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vendredi 18 septembre 2015

La Libération, retour sur images...


Retour d'un prisonnier, à Paris en avril 1945.

Ces photos, en bonne partie inédites, dormaient depuis soixante-dix ans dans les archives de l’AFP, à l’insu de tous. Des images d’agence percutantes et essentielles visant avant tout à informer et qui témoignent des retours des «PDR» - prisonniers, déportés et réfugiés - comme on les appelait alors, dans les premiers mois de 1945...



«Le décalage entre la libération du territoire, la fin de la guerre et un retour qui s’échelonne sur près de quatre mois explique probablement la place marginale que tient le retour des absents dans les travaux des historiens et des mémorialistes», note l’historienne Annette Wieviorka dans la préface de ce livre aussi passionnant qu’inclassable, sur ces revenants qui affluaient à la gare d’Orsay et à l’hôtel Lutetia.




Journaliste à l’AFP, Alain Navarro a retrouvé ces images oubliées. Il raconte cette période, mais il ne s’agit pas d’un livre de photos juste accompagnées d’un texte pour les contextualiser.
Pour chacune des images il a recherché les circonstances de la prise de vue, s’est efforcé d’identifier les personnes représentées, a reconstitué ce que fut leur histoire. Il analyse aussi ce que ces images symbolisaient dans les mentalités de l’époque au moment de leur publication dans les nombreux mais bien maigres - restriction de papier oblige - journaux de l’après guerre. Il s’agit donc d’un livre d’histoires au pluriel, révélatrices de «l’Histoire avec sa grande hache», selon la célèbre formule de Georges Perec.




Dans l’imaginaire collectif de la Libération, les déportés raciaux - 3 500 survivants sur 76 000 juifs déportés de France - étaient au second plan, par rapport aux déportés politiques (40 000 rescapés sur 80 000), héros de la Résistance revendiqués haut et fort par les gaullistes comme par les communistes.
Il y avait aussi un demi-million de travailleurs forcés. Mais les plus nombreux - au moins un million - étaient les prisonniers de guerre capturés en 1940, un adulte sur dix - manne électorale essentielle pour les partis. C’est logiquement dans leurs rangs que le ministre Henri Frenay choisit le «millionième» Français rapatrié destiné à être accueilli en grande pompe et dont la photo et l’histoire ouvrent le livre.




Le casting était parfait : les autorités avaient choisi un certain Jules Garron, représentant de parfum de son état, «grand gaillard blond au regard bleu franc», écrivait l’AFP. L’arrivée au Bourget fut un sans-faute. Mais derrière, sur la photo, on voit un petit homme portant une lourde valise, Albert Rohmer, médecin résistant strasbourgeois déporté.
Il est le «millionième plus un» - mais de lui, nul ne parle. L’important était de satisfaire les prisonniers, puissant lobby avec à sa tête un jeune politicien ambitieux, un certain François Mitterrand.
Vapeur hollandais réquisitionné par les Britanniques, le Indrapoera quitte le port d’Odessa le 8 mars 1945, ramenant vers la France les premiers survivants et survivantes d’Auschwitz. A l’escale de Port-Saïd, puis à Marseille et Paris ils racontent une horreur alors inimaginable, les chambres à gaz de la mort industrielle et de la solution finale.




Sophie Bich, Juive originaire de Russie installée en France depuis 1924, est la première à témoigner. Image bouleversante aussi de deux hommes en costumes rayés dans un fauteuil du Lutetia. A partir d’un bout de nom et de matricule, Alain Navarro réussit à les identifier et reconstituer leur destin. Le plus âgé est un Juif viennois de bonne famille, l’autre un gosse juif polonais. Ils se sont connus dans la marche de la mort évacuant les déportés et ils se sont évadés ensemble.
Certaines images montrent des scènes historiques comme De Gaulle recevant dans une réception les résistantes déportées à Ravensbruck mais sans sa nièce, qui n’est pas encore revenue. Une photo montre Léon Blum arrivant au Bourget après avoir été otage, emprisonné dans une petite maison près du camp de Buchenwald.
Il était là avec sa nouvelle femme, Jeanne Reichenbach, grande bourgeoise, épousée pendant sa détention. Mais, sur la photo, il n’est pas question de la montrer, afin de ne pas troubler les militants. Chacune des nombreuses photos du livre est une histoire qui contient toute l’histoire.


Marc Semo   



Alain Navarro  Le Retour des absents Stock, 240 pp., 24 €. Expo jusqu’à dimanche au Jardin du Luxembourg, 75 006.

Source Liberation