Difficile à l’âge de 9 ans de comprendre que l’on doit fuir et se cacher pour le simple fait d’être né. Inconcevable même. Et pourtant. Et pourtant, il y a 71 ans Yitzchak Mayer, son frère et leur mère, menacés de mort car Juifs, ont dû parcourir des milliers de kilomètres pour atteindre la Suisse. Cette histoire, Yitzchak, aujourd’hui âgé de 80 ans, a décidé de la partager il y a quatre ans dans un livre intitulé “La lettre muette”...
Pour ce faire, il fait parler sa mère Roszy dont il était très proche. « Il est difficile de raconter une histoire du point de vue d’un enfant, ça n’est jamais la réalité. » Pour plus d’authenticité, l’homme décide donc de se mettre à la place de sa mère. C’est ainsi que pendant près de 300 pages, c’est le récit d’une femme éplorée écrivant à son époux raflé à Marseille que l’on lit.
Le courage d’un curé sauve la famille
Pour vivre, Roszy et ses enfants partent pour la Suisse en février 1943. Alors enceinte, accompagnée de ses deux garçons de 9 et 6 ans, cette femme d’origine roumaine souhaite se rendre à Saint-Claude où se trouve sa sœur.
Malheureusement, ils oublient de changer de train et se retrouvent à Annemasse où ils sont interceptés par la police française et amenés au commissariat de police. L’officier de police, résistant, place les deux garçons au château de Livron tenu par des religieuses. La mère est hospitalisée.
La chance sourit à la famille : un curé se faisant appeler Albert Dupont les aide à fuir, les soustrayant ainsi à la déportation. Il les amène dans une auberge du côté de Bellegarde, probablement à Châtillon-en-Michaille. Le fils de l’aubergiste les cache dans sa camionnette et les amène jusqu’à Saint-Claude. Ils y restent quelques jours, avant que le curé ne leur fasse de nouveau signe. Le grand jour du départ pour la Suisse est arrivé. Max Arbez passeur jurassien mène la petite famille jusqu’à la frontière. Pendant quatre pénibles jours ils marchent de nuit dans la neige et dorment de jour dans les étables.
« Mon chéri, jamais je ne pourrai te rapporter ce que nous avons traversé lors de ce périple hanté par le froid », écrit Roszy à travers Yitzchak. « L’homme a créé les frontières et a chassé les hommes comme des chiens analyse-t-il. Tout à coup, l’enfant que j’étais, arrive à la frontière suisse. S’il met un pied à droite, il vit, si c’est à gauche, il meurt. »
Des deux côtés de la frontière, soldats suisses et allemands se font face. Après bien des palabres, la famille est finalement autorisée à rester en Suisse. Elle vivra. Peu après, Roszy donne naissance à David à Lausanne en mars 1943.
Le cadet des enfants Mayer ne connaîtra jamais son père décédé comme plus d’un million de personnes à Auschwitz. Comme ses frères il est l’héritier d’une histoire tragique. 250 personnes de leur famille meurent durant le génocide. « David m’a soutenu dans la rédaction de ce livre. Il reconnaît le fait que cette traversée n’était là que pour lui donner la vie. »
Yitzchak vit aujourd’hui en Israël. Il a représenté son pays en qualité de consul général au Québec, puis d’ambassadeur en Belgique, au Luxembourg et en Suisse. Lorsqu’il revient en Haute-Savoie ou en Suisse, ses pensées le replongent inexorablement plus de 70 ans en arrière. « Pour moi la Haute-Savoie signifie la passerelle entre la vie et la mort. Toute cette région fait partie de mon âme, de moi. » Avant de conclure : cette région fait partie de l’histoire, mais plus que cela, elle fait partie du patrimoine de l’humanité. »
Source Le Dauphine