Benyamin Nétanyahou n’a pas réussi à rallier Avigdor Lieberman, dont le parti nationaliste avait remporté cinq sièges, et donc à rassembler 61 députés (sur 120) pour former sa future coalition gouvernementale.
Ce dernier exigeait le vote de la loi sur la conscription obligatoire des ultra-orthodoxes.
Sauf que certaines dispositions de la loi devaient encore être aménagées pour satisfaire les partis religieux qui, avec 16 sièges, constituaient un pilier solide de la future coalition de droite.
Bien que fondamentale, cette loi ne peut expliquer à elle seule l’actuelle crise politique en Israël. Ce coup de théâtre est d’abord la conséquence d’un système de représentation proportionnelle quasi intégrale qui donne aux petits partis un pouvoir de blocage exorbitant.
Il est également le résultat d’une attaque personnelle portée contre Benyamin Nétanyahou dont la volonté de s’accrocher au pouvoir l’a lui-même conduit à forcer l’assemblée à peine élue à se dissoudre, plutôt que de laisser le temps au Président Reuven Rivlin de demander à la liste Bleu-Blanc – arrivée en deuxième position avec 35 sièges – de former une autre coalition.
Ces règlements de compte personnels et logiques électoralistes sont autant l’origine que la conséquence de l’extrême personnalisation du pouvoir opérée par le premier ministre israélien ces dix dernières années.
La personnalisation du pouvoir orchestrée par Benyamin Nétanyahu
Pour devenir « King Bibi », Benyamin Nétanyahou n’a pas seulement éliminé toute concurrence au sein du Likoud, il a aussi capté une partie de l’électorat russophone d’Israel Beiteinu et contenté les ambitions expansionnistes des colons.
Il s’est imposé comme incontournable à droite, tout en menant une grande campagne de diabolisation du centre et de la gauche qu’il a accusé de faire le jeu des forces arabes « cherchant à détruire Israël ».
Benyamin Nétanyahou a également sombré dans une forme de gouvernance verrouillée et le culte de la personnalité.
Début 2016, il cumulait pas moins de cinq portefeuilles ministériels en plus de sa fonction de premier ministre. Il s’est farouchement attaqué à la presse d’opposition et s’est octroyé les faveurs du plus grand journal israélien, Israel Hayom, via son financeur Sheldon Adelson.
Cette volonté de contrôle des médias lui vaut d’ailleurs d’être sous la menace imminente d’une procédure d’inculpation dans trois enquêtes pour corruption, dont deux concernent ses rapports avec le quotidien Yediot Aharonot et le site d’information Walla ! qu’il a tenté d’acheter à sa cause.
En cumulant les portefeuilles ministériels des Affaires étrangères (mai 2015 – février 2019) et de la Défense (depuis novembre 2018), Benyamin Nétanyahou s’est aussi imposé comme le seul décisionnaire en matière de diplomatie et de sécurité.
Il s’est posé en interlocuteur privilégié de l’administration Trump en obtenant la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté israélienne sur le Golan et de Jérusalem comme capitale d’Israël.
Il s’est personnellement mis en scène à l’Assemblée générale des Nations unies en brandissant des dessins représentant l’avancée du programme nucléaire iranien.
Il s’est félicité du retrait américain de l’accord international JCPOA et partage avec les faucons de l’administration Trump la volonté de hâter un changement de régime à Téhéran.
Quoique critiqué – à gauche comme à droite – pour sa gestion court-termiste des crises avec Gaza, il a réussi à devancer aux élections la liste Bleu-Blanc qui comptait pas moins de trois anciens chefs d’état-major, dont son ancien ministre de la Défense Moshe Ya’alon. Maniant à la perfection la stratégie du « moi ou le chaos », il a ainsi réussi le coup de force de faire passer ces faucons pour des colombes pro-palestiniennes.
Le temps de la revanche politique
C’est justement cette domination et personnalisation de la vie politique israélienne depuis son élection de 2009 qui l’a empêché, ces dernières semaines, de constituer sa coalition gouvernementale.
Son rival Avigdor Lieberman, qui s’est longtemps rêvé premier ministre, a décidé de lui faire payer sa propre marginalisation dans un dernier sursaut d’orgueil politique.
Benyamin Nétanyahou a manifestement sous-estimé le pouvoir de nuisance de son rival. Certains y voient d’ailleurs le signe de son arrogance, l’empêchant de prévoir le pire et surtout de convaincre d’autres parlementaires de rallier sa coalition.
Les tractations enclenchées trop tard avec certains députés travaillistes n’ont pas suffi.
En l’empêchant de prolonger trop facilement son règne, Avigdor Lieberman l’a surtout privé du vote de deux lois stratégiques : celle qui permettrait à la Knesset d’outre-passer les pouvoirs de contrôle parlementaire exercés par la Haute Cour de Justice et celle conférant au premier ministre une totale immunité judiciaire le temps de son mandat.
Il semblerait que le procureur général soit prêt à décider d’une inculpation juste après les prochaines élections du 17 septembre, ce qui pose la question de sa solidité politique.
Qui acceptera d’entrer dans un gouvernement dirigé par un premier ministre poursuivi pour corruption, fraude et abus de confiance ?
Benyamin Nétanyahou peut parfaitement remobiliser son électorat, remporter les élections de septembre et conserver ses soutiens à l’extrême droite.
Il semble même qu’il soit passé maître dans l’art de sortir renforcé des crises.
Mais tout dépendra de la capacité des partis de centre et de gauche à mobiliser les abstentionnistes (près de 51 % dans la population arabe) et surtout des marchandages politiques.
Les partis arabes envisagent de refaire liste commune et la liste Bleu-Blanc pourrait revenir sur l’idée d’un pouvoir tournant entre Benny Gantz et Yaïr Lapid pour attirer les partis orthodoxes dans leur coalition.
Quid du plan de paix Trump ?
Ce rebondissement politique intervient alors que l’administration américaine promettait de dévoiler son plan de paix au Proche-Orient. En réalité, d’après plusieurs observateurs israéliens ayant participé à des briefings avec l’équipe de Jared Kushner, Jason Greenblatt et David Freedman, ce plan ressemble davantage à une feuille de route aux contours évasifs (sans référence à la solution de deux États) avec l’ultime objectif de favoriser la reconnaissance des colonies israéliennes en Judée Samarie et de précipiter un changement de leadership à la tête de l’Autorité palestinienne.
Le premier volet de cette stratégie prend la forme d’un grand plan d’investissement économique dans les Territoires palestiniens dont les détails sont censés être discutés les 25-26 juin à la conférence « De la paix à la prospérité » organisée par les États-Unis à Bahreïn.
Mahmoud Abbas a déjà prévenu qu’il boycotterait cet événement. Les Bahreïnis se sont eux empressés de préciser qu’ils n’étaient que les hôtes et non les instigateurs de la conférence.
Hormis quelques promesses de dons et d’investissements, servant d’abord à contenter l’allié américain, il est très peu probable que la communauté internationale (en particulier les pays du Golfe et l’Union européenne) s’investisse massivement dans d’ultimes dépenses sans solution politique réaliste et de long terme.
Au-delà de ses faiblesses (voire dangereuses inepties), ce plan américain, qui est entièrement coordonné avec Benyamin Nétanyahou, dépend de la survie politique du premier ministre israélien.
Il dépend aussi de sa capacité – s’il est réélu – à satisfaire les forces pro-colons et d’extrême droite.
Si Benyamin Nétanyahou arrive à surmonter les blocages posés aujourd’hui par Avigdor Lieberman, il devra encore affronter les exigences de ses alliés nationalistes-religieux qui rêvent toujours du « Grand Israël ».
Même si l’administration américaine espère renforcer le premier ministre israélien avec ce plan, il est fort probable qu’il ne conduise jamais à rien.
Source The Conversation
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