour rendre la traçabilité plus difficile, explique Louis Roy.
Contrairement aux transactions bancaires, il n’y a pas d’autorité centrale qui supervise les échanges en cryptomonnaie, et donc pas de service à la clientèle non plus. 
Si on envoie de l'argent à une autre personne, puis qu'on se fait frauder, on peut appeler la banque, on peut appeler la carte de crédit. On va annuler la transaction et te ramener l'argent. 
Mais dans le cas des cryptomonnaies et du Bitcoin en particulier, ce n'est pas possible, explique Masarah Paquet-Clouston.
Les transactions en cryptomonnaie passent donc sous le radar des institutions financières – un important avantage pour les fraudeurs.
« Si vous êtes dans un autre pays, puis vous voulez vous mettre à arnaquer des gens au Canada, la meilleure manière de transférer cet argent-là, c'est de passer par les cryptomonnaies parce qu'il n'y a pas de tierce partie qui va gérer votre transaction. »
Jerome Dangu rappelle que, même si les victimes se comptent par milliers, chaque cas de fraude représente un drame humain.
Nous, on voit beaucoup de chiffres, on voit beaucoup de techniques frauduleuses, on voit beaucoup d’arnaques toute la journée, mais on pense toujours au fait que, derrière chaque chiffre, il y a une victime potentielle. On voit des nombres qui sont effrayants en termes d’impacts sur la vie en ligne et sur les gens qui sont visés, dit-il.
Le septuagénaire était à la retraite quand il a été victime de fraude.  
Depuis plusieurs mois, Fernand Larouche a repris du service comme psychothérapeute. Je dois recommencer à travailler pour payer mes comptes. Je m'étonne un peu de ne pas faire de dépression plus que ça. Mais je pense que c'est mes années de méditation qui semblent rapporter. Au moins ça, ça rapporte, laisse-t-il tomber.
Fernand Larouche est conscient qu’il ne reverra probablement jamais son argent. Il espère maintenant que son histoire sera utile et qu'elle fera réfléchir. Ma consolation, c'est d’alerter les gens. Et puis espérer qu'il y a du monde quelque part qui s'aperçoive que le web, c'est plein de pirates, d'escrocs qui peuvent voler comme ils veulent.


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