Abou Dhabi devient alors la première capitale du Golfe à nouer des rapports avec l’État hébreu, et la troisième capitale arabe après Le Caire et Amman. Deux semaines plus tard, le premier avion reliant Tel-Aviv à Dubaï s’envole avec sur son flanc le mot « paix » inscrit en arabe et en hébreu.
La mise en scène est totale.
Elle ne cache pas son objectif : mobiliser l’argumentaire de la paix pour poursuivre une stratégie israélienne d’alliance régionale. En face, la décision émiratie d’officialiser la normalisation brise le consensus arabe en place depuis l’Initiative de paix arabe de 2002.
Et ouvre une brèche dans laquelle s’engouffre l’État hébreu qui, avec le soutien américain, mène depuis une cour assidue à plusieurs pays de la région. « La percée d’aujourd’hui deviendra la norme de demain », annonce Benjamin Netanyahu.
Les petits États du Golfe ont besoin de temps
La liste des participants conviés à la table des négociations est connue de tous. Oman, Bahreïn, Qatar : dès la mi-août, les rumeurs quant à une possible normalisation se cristallisent sur les petits États du Golfe qui, à l’inverse des grandes puissances régionales comme l’Arabie saoudite, n’ont pas les mains liées par des « considérations plus complexes, comme une masse démographique de 30 millions d’habitants, une place de leader régional, ou une volonté de faire référence dans le monde musulman », estime Hussein Ibish, chercheur au Arab Gulf States Institute de Washington, contacté par L’Orient-Le Jour. Du 24 au 28 août, la tournée orientale du secrétaire d’État américain Mike Pompeo entend « capitaliser sur l’élan historique visant à faire avancer la paix et la prospérité dans la région », près de deux mois avant les élections présidentielles américaines de novembre. Mais les capitales arabes ne sont pas au rendez-vous.
La tentative de médiation américaine fait choux blanc : aucun État de la région ne suivra la voie ouverte par Abou Dhabi. « M. Pompeo rentre chez lui après un cuisant échec. 3 tentatives, pour 3 rejets », ironise sur Twitter le journaliste américain Jim Lobe.
De tous les pays, c’est peut-être Bahreïn qui déçoit le plus. Le royaume, qui tente de contrer l’influence iranienne sur son territoire depuis des décennies, avait pourtant appelé à plusieurs reprises à une normalisation des relations avec l’État hébreu.
Mais lors de sa rencontre avec Mike Pompeo, le roi Ahmad ben Issa al-Khalifa fait marche arrière en réaffirmant son attachement à la création d’un État palestinien. L’archipel, considéré par certains comme « le prochain État sur la liste », est lié à son parrain saoudien qui « influe sur la décision et le timing d’une possible normalisation », estime Hussein Ibish.
Le sultanat d’Oman, qui avait favorablement accueilli l’annonce de normalisation, avait également laissé entrevoir la possibilité d’une volonté politique de suivre Abou Dhabi.
En visite à Mascate le 27 août, le secrétaire d’État américain rencontre le sultan Haitham ben Tarik al-Saïd afin de « promouvoir la coopération entre les pays membres du Conseil de coopération du Golfe ».
Mais, là encore, les risques de retombées sur la scène intérieure invitent à la prudence. « Oman est extrêmement intéressé, mais également au milieu d’une transition politique délicate qui fait suite au règne prolongé du sultan Qabous », note Hussein Ibish.
Pour Oman comme pour Bahreïn, les ingrédients pour une normalisation sont présents, mais il faudra plus de temps pour que la sauce prenne. « Ils voudront d’abord voir si l’accord avec les Émirats arabes unis fonctionne, ou pas », résume le chercheur.
Le Soudan sans « mandat »
Au-delà des pays du Golfe, les espoirs israélo-américains s’étaient cristallisés sur le Soudan.
Dès février, une rencontre entre le président du Conseil souverain soudanais, Abdel Fattah el-Burhan, et le Premier ministre israélien avait enthousiasmé ce dernier qui ne cachait pas sa joie face à une possible percée diplomatique ouvrant la voie à un nouveau réseau d’alliance en Afrique.
L’événement rompait avec des décennies d’une diplomatie soudanaise traditionnellement propalestinienne et proche de l’Iran : un gage de bonne fois à l’adresse des États-Unis, dans l’espoir que ces derniers sortent le pays de la liste noire des pays soutenant le terrorisme, et débloquent des fonds d’aide.
Les calculs de Washington misaient sur l’état critique de l’économie et une classe politique supposée prête à tout afin de débloquer des financements. Une nouvelle fois, ils ont sous-évalué le coût intérieur d’une telle normalisation. Le 25 août, le Premier ministre du gouvernement soudanais de transition, Abdallah Hamdok, décline les avances du chef de la diplomatie américaine en visite dans son pays, citant une absence « de mandat » pour se prononcer.
« Washington a en réalité largement sous-estimé le potentiel effet déstabilisateur sur la transition politique en cours, encore fragile », estime Cameron Hudson, chercheur associé au Atlantic Council à Washington, pour qui la récente campagne régionale marque simplement « une étape supplémentaire dans la stratégie de pression qui consiste à pousser le Soudan à apporter la preuve qu’il est un État arabe modéré ».
Source L'Orient le Jour
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