Pages

dimanche 8 décembre 2013

Mandela, les Juifs et Israël

 
 
 
Les hommages vibrants se multiplient après la disparition de Nelson Mandela, icône de la lutte contre l’Apartheid. Du côté des réseaux sociaux, certaines voix juives s’élèvent contre ce concert de louanges, mettant en avant les positions pro-palestiniennes du leader charismatique plutôt que son combat contre la ségrégation raciale en Afrique du Sud. Steve Linde, rédacteur en chef du Jerusalem Post, né au Zimbabwe, a grandi en Afrique du Sud et fait son alya en 1987. Il revient, dans un article dont nous publions des extraits traduits en français, sur les rapports entre Mandela, les Juifs et Israël. Steve Linde était journaliste pour les programmes en anglais de Kol Israel (la radio publique israélienne) lors de la première visite de Nelson Mandela en Israël, le 19 octobre 1999, qui accepta de répondre à ses questions.


Lorsque je lui ai demandé pourquoi il avait finalement décidé de se rendre en Israël, Mandela a répondu, « Aux nombreuses personnes qui se demandent pourquoi je suis venu, je dis : Israël a collaboré très étroitement avec le régime de l’Apartheid. Je dis : j’ai fait la paix avec beaucoup d’hommes qui ont massacré notre peuple comme des animaux. Israël a coopéré avec le régime de l’Apartheid, mais il n’a pas participé à des atrocités ». Nelson Mandela, explique Steve Linde, était farouchement opposé au contrôle par Israël des territoires conquis lors de la Guerre des six jours, et il exhorta le gouvernement à les céder aux Palestiniens et aux Syriens, tout comme il l’avait fait avec les Égyptiens, pour le bien de la paix.

« Selon moi, parler de paix tant qu’Israël continue a occuper des terres arabes est vain, je comprends parfaitement pourquoi Israël occupe ces terres. Il y a eu une guerre. Mais pour qu’il y ait la paix, il doit y avoir un retrait complet de ces territoires » ajoute le leader sud-africain. Il reconnaissait dans le même temps les préoccupations légitimes d’Israël en matière de sécurité : «Je ne peux pas concevoir de retrait d’Israël si les États arabes ne reconnaissent pas Israël dans des frontières sûres ».

Pour Steve Linde, une des plus grandes forces de Mandela était sa capacité à faire fi de l’amertume, de la tentation « revancharde », mais sans oublier le passé, et de travailler activement pour un avenir plus juste. Il le fait quand il sort de prison après avoir été incarcéré durant 27 années. Nelson Mandela en est sorti sans montrer un seul signe de colère, il s’est réconcilié avec le président de Klerk (ce qui leur a valu un Prix Nobel de la paix conjoint) et même en sirotant un thé avec Betsie Verwoerd, la veuve de l’idéologue de l’Apartheid, le Dr Hendrik Verwoerd. Il l’a fait aussi, quand il devient président de la nouvelle Afrique du Sud démocratique en 1994 et qu’il crée la Commission Vérité et Réconciliation, en mettant face à face les auteurs de crimes raciaux, les victimes et leurs familles. Il le fait encore, quand il va soutenir l’équipe des Springboks, longtemps symbole de l’Apartheid, face aux All Blacks en Coupe du Monde de Rugby en 1995, un épisode que raconte Clint Eastwood dans son film « Invictus ». Et il le fait enfin quand, à l’âge de 81 ans, il se rend en «visite privée» en Israël pour deux jours, après la fin de son mandat, alors qu’il vient de se rendre d’abord en Iran, en Syrie et en Jordanie, et qu’il remet les rênes du pouvoir à son adjoint, Thabo Mbeki.

 
La politique relative au processus de paix du Premier ministre israélien d’alors, Ehud Barak, ouvre la voie à Mandela – un fervent chrétien – pour son premier et unique pèlerinage en Terre Sainte. L’État juif a été le seul pays à ne pas inviter « Madiba » quand il a été nommé président, et ce voyage visait à enterrer la hache de guerre ou, selon ses propres termes, «à guérir de vieilles blessures» à la fois avec Israël et avec les Juifs d’Afrique du Sud.

Entre amour et haine, Mandela avait une relation ambivalente avec les Juifs et Israël. Comme Mohandas (Mahatma) Gandhi avant lui, c’est un cabinet d’avocat dirigé par des Juifs qui lui a offert son premier poste d’avocat à Johannesburg, et certains de ses amis les plus proches, des conseillers politiques et des associés, étaient juifs. Quand il a besoin de conseils ou d’argent, ce sont les premiers qu’il appelle. Beaucoup de juifs sud-africains l’ont soutenu, mais d’autres, par conviction ou commodité, se sont rangés du côté du régime d’Apartheid. Un de ses proches amis juifs, Arthur Goldreich, a offert refuge à Mandela et à d’autres dirigeants de l’ANC dans sa ferme de Rivonia. Plus tard, il a fait son alya et est devenu professeur à l’école d’art Bezalel. Mais, Percy Yutar était juif lui aussi. C’est ce procureur qui a plaidé contre Mandela au procès de Rivonia, celui qui a abouti à la condamnation à la prison à vie du leader anti-Apartheid.

Mandela assimilait la présence militaire d’Israël dans les territoires à l’Apartheid en Afrique du Sud, il a de ce fait soutenu activement l’OLP, qu’il considérait comme un mouvement de libération similaire à l’ANC. Il a soutenu le droit d’Israël à exister en tant qu’Etat juif démocratique, mais se sentait plus proche de ses ennemis : Yasser Arafat, Kadhafi, Fidel Castro, Mohammed Khatami et Hafez el Assad. Néanmoins, il a salué ses hôtes israéliens pour leur accueil chaleureux et leurs efforts de paix. Le tapis rouge a été déroulé pour Mandela à l’Hôtel King David, où le grand rabbin d’Afrique du Sud Cyril Harris, des dirigeants du Conseil juif sud-africain, des députés et l’ambassadeur d’Israël en Afrique du Sud, Uri Oren, lui ont rendu hommage. Serrant dans ses bras le grand rabbin Harris, un excellent ami, il a déclaré avec humour : « Maintenant je me sens à la maison – mon rabbin est ici ! » Lors d’un déjeuner offert par le Président Ezer Weizman, en présence de ministres et autres dignitaires, Mandela a choisi de remercier la communauté juive d’Afrique du Sud : « Une des raisons pour lesquelles je suis si heureux d’être en Israël est aussi l’hommage que je veux faire à l’énorme contribution de la communauté juive d’Afrique du Sud. Je suis très fier d’eux !».


Après une visite guidée de la vieille ville de Jérusalem et de Yad Vashem, il écrit dans le livre des visiteurs du Musée : «Une expérience douloureuse mais enrichissante», tandis qu’il décrit Ehud Barak comme «un homme de courage et un visionnaire» après une réunion avec le Premier ministre israélien. « Le monde et Israël devraient soutenir Barak. Il a suscité nos espérances » déclare-t-il, ajoutant « ce qui a émergé de toutes mes conversations, c’est que le désir de paix est très intense. ». «J’ai trouvé les Juifs plus larges d’esprit que la plupart des Blancs sur les questions raciales et politiques, sans doute parce qu’ils ont eux-mêmes été historiquement victimes de préjugés», écrit-il aussi dans son autobiographie, Long Walk to Freedom.

Après sa visite en Israël, Mandela s’est rendu à Gaza, où il a embrassé avec enthousiasme Arafat et approuvé l’idée d’un Etat palestinien, mais il a aussi mis un point d’honneur à pousser les Palestiniens à la reconnaissance d’Israël. « Les dirigeants arabes doivent faire une déclaration sans équivoque pour dire qu’ils reconnaissent l’existence d’Israël dans des frontières sûres», souligne-t-il. S’il approuve l’idéologie sioniste dans son principe, il estime que la paix au Moyen-Orient passe par une solution à deux États avec les Palestiniens, pour éviter, selon ses termes, qu’Israël devienne un « Etat d’Apartheid » binational, ou risque de devenir un paria international, comme l’Afrique du Sud de l’Apartheid.

Steve Linde, avant de conclure son article par un émouvant « Puisses-tu reposer en paix, Madiba. Shalom ! » explique que Mandela a été le premier à reconnaître qu’il n’avait pas toujours raison, mais qu’il était toujours prêt à se lever et à se battre pour ce qu’il croyait être juste, même si ses points de vue n’étaient pas populaires.
«Cela semble toujours impossible, jusqu’à ce que ce soit fait », Nelson Mandela

Article de Steve Linde publié par le Jerusalem Post, traduit de l’anglais par Eva Soto.

Source JewPop