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mardi 1 février 2022

Esther Safran Foer: sur les traces de ses aïeux


À la suite de son fils Jonathan, Esther Safran Foer part sur les traces de ses aïeux, victimes de la Shoah, dans une émouvante enquête......Détails.......

Il gèle à Washington, mais la maison d'Esther Safran Foer dégage une chaleur particulière. 
C’est peut-être parce que cette écrivaine débutante de 74 ans, cheveux courts argentés, visage rond et yeux clairs comme des billes, évoque ce lieu dans son enquête familiale, « Sachez que nous sommes toujours là ». Sur certaines photos, on reconnaît son fils, l’écrivain Jonathan Safran Foer, auteur du magnifique « Tout est illuminé ». 
« Va en Ukraine sur les traces de mes parents », lui avait conseillé sa mère au début des années 2000, alors qu’il cherchait un sujet pour sa thèse. Plus de quinze ans plus tard, enfin retraitée après une riche carrière dans la communication politique, puis dix années à créer et à gérer un centre communautaire juif dans une vieille synagogue réhabilitée, Esther fit elle-même ce voyage. 
Elle y a retrouvé la famille qui hébergea son père et lui sauva la vie. Elle y a dit le kaddish – la prière des morts – sur le site du charnier où ont été assassinés ses aïeux. Elle y a déposé des photos de sa famille, mari, enfants et petits-enfants, dans la terre où reposent ses grands-parents. 
« Mes grands-mères sont probablement mortes en pensant que personne ne leur survivrait, dit-elle. Et pourtant, nous voilà. Je viens d’un shtetl avec des rues en terre, et j’ai assisté à la fête de Hanoukka de Barack Obama ! »            
Si Esther Safran Foer n’en revient parfois pas d’exister, c’est qu’elle est le fruit de deux miracles. 
Ses deux parents, seuls survivants de leurs familles respectives, se sont rencontrés à la fin de la guerre à Loutsk, un village d’Ukraine orientale, où étaient regroupés les Juifs réfugiés. Ils tombent amoureux, se marient. Esther naît dix mois plus tard. 
En août 1949, la famille émigre aux États-Unis. De la guerre, du massacre, du passé, nul ne veut alors entendre parler. « Les réfugiés sont arrivés en Amérique avec leurs histoires terribles et leurs accents… Ils gênaient les Juifs américains, arrivés avant eux et qui avaient réussi », analyse-t-elle. 
Il faut attendre les années 1980 et la sortie de « Shoah », de Claude Lanzmann, pour que la parole se libère enfin. Son père n’en a pas profité. Il s’est suicidé quand Esther avait 8 ans. 
« Sa mort s’est ajoutée à la liste d’histoires familiales indicibles, destinées à rester enfouies dans le passé », écrit-elle.                                                                  C’est face à ces silences que se dresse aujourd’hui son livre, avec simplicité et pudeur. À son éditeur, qui lui faisait remarquer que son manuscrit comportait peut-être trop de noms pour un lecteur ignorant de son arbre généalogique, elle rétorqua qu’écrire leurs noms marquait leur existence. 
« Je suis la seule à garder leur trace. Je suis moins une écrivaine que quelqu’un qui préserve la mémoire », dit-elle. Alors Esther accumule des documents, des photos (légendées pour que ses petits-enfants sachent qui y figure, quand elle ne sera plus là pour le leur rappeler), des objets… 
Dans le sous-sol de sa maison, les portraits de famille occupent la majorité des murs. Sur sa cheminée, de petits récipients en verre contiennent les traces de sa vie : du sable noir rapporté d’une plage tropicale, des cailloux d’Israël, et des feuilles et un peu de terre, prélevées à des milliers de kilomètres de Washington, sur les lieux où la famille de sa mère a péri. 
Son livre est un caillou de Petite Poucette, déposé pour ne jamais oublier le chemin qui mène à la maison de ses ancêtres.


Source Elle

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