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mercredi 26 octobre 2016

Après ses propos sur les "lobbies sionistes", la solution la plus digne pour Jean-Frédéric Poisson passe par son retrait volontaire (M.Habib)







Voici la lettre envoyée par Meir Habib à Anne Levade, présidente de la Haute autorité de la Primaire....







Madame la Présidente,


Député de la huitième circonscription des Français de l'étranger, représentant notamment les 150 000 Français d'Israël, je tenais à exprimer ma consternation et mon trouble suite aux propos tenus par Jean-Frédéric Poisson, candidat à la primaire de la droite et du centre, rapportés par le quotidien Nice-Matin le 19 octobre dernier, en particulier que "la proximité de Mme Clinton avec les superfinanciers de Wall Street et sa soumission aux lobbies sionistes sont dangereuses pour l'Europe et la France".
Jean-Frédéric Poisson a présenté des excuses sans réussir à dissiper le malaise. Son propos, simple et direct, ne prête pas à interprétation.
Il ressuscite d'anciens préjugés antisémites mêlées à des thèses conspirationnistes, associant les Juifs à une internationale de la finance contrôlant les grandes puissances pour servir leurs intérêts propres au détriment des peuples.
La substitution sémantique "sioniste-juif" ne trompe personne : "sioniste" n'est que le paravent un peu plus politiquement correct du mot "juif".
Madame la Présidente, les propos de Monsieur Poisson sont graves et incompatibles avec la morale républicaine. L'Histoire de France, l'Histoire de l'Europe au siècle dernier l'a montré : ces préjugés tuent. Et l'actualité de notre pays aussi, hélas!
C'est l'antisionisme, c'est-à-dire la haine d'Israël, qui a motivé l'effroyable attentat de l'Ecole Ozar HaTorah de Toulouse en 2012, comme la tuerie de l'HyperCasher le 9 janvier 2015.
Ce sont ces préjugés ancestraux sur les Juifs et l'argent qui sont à l'origine du calvaire et de l'assassinat d'Ilan Halimi début 2006. Or, de facto, dénoncer une prétendue menace de "lobbies sionistes" liés aux "superfinanciers de Wall Street" revient à apporter une caution morale et politique à la détestation d'Israël et des Juifs.
C'est pourquoi ces propos ont suscité une émotion considérable non seulement au sein de la communauté juive mais aussi auprès de tous les amis d'Israël et, plus généralement, de nos compatriotes attachés aux valeurs humanistes et républicaines.
Face au silence étonnant, et peut-être gêné, de certains candidats, je ne peux m'empêcher de me demander quelles auraient été les réactions si des paroles analogues avaient été prononcées par Marine Le Pen, présidente du Front national.
Je ne sais pas si Monsieur Poisson, pour qui j'avais jusque-là, sur le plan personnel, estime et sympathie, est antisémite. Mais je constate qu'il reprend la rhétorique d'une droite maurassienne et antirépublicaine en remplaçant "juif" par "sioniste".
Je crois également qu'attaché comme beaucoup d'entre nous, à la cause des Chrétiens d'Orient, il a pris le parti de soutenir dans la guerre contre l'Etat islamique le Boucher de Damas Bachar el-Assad, dont l'objectif ultime et déclaré est de détruire Israël. Ce choix n'est pas seulement une erreur stratégique, c'est aussi une faute morale.
Alors que nous commémorons aujourd'hui le 33e anniversaire de l'attentat du Drakkar à Beyrouth, où 58 de nos parachutistes furent lâchement assassinés par ce même Hezbollah et ses parrains syriens et iraniens, tout républicain peut comprendre qu'il n'est pas concevable de s'associer à des organisations ou des Etats qui professent l'islamisme et pratiquent le terrorisme. Le terrorisme n'est pas la continuation de la politique par d'autres moyens, c'est un crime. De même que l'antisémitisme, ou sa version moderne, l'antisionisme, n'est pas une opinion politique mais un délit.
C'est pourquoi il est inacceptable de reprendre à son compte le chapelet antisioniste. Israël, unique Etat juif – c'est déjà trop pour certains ! - et minuscule îlot de démocratie dans une région livrée aux tyrans et aux djihadistes, n'est en aucun cas une menace pour la France et l'Europe. Bien au contraire, Israël, qui partage nos valeurs, qui est le seul Etat à protéger ses minorités, notamment chrétiennes, à garantir la pleine liberté de culte et la parfaite égalité de tous ses citoyens, est en première ligne depuis des décennies contre cet islam politique qui défie et ensanglante aujourd'hui notre République. Si Israël constitue une menace, c'est une menace pour les despotes et les fanatiques qui rêvent d'abattre nos démocraties.
Aussi, comme certains candidats qui les ont publiquement condamnés, j'estime que les propos de Monsieur Poisson attentent à la dignité des débats de la primaire et heurtent les valeurs républicaines de la droite et du centre. Par-delà la désignation du candidat de notre camp, il faut veiller à ce que la primaire ne porte pas un coup fatal à la droite "de gouvernement". Qu'il le veuille ou pas, en l'état, Jean-Frédéric Poisson a dorénavant vocation à devenir un Cheval de Troie de l'Extrême-droite au sein des "Républicains".
S'il réalise un score significatif, comme cela semble se profiler à l'aune des derniers sondages, on peut se demander quelle interprétation sera faite de ce résultat et comment les candidats au second tour ajusteront leurs discours pour séduire cet électorat.
Il ne fait guère de doutes que le maintien de Monsieur Poisson aboutira à une forte polarisation sur les idées et les thèmes d'extrême-droite, soit à une défaite politique et morale de la droite républicaine. Le Front national, flairant le risque électoral, a d'ailleurs déjà commencé à marquer ses distances.
A mon sens, il ne s'agit pas de sanctionner mais de prendre acte. En tout état de cause, Jean-Frédéric Poisson doit assumer les divergences politiques qui le séparent de ses concurrents et admettre qu'il n'a plus sa place dans la primaire. La solution la plus digne, la plus naturelle, passe ainsi par son retrait volontaire. On ne peut sérieusement envisager que la droite républicaine soit représentée par un candidat véhiculant des préjugés antisémites, reprenant à son compte des thèses conspirationnistes et usant d'un vocable antisioniste.
Est-il concevable, sans ruiner la crédibilité de la primaire, que notre projet soit porté par un homme qui reconnaît se sentir plus proche de Marion Maréchal Le Pen que de Nathalie Kosciusko-Morizet, prévoit un meeting commun avec Robert Ménard et compte parmi ses soutiens affichés Karim Ouchikh, le président du parti d'extrême-droite affilié au Front national "Souveraineté, identité et libertés" ? Je ne le crois pas.
Je vous remercie pour l'attention que vous porterez à ma lettre, que je rends publique, et vous prie d'agréer, Madame la Présidente, l'expression de ma haute considération.


Source HuffingtonPost