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vendredi 6 mars 2015

Paracha Ki tissa : Le veau d'or, une énigme...

 
 
L’épisode du Veau d’or est rempli de zones d’ombres. Comment envisager que, quelques semaines seulement après le Don de la Torah, les enfants d’Israël aient pu se compromettre dans une idolâtrie aussi grossière ? Les commentateurs s’évertuèrent de résoudre cette énigme...


Le Rachbam (Chémot 32, 4) souligne cette singularité : « ‘Voici tes dieux, ô Israël, qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte’ - ces hommes étaient-ils donc sots, ignorant que cette idole qui venait tout juste d’avoir été façonnée n’avait pas pu les avoir fait sortir d’Égypte ? Or, il est certain que tous les idolâtres savent que notre D.ieu Qui est dans les Cieux a créé le monde… »
L’Ibn Ezra confirme cette vue : « Si le Veau d’or consistait en une idole, pourquoi Aharon craignait-il d’être tué [s’il refusait de se plier à la demande du peuple] ?

Pourtant, de nombreux Juifs se sont eux-mêmes sacrifiés, bien que leur niveau ne s’approchât nullement de la piété d’Aharon et de sa perception de D.ieu ! Ainsi, les amis de Daniel [‘Hanania, Michaël et Azaria] se sont jetés dans une fournaise ardente pour ne pas se prosterner devant l’idole. Alors comment Aharon aurait-il accepté d’en fabriquer une de ses propres mains ? »
Après que l’Ibn Ezra continue de présenter une longue série de questions sur toute cette section, il conclut : « Il apparaît qu’il est impossible qu’Aharon ait consenti à fabriquer une idole, à D.ieu ne plaise. D’ailleurs, Israël non plus n’avait pas voulu servir une idole.

Le peuple croyait simplement que Moché, qui leur avait fait traverser la mer des Joncs, était mort. (…) Car ils constatèrent que la manne avait cessé de tomber et que Moché s’était attardé sur le mont pendant quarante jours ; or, personne ne peut survivre si longtemps sans nourriture (…). Le Veau d’or fut donc fabriqué en l’honneur de D.ieu : c’est pourquoi Aharon accepta de construire un autel devant lui, et annonça qu’on approcherait le lendemain des sacrifices en l’honneur de D.ieu. »
À cela, s’ajoute également ce que nos Sages stipulent concernant cet épisode : « Le peuple hébreu ne méritait pas de faire le Veau d’or, comme il est dit : ‘Si seulement leur crainte à Mon égard pouvait demeurer éternellement’. Alors pourquoi le fabriquèrent-ils tout de même ? Pour t’enseigner que si une collectivité commet une faute, on lui dit : ‘Va donc voir comment le peuple juif se repentit après le Veau d’or… » (Avoda Zara 4/b) Il apparaît donc que même la faute qu’ils commirent n’était pas véritablement de leur fait.

Rachi, dans son commentaire sur ce texte, l’exprime avec une grande éloquence : « C’est-à-dire que ces hommes étaient dotés d’une grande force morale, ils maîtrisaient leur mauvais penchant. À cet égard, ils ne méritaient pas que celui-ci parvienne à les dominer.
Si cela arriva malgré tout, ce fut le résultat d’un décret divin, afin d’offrir à l’avenir un argument aux fauteurs. Si l’un d’eux vient un jour à dire : ‘À quoi bon me repentir, puisque D.ieu ne m’agréera pas !’, on lui répondra : ‘Va donc voir ce qui s’est passé lors de l’épisode du Veau d’or : ces hommes avaient renié D.ieu, et leur repentir a néanmoins été agréé. »
Les hommes fidèles à D.ieu

Lorsque Moché descendit du mont Sinaï, il vit le Veau d’or et brisa les Tables de la Loi. Avant de punir les fauteurs, il clama : « Qui aime D.ieu me suive ! » À cette annonce, toute la tribu de Lévi se joignit à lui.
Dans la transcription araméenne d’Onkelos, ces mots sont traduits ainsi : « Qui craint D.ieu me suive ! » Le Sfat Émet ajoute à ce sujet un commentaire remarquable : « Bien que le peuple juif entier était saint, néanmoins les hommes foncièrement attachés à D.ieu, chez qui la sainteté était vouée uniquement à D.ieu, furent totalement imperméables à la faute. C’est pourquoi la tribu de Lévi rejoignit Moché, comme allusion à l’attachement et à la communion de l’esprit… »
Le Sfat Émet suggère que l’appellation « Lévi » fait allusion au fait que cette tribu « accompagnait » [liva] D.ieu et s’attachait à Lui de tout son être. C’est pourquoi Moché les désigna pour sévir et punir les idolâtres.
Par le mérite de son dévouement, la tribu de Lévi reçut un salaire spirituel éternel. Selon nos Sages, elle fut désignée à ce moment responsable de l’ouverture des portes et préposée aux chants dans le Temple. Loin de se résumer à un service ordinaire, le chant symbolise en effet l’attachement profond, et cette fonction fut offerte à cette tribu par le mérite de sa fidélité lors de l’épisode du Veau d’or.

Seconder l’Éternel parmi les braves

Une question persiste : pour quelle raison le reste du peuple, qui ne s’était pourtant pas prosterné à l’idole, ne répondirent pas à l’appel de Moché ? Le ‘Hidouché HaRim explique que de fait, une grande partie du peuple ne se prosterna pas devant l’idole, comme le prouve le fait que seulement trois mille hommes furent mis à mort.
Mais ces mêmes personnes n’eurent pas non plus le courage de braver les fauteurs. Certaines ne voulurent tout simplement pas se mêler de ce qui ne les regardait pas, d’autres craignirent de susciter des discordes. Seule la tribu de Lévi fit preuve d’une bravoure exemplaire, saisissant les armes pour combattre ceux qui s’étaient rebellés à D.ieu.
Cette réponse nous adresse deux messages pertinents. Premièrement, bien que l’audace et la désinvolture soient généralement considérées comme des qualités déplorables, il convient dans certaines circonstances d’adopter précisément ces conduites ; pour reprendre l’expression des Pirké Avot : « Sois hardi comme la panthère », si c’est pour défendre les valeurs de la Torah.
Selon rav Méïr Shapira de Lublin, cette idée offre une nouvelle lecture du verset : « Il est une place, près de Moi : tu te tiendras sur le rocher, puis quand passera Ma Gloire, Je te cacherai dans la cavité du roc » (Chémot 33, 21-22). Cette réponse que D.ieu donna à Moché lorsqu’il Lui demanda de lui « révéler Sa Gloire », véhicule règle de vie essentielle : « Il est une place près de Moi » – lorsque se présente une situation où l’honneur de D.ieu est en jeu, il convient alors de « se tenir sur le rocher » – on doit faire preuve de bravoure et de rigueur. En revanche, « quand passera Ma Gloire » – lorsque l’honneur divin n’est plus bafoué, il convient alors de « se cacher dans la cavité du roc » – et de faire preuve d’humilité.


Par Yonathan Bendennnoune à partir d’un article du rav Moché Reiss
Source Chiourim