L'Assemblée nationale a voté mardi soir en faveur du projet de loi permettant la restitution de 15 œuvres spoliées à des juifs. Parmi elles, un tableau de Chagall, Le Père, au destin singulier......Détails.......
Les visiteurs du musée d'Art et d'histoire du Judaïsme, à Paris, pouvaient admirer un tableau de Chagall, figurant son père. D'ici quelques mois, le portrait quittera les murs de ce musée national pour être restitué aux descendants d'un certain David Cender.
La trajectoire de l'œuvre, extravagante, est à l'image du destin éclaté, et heureusement plein de rebondissements, des spoliations juives.
Marc Chagall, installé à Paris dans la Ruche, une cité d'artistes, peint ce tableau en 1911; le peintre quitte ensuite la France en 1914, année du début du conflit, ce qui le contraint à rester éloigné de la France, et donc de son atelier, jusqu'en 1922.
Entre-temps, ses toiles disparaissent, probablement volées. Le Père fait partie de ces disparitions.
Sans que l'on ne sache comment, le tableau arrive ensuite en Pologne, et est mis en vente par un marchand d'art de Varsovie, Abe Gutnajer. En 1928, David Cender, musicien et luthier polonais, l'achète.
Mais au printemps 1940, la vie du luthier, qui est juif et réside à Lodz, bascule. Lui et sa famille sont contraints de s'installer dans le ghetto, en abandonnant tous leurs biens – dont le Chagall.
En août 1944, moment où le ghetto est «liquidé», David Cender est encore vivant, contrairement à sa femme et sa fille. Malade, il finit par émigrer en 1958 en France, pays où réside sa sœur.
Une trajectoire rocambolesque
C'est l'époque où la République fédérale Allemande a lancé des procédures d'indemnisation (loi Brug) pour les juifs. Comme bien d'autres de ses coreligionnaires, David Cender va déclarer le vol de plusieurs œuvres d'art, dont le tableau de Chagall, qu'il intitule Vieil homme juif ou Juif ordonnant la prière.
Il décrit l'œuvre de manière très précise, produit des témoignages, dont celui d'un médecin à Lodz et collectionneur, survivant des ghettos de Lodz et de Varsovie, émigré en France après-guerre.
L'instruction prend des années, et David Cender meurt sept ans avant que l'Allemagne admette reconnaître sa propriété ainsi que la spoliation dont il a été victime. On ne sait alors où se trouve le tableau, et il faudra attendre 2020 pour apprendre sa trajectoire pour le moins rocambolesque.
« Après-guerre, Le Père est à nouveau sur le marché et Chagall, qui y est attaché pour des raisons sentimentales, le rachète, sans doute à une date comprise entre 1947 et 1953 » explique David Zivie, à la tête de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945.
«L'artiste n'a évidemment aucune information lui permettant de savoir que le tableau a été spolié ».
Après son décès, les héritiers de Marc Chagall vont donner à l'État français, par le biais d'une dation, 46 peintures, 150 gouaches et 229 dessins.
Le portrait fait partie de cet ensemble fabuleux et est déposé au musée du Judaïsme. Les choses en étaient là, jusqu'à un coup de fil de l'avocat représentant les petit-neveux de David Cender, ses ayant droit, en 2020.
« Nous avons été saisi d'une demande officielle de restitution. Bien que cette affaire soit complexe, le gouvernement a décidé, après nombre de vérifications faites par le ministère de la Culture, d'y répondre favorablement » poursuit David Zivie.
Consulté, le Comité Chagall, qui assure la promotion et la défense de son œuvre, s'est dit en plein accord avec cette restitution, en dépit de la disparition initiale du contenu de l'atelier de l'artiste.
Une loi d'exception
Officiellement, le tableau appartient toujours à l'État français. Il faut donc le faire sortir des collections nationales pour le rendre. Mardi 25 janvier, l'Assemblée nationale a justement voté une loi d'exception, permettant de déroger au sacro-saint principe d'inéliabilité des collections nationales, au nom de la réparation des spoliations juives.
Le texte a été bâti à l'origine pour permettre de faire sortir Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt, acquis par le musée d'Orsay, en 1980, et dont on a découvert qu'il appartenait à une Autrichienne, spoliée avant d'être déportée, onze dessins et une cire conservés au Musée du Louvre, au Musée d'Orsay et au Musée du Château de Compiègne, achetés par le directeur des musées français lors d'une vente à Nice en 1942, mais appartenant à un collectionneur juif, Armand Dorville, ainsi qu'un tableau d'Utrillo conservé au Musée Utrillo-Valadon, «Carrefour à Sannois»).
L'affaire du Chagall, qui est arrivée alors que le projet de loi était déjà rédigé, a fait l'objet d'un amendement gouvernemental, adopté à l'unanimité en commission des affaires culturelles.
Faudra-t-il, un jour, passer par une loi-cadre sur les restitutions juives, permettant à l'État de «déclasser» les collections nationales, autant que de besoin ? Alors que plusieurs autres restitutions sont en cours d'examen, Roselyne Bachelot, pour qui le mot de réparation n'est pas un vain mot, a répondu de manière tranchée à cette question.
Cette fois-ci, «il fallait aller vite, et mettre en œuvre ces restitutions dont certaines – c'est le cas du tableau de Sannois – étaient en attente depuis plusieurs années, mais je suis favorable à l'adoption d'une loi permettant la création d'un dispositif de restitution des œuvres spoliées dans le cadre des persécutions antisémites entre 1933 et 1945» a-t-elle affirmé.
L'enfer réside dans les détails, et cette loi sera compliquée à rédiger, si on ne veut pas créer un mouvement de résistance dans les musées. Mais l'histoire récente a montré que sans volonté politique, les descendants de juifs spoliés se heurtaient souvent contre un mur de refus.
Et à c'est celui-là que Roselyne Bachelot souhaite s'attaquer, pierre par pierre, si les résultats de la prochaine élection présidentielle lui sont favorables.
Source Le Figaro & Koide9enisrael
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