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mercredi 10 avril 2013

Roglit, l’histoire d’un mémorial

 
 
L’arrivée au mémorial de la déportation française a quelque chose de prenant. Situé au sommet d’une butte, en bordure de route près du moshav de Neve Michaël, le site apparaît imposant. Dans une belle région d’Israël, constituée de champs de culture et de charmants paysages, la forêt de Roglit dégage une atmosphère douce et paisible, à l’écart des tumultes de la ville. Ce qui attire l’oeil immédiatement, c’est ce grand bandeau en pierre incurvé, surplombant la butte, qui s’étend sur 35 mètres de longueur et 4 mètres de haut, avec les inscriptions en noir et lettres capitales « Mémorial des déportés juifs de France ».

Sur ce long mur près de Jérusalem, sont inscrits l’ensemble des déportés juifs français de la Shoah selon ce modèle : (par ordre alphabétique) Nom, Prénom, date de naissance, n° du convoi, date d’arrestation, date de décès.
Ces différentes archives sont reproduites sur des plaques en fibre de verre dont l’entretien doit être fait régulièrement, car fragilisées, et parfois effacées, à cause du soleil. L’aluminium comme support avait au départ été envisagé, mais par risque de vol au vu du prix du métal, l’idée a avorté.
A l’avant du monument, se trouvent au sol des plaques commémoratives, apportées par les familles. Sur chacune est écrit un message rendant hommage aux victimes.
Inscrit sur l’une d’elle, un hommage d’Ida Moskovitz à ses frères Henri (10 ans) et Maurice (8 ans), morts durant la Shoah. Auparavant faites en bronze, elles sont aujourd’hui en pierre pure, à cause des vols.
Sur une avancée vers la forêt, se trouve une grande stèle en pierre blanche sur laquelle est inscrit en lettres capitales : « Autour de ce monument qu’ils ont édifié en 1981, les Fils et filles des déportés juifs de France ont planté la Forêt du Souvenir, 80 000 arbres pour 80 000 vies », la traduction en hébreu se trouve juste à côté.



Cette fameuse forêt est l’oeuvre des Fils et filles des déportés juifs de France qui ont travaillé en collaboration avec le Fonds national juif, ou Keren Kayemeth LeIsrael (KKL) en hébreu.
Dédié au développement de la terre d’Israël, ce fonds national, créé en 1901 lors du 5e Congrès sioniste, souhaite avant tout renforcer le lien entre la population juive et sa nation, en développant des projets pour « changer le visage du pays », selon ses responsables.


10 000 rescapés rassemblés

 
La première pierre de cet édifice – imaginé par Serge Klarsfeld et conçu par Serge Guerchon en collaboration avec Annette Zaidman – a été posée le 6 mars 1981, dans un geste symbolique, par Maxi Librati, juif marocain déporté dans un camp, où il était affecté au « commando de la mort », chargé de brûler les corps des juifs asphyxiés.
Lors de l’inauguration du mémorial, le 18 juin 1981, date emblématique de l’Appel à la Résistance du général de Gaulle, de nombreuses personnalités étaient présentes : le Grand Rabbin de France René Samuel Sirat, l’ambassadeur de France en Israël Marc Bonnefous, ainsi que le représentant du gouvernement israélien Eliahou Ben Elissar et plusieurs délégués des différentes communautés juives dans le monde.
Pour l’occasion, 10 000 survivants français de la Shoah étaient réunis pour la première et dernière fois, 5 000 d’Israël et 5 000 de diaspora, ce qui a constitué le premier plus grand rassemblement de rescapés français de tous les temps.
En trente ans d’existence, le mémorial a essuyé plusieurs actes de vandalisme, notamment par l’inscription de croix nazies sur les différentes structures. Aucune enquête n’a été menée pour démasquer les vandales.
A l’origine, la terre d’Israël avait été préférée à la France, l’association des Fils et filles des déportés juifs de France pensait alors que l’existence et la longévité d’une telle structure en Terre Sainte s’avéreraient plus sereines et pacifiques.
 

En faire des « sujets » de l’Histoire

Tous les ans, deux cérémonies commémoratives ont lieu devant le mémorial : à l’occasion de Yom Hashoah, au mois d’avril, pour l’anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, 16 juillet.
Pour cette dernière occasion, les membres de l’association Aloumim (association israélienne des enfants cachés en France pendant la Shoah) se rassemblent devant l’édifice, en souvenir de leurs proches défunts.
De manière plus occasionnelle également, il n’est pas rare que des groupes de touristes français viennent s’y recueillir.
Avant tout pour honorer la mémoire des disparus, ce mur existe pour commémorer l’ensemble des déportés de France durant la Shoah. Mais seuls les disparus ont été listés.
Ce recensement des déportés et disparus français de la Shoah a permis aux enfants des victimes d’en savoir davantage sur leurs aînés, en apprenant notamment le numéro de leur convoi, et la date de leur décès.
Robert Spira, passionné par l’histoire de la Shoah et fils d’une victime de cette « catastrophe » se souvient : « La première fois que j’ai vu écrit le nom de mon père, je ne pouvais plus respirer ».
Ce monument va enfin à l’encontre de l’oubli causé par le temps qui passe. En gardant en mémoire le souvenir de ces disparus. En les faisant redevenir « sujets » de l’Histoire.
 

Pour ne pas oublier, récit d’une matinée sous le signe de l’émotion.

Pour ne pas oublier, pour conserver une conscience nationale, les Fils et filles de déportés juifs de France, en présence de représentants du corps diplomatique français et d’Arno Klarsfeld, étaient tous réunis dans la forêt de Roglit, à l’occasion de Yom Hashoah.
Pour Valérie Spira, organisatrice de l’événement et représentante avec son père de l’association des Fils et filles de déportés en Israël, la démarche est importante car « oublier (les disparus) serait les tuer une seconde fois ».
Pour ces « héritiers » de déportés, le jour de la commémoration de la Shoah est devenu un rituel. Outre un travail de mémoire, ce jour est aussi l’occasion de se retrouver avec ceux qui ont un passé commun : celui d’avoir perdu ses parents ou/et un être cher. Une tribune pour raconter sa propre histoire, ses souvenirs. Certains cherchent à chaque fois, sur le mur, le nom de leur famille, comme pour vérifier qu’il y soit toujours écrit.
En ce jour marqué par le souvenir, ils étaient environ 500 à s’être déplacés jusqu’au mémorial des martyrs juifs de France.
Lors de toute commémoration, s’exprimer, témoigner est nécessaire. Christophe Bigot, ambassadeur de France en Israël, sera le premier à s’exprimer. Empreint d’une gravité et d’une émotion certaine, son discours est revenu sur le caractère incompréhensible de cette catastrophe et a évoqué la « folie de la machine exterminatrice » qui a sévi, durant ces années de souffrance. L’entreprise de Serge Klarsfeld a redonné, selon lui, une réelle identité aux disparus comme une « revanche contre la barbarie ».
Et le diplomate de conclure en souhaitant que la forêt de Roglit « puisse (…) protéger longtemps du silence et de l’oubli ».
C’est ensuite Arno Klarsfeld, venu représenter sa famille, qui a pris place derrière le pupitre. Pour lui, cette commémoration ne doit pas être vue comme une repentance, mais comme un devoir de mémoire. Le fils de Serge et de Beate a alors relaté l’arrestation de ce grandpère dont il porte le nom et le prénom. Et d’expliquer que c’est cette injustice qui s’est abattue sur son grand-père, qu’a voulu combattre son père.
Avec le poignant témoignage de Rosy Bursztein, c’est la question des survivants de la Shoah qui sera abordée.
« Comment avons-nous pu, nous, rescapés, échapper à ce carnage ? » avait déclaré son père. Réapprendre à vivre, après une telle ignominie, a été le défi de ces miraculés.
Lorsqu’il est arrêté, le père de Robert Spira promet une lettre à son fils. En ce jour de commémoration des disparus de la Shoah, c’était l’occasion pour le fils de répondre à son père, en lui posant les questions restant encore aujourd’hui sans réponse. « Quand as-tu compris qu’on ne revient jamais d’Auschwitz ? Quand as-tu compris que tu n’étais qu’un mort en sursis ? ».
Lors de Yom Hashoah à Roglit, la matinée aura été celle d’un recueillement intense, bercé par les mélopées de El Malei Rahamim et du prenant Ani Maamim.


Source JerusalemPost