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mercredi 20 novembre 2013

France Israël : une amitié historique à l’épreuve du terrain


Si les déclarations d’amitié de l’Hexagone sont comme toujours au rendez-vous, ses relations avec l’Etat hébreu sont depuis toujours en dents de scie, secouées par des crises de confiance et ponctuée de fausses notes. Historiquement qualifiée de « grande amie d’Israël » par Shimon Peres, la France a toujours été tiraillée entre amitié bienveillante et franche inimitié envers l’Etat hébreu afin de ménager ses relations privilégiées avec le monde arabo-musulman, et se retrouver de fait, acculée à un jeu d’équilibriste savant qui perdure en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien.


Dans le système de la Ve République, c’est le président seul qui règne sur la politique étrangère de la France. Cela était vrai sous la droite et le reste sous la gauche. La politique extérieure de la France obéit bel et bien à des impératifs constants quelle que soit la couleur politique de ses dirigeants. Realpolitik oblige.


Une convergence d’intérêts


La fin de la Seconde Guerre mondiale signe le retrait de la France du Proche-Orient, Syrie et Liban. Pendant ce temps, la Grande-Bretagne voit son hégémonie sur les hydrocarbures disputée par les Etats-Unis, qui veulent aussi renforcer leur présence dans la région pour contrecarrer l’avancée du communisme. Après son vote historique sur la partition de la Palestine, Paris, évincé du pacte de Bagdad, table alors sur son rapprochement avec l’Etat hébreu pour reprendre pied dans la région et joue un rôle majeur dans la naissance de l’Etat juif sous de Gaulle : il le dote d’armes pour se défendre et d’une technologie de pointe. Avec le chasseur bombardier Mirage III notamment qui s’illustrera dans la guerre des Six Jours, ainsi que la technologie nucléaire.
La France est encore aux côtés d’Israël en 1956-1957 dans la campagne du canal de Suez en réponse à sa nationalisation par l’Egypte. Cette crise se soldera par un échec, les Etats-Unis et l’Union soviétique reprennent alors la main dans la région et la France, quant à elle, amorce un virage en épingle à cheveux dans sa politique à l’égard de l’Etat hébreu. Elle se tourne définitivement vers des partenaires arabes pour se positionner sur un marché plus juteux.
La guerre des Six Jours, qualifiée d’agression israélienne par Paris qui la condamne, et l’embargo sur les armes qui s’en suit, consomment la rupture – les propos cuisants du général de Gaulle à l’encontre des juifs sont restés dans les mémoires. Le marché arabe lui ouvrant les bras, la France, 3e au rang mondial en ventes d’armes n’y résiste pas et Israël se tourne dès lors vers les USA. Valéry Giscard d’Estaing entérinera la politique de l’Hexagone, « armes contre pétrole », et le 22 novembre 1974 c’est la reconnaissance de l’OLP au sein de l’ONU comme membre observateur.


Droite et gauche d’une seule voix… ou presque


Les rapports complexes du parti socialiste avec le conflit palestinien ne datent pas d’hier. Si Valéry Giscard d’Estaing a le premier considéré que des terroristes peuvent être des partenaires pour des négociations de paix, c’est avec l’arrivée au pouvoir du socialiste François Mitterrand que la France va s’inscrire durablement aux côtés des Palestiniens, et ni son affection pour le socialisme des kibboutzim ni son admiration pour Ben Gourion ne l’empêcheront de se déclarer en faveur d’un état palestinien à la Knesset en 1981, et d’œuvrer pour la mutation du chef de guerre Abou Amar, en chef politique Yasser Arafat pour le faire reconnaître par l’Union européenne.
La guerre du Liban marque un recul de l’inconditionnel soutien des socialistes – en particulier de ses membres issus de l’immigration, surtout algérienne, et héritiers de mai 1968 –, et en sonne le glas après le massacre de Sabra et Chatila perpétré par les phalangistes chrétiens au Liban.
Puis surviennent les accords d’Oslo. Israël se voit contraint de reconnaître l’OLP comme seul représentant légitime du peuple palestinien, Chirac accueille Yasser Arafat sur le sol français et lui exprime son amitié. Alors que la première visite d’Etat d’un président étranger en France après l’élection de Nicolas Sarkozy est un honneur réservé à Shimon Peres qui déclarera ainsi : « Nicolas Sarkozy a renouvelé l’Alliance atlantique en renouant avec les Etats-Unis et a donné un nouvel élan aux relations avec Israël ». Le leader de l’UMP n’en aura pas moins entonné le chant des sirènes palestiniennes et plaidé en faveur de la division de Jérusalem.
Mais ce sont les ailes vertes et écarlates de la gauche française qui imposeront par la base la rhétorique délétère et mensongère condamnant Israël, reprise en chœur par tous les antisémites en puissance qui parviendront à l’imposer dans les médias. On ne parlera bientôt plus que de colonies quand il s’agit de territoires disputés, de frontières quand ce ne sont que des lignes d’armistices.
Fin 2003, c’est le divorce de la gauche avec son aile ultra-gauche et la question du retour des réfugiés palestiniens de 1947 et 1967 fait son entrée fracassante au sein du parti socialiste, qui gagnera même le soutien de Ségolène Royal.


Hollande sur la corde raide


François Hollande est issu d’un courant du socialisme français qui a toujours eu la cause sioniste en sympathie, comme Jacques Delors, François Mitterrand et Lionel Jospin avant lui. Ce qui lui a fait dire à l’occasion de ce voyage officiel dans l’Etat hébreu, « Israël est victime de critiques injustifiées, car ce pays est une démocratie exemplaire. »
Nul doute que des affinités « socialistes » existent bel et bien entre la colombe israélienne et le président français. Mais c’est en digne héritier de cette traditionnelle équidistance de la France, que ce dernier se doit de poser une pierre sur les tombes de Theodor Herzl et d’Itzhak Rabbin et une gerbe sur celle d’Arafat. Obama lors de sa visite en Israël s’était lui aussi rendu au mont Herzl pour rendre hommage au visionnaire, fondateur du sionisme, de même que sur celle de Rabin. Mais il avait évité de se rendre au mausolée du chef de l’OLP. Sarkozy, soucieux de ne pas froisser les susceptibilités avait envoyé Alliot-Marie souscrire à ce rituel, mais s’était lui-même abstenu.
Nul doute que l’intention de François Hollande est d’honorer la mémoire du Prix Nobel de la paix et non celle du terroriste patenté, même s’il s’agit bel et bien du même personnage. Mais ce faisant, il n’en souscrit pas moins à la tradition palestinienne bien ancrée de glorifier la mémoire du raïs en le prenant comme modèle pour inspirer aux jeunes générations des actes de violence qualifiés erronément d’actes de résistances.
Pas de quoi pousser des cris d’orfraie pour la communauté internationale, quand on sait que l’ONU a nommé Khadafi à la présidence des droits de l’homme et l’Iran membre de la commission de la condition de la femme en 2010 ; le dit monde libre n’en est plus à une aberration près.
Les mairies françaises honorent la mémoire d’assassins nommés pour la circonstance citoyens d’honneurs, leurs portraits s’affichent sur leurs frontons ou encore sont glorifiés dans les musées français. Qui s’offusquera alors de voir les Palestiniens fêter des assassins transmués en héros nationaux quand Israël libère des vagues de prisonniers. C’est cyniquement tendance. A ne vouloir voir que de blanches colombes partout, Hollande se voit donc une fois de plus condamné à jouer les équilibristes et perpétue ainsi la tradition française depuis la Seconde Guerre mondiale.


L’argent, le nerf de l’amitié


Si la France monte aujourd’hui au créneau contre le nucléaire iranien – ce qui lui vaut le privilège de fouler un tapis rouge sans précédent déployé sur le sol israélien –, et résiste à la tentation de s’aligner sur l’Allemagne et les Etats-Unis, c’est en partie dans le souci de complaire aux exigences de ses alliés et bailleurs de fonds sunnites, pour en toucher les dividendes sonnants et trébuchants dont son économie exsangue a grand besoin.
L’Hexagone vient de décrocher en juillet dernier deux contrats d’exportation vers les Emirats arabes unis d’un montant total d’un milliard d’euros remportés par le groupe français d’armement Thalès, l’un pour une commande de 17 radars Thalès et l’autre de 2 satellites d’observation militaire fabriqués en France par Astrium. Client traditionnel de la France, la fédération des Emirats n’avait plus passé de commandes militaires significatives depuis 2007 et ces contrats marquent le grand retour de l’Hexagone sur ce marché.
S’est ajouté en août dernier un contrat militaire d’un milliard d’euros avec l’Arabie Saoudite pour moderniser une partie de la flotte militaire du royaume. Enfin, la France brigue encore de 20 milliards d’euros de grands contrats dans le domaine de la Défense toujours, avec le Qatar. Nul doute que voilà de quoi prêter l’oreille aux inquiétudes de Ryad, Abou Dhabi et Doha quant au nucléaire iranien.
Un rapprochement que ces pays du Golfe ont aussi initié en sourdine avec Israël. De quoi lever les obstacles pour un partenariat économique et politique intensifié entre Paris et Jérusalem.
D’autre part, dans une lettre commune adressée à la diplomate européenne n° 1, Catherine Ashton, 27 députés issus de tout le spectre politique, ont exhorté la représentante exécutive de la Commission européenne, à renverser ou, au moins atténuer les directives qui devraient prendre effet en janvier 2014 et interdiraient le financement et les accords commerciaux avec les implantations de Judée-Samarie et de l’Est de Jérusalem. Ils ont appelé Ashton à « prendre toutes les mesures nécessaires pour retirer les directives de la Commission ou, à tout le moins, parvenir à un accord avec le gouvernement d’Israël, pour s’assurer que leur instauration reflétera bien la profondeur des relations bilatérales entre l’Union européenne et Israël et ne leur porteront préjudice d’aucune manière ».
Israël a averti, en août, qu’il pourrait refuser de participer au projet de recherche et d’innovation de 70 milliards d’euros sur une durée de 7 ans : « Horizon 2020 », pour lequel il devrait contribuer à hauteur de 600 millions d’euros.


Le retour en force de Paris


Pour autant, pas question d’aller jusqu’à froisser les Palestiniens pour satisfaire l’Etat hébreu. La construction dans les implantations des territoires disputés est devenue un point de fixation dans le cadre des négociations de paix. Si l’on peut se réjouir des échanges du président français avec de jeunes palestiniens et d’accords de coopération, on peut parier sur son silence autour des 2 milliards d’aide européenne gaspillés entre 2008 et 2012 par l’Autorité palestinienne. Selon les enquêteurs de l’UE, « les fonds n’ont pas été utilisés comme ils auraient dû l’être, pour cause de corruption et de mauvaise gestion ».
Par ailleurs, la promptitude du chef de l’Etat français à intervenir au Mali et son intention de faire de même en Syrie ont été salués. Interprétée comme une volonté louable d’affronter les djihadistes, l’opération militaire au Mali ne doit pas faire oublier pour autant que le pays est l’un des plus grands producteurs d’uranium au monde, et que la France a pour objectif évident de sécuriser son approvisionnement du précieux minerai et les intérêts du géant nucléaire français Areva qui l’exploite.
Pour ce qui est de la Syrie le recul de la France lui a peut-être été soufflé par ses partenaires sunnites, actifs dans les rangs des rebelles. Pour autant, ces récents développements semblent annoncer le retour en force de Paris sur l’échiquier politique du Moyen-Orient et plusieurs éléments tendent à laisser augurer de nouvelles alliances et de nouveaux rapprochements.


La France va-t-elle détrôner l’allié américain ?


Forte de ces nouvelles donnes, la France pourrait être tentée de s’engouffrer dans le vide laissé au Moyen-Orient par la nouvelle frilosité américaine. Si le Congrès américain reste encore un allié privilégié d’Israël, l’administration Obama, tentée de se fourvoyer dans un rapprochement avec l’Iran à n’importe quel prix, pourrait se révéler une épine dans le pied pour l’Etat hébreu.
Le directeur de l’AIEA, Yukiya Amano, qui s’est rendu à Téhéran le 11 novembre dernier a déclaré que rien n’avait changé dans le programme nucléaire iranien depuis la Présidence de Rouhani et que les centrifugeuses étaient bel et bien installées sur les sites d’enrichissement, n’attendant que leur mise en activité, ce qui vient confirmer le danger qu’il y aurait à s’aligner sur la politique américaine d’apaisement à tout prix.
Le Conseil de sécurité nationale a adopté une position critique contre la politique du Département d’état américain. Non seulement au sujet du nucléaire iranien, mais aussi concernant l’Arabie Saoudite, le Golfe arabique et l’Egypte, ce qui pourrait rassurer. L’allié bat de l’aile donc et tout repose sur le Congrès. Dans ce contexte, le fait que les arabisants du Quai d’Orsay aient perdu la manche contre les spécialistes des affaires stratégiques, à l’occasion du ménage de printemps opéré par Laurent Fabius au sein de l’institution, est un signal fort en faveur d’une redistribution possible des cartes.
La France compte la plus forte population musulmane d’Europe et la plus importante communauté juive. Nul doute que François Hollande aura soin de ne pas sortir des sentiers battus de la rhétorique habituelle de la politique extérieure hexagonale. Dans un contexte intérieur pour le moins tendu, il a tout à gagner à se contenter au cours de ce voyage en terrain miné, à faire des déclarations consensuelles le moins risquées possible.
Il se confirme néanmoins au vu de ces récents développements, comme un ami d’Israël dont l’Etat hébreu a grand besoin, suite à la fragilité nouvelle de son allié américain et son isolement croissant sur la scène internationale. Reste à espérer qu’il lui sera fidèle.

Source JerusalemPost