Même s’il n’y a eu aucune photo officielle de la première rencontre, justement pour ne pas alimenter les supputations sur une portée plus importante de ces négociations, le timing ne peut pas être une simple coïncidence.
De même, la visite du directeur de la Sûreté générale à Washington, à ce moment précis, ne peut qu’attirer l’attention des observateurs.
Il est vrai qu’il s’agissait d’une invitation ouverte adressée au général Abbas Ibrahim pour lui remettre le prix Folly pour sa contribution efficace dans les dossiers des otages américains dans le monde, mais ce sont les Américains qui ont insisté pour que le voyage se déroule à cette période précise.
Au point qu’ils lui ont même envoyé un avion spécial pour l’emmener de Beyrouth à Washington où ses entretiens ne se sont pas limités à la question des otages. D’ailleurs, c’est l’une des rares fois où, dans le cadre de ses voyages de mission qui se déroulent généralement dans la plus grande discrétion, le général Ibrahim donnait des déclarations à la presse alors que ses entretiens étaient encore en cours.
Il est vrai qu’il s’agissait essentiellement pour lui de recevoir un prix américain spécial et que de telles occasions sont publiques.
Mais en même temps, là où se trouvait le général Ibrahim, il y avait forcément des négociations discrètes et des dossiers épineux à traiter. Tant par sa discrétion que sa clarté et ses qualités de médiateur, Abbas Ibrahim joue un rôle-clé dans la plupart des dossiers qui concernent le Liban, mais aussi la Syrie et la région en général.
Le timing de cette visite, choisi donc par les Américains eux-mêmes, et la nature des entretiens qu’il a eus ainsi que la symbolique du prix qui lui a été décerné sont autant de messages qui seraient destinés à travers lui au Liban et à ses différentes composantes.
Le soudain retour en force de Saad Hariri sur la scène politique et le fait qu’il ait brisé les règles traditionnelles en vigueur au Liban en présentant lui-même sa candidature à la présidence du Conseil – alors qu’en général, ce sont les différentes parties qui choisissent leurs candidats ou s’entendent sur un seul – ne peuvent pas être dissociés de la visite du général Ibrahim à Washington au moment où le Liban a décidé d’entamer les négociations avec les Israéliens sur le tracé des frontières.
De plus, un développement très important a eu lieu ces derniers temps au Yémen, où la guerre oubliée se poursuit depuis près de six ans dans une grande violence, et surtout dans une certaine indifférence médiatique.
Après donc de multiples tentatives avortées, les deux parties directement en guerre dans ce pays, c’est-à-dire les Ansarullah (houthis) et les partisans du président Abed Rabbo Mansour Hadi, ont réussi à s’entendre sur un échange de prisonniers entre eux sous l’égide de l’ONU.
L’opération s’est déroulée sans problème, et de nombreux prisonniers ont pu ainsi être échangés.
Il faut préciser que, dans le cadre de cette opération, les Ansarullah ont libéré des prisonniers saoudiens et émiratis qui se battaient aux côtés des Yéménites de Mansour Hadi, alors que du côté de ce dernier, il n’y avait aucun prisonnier iranien ou non yéménite.
Les deux parties préparent déjà un nouvel échange... Sur un plan géopolitique, les observateurs sont convaincus qu’un tel développement n’aurait pas été possible sans l’accord, d’une part, des Saoudiens et des Émiratis qui se battent directement aux côtés des forces du président Abed Rabbo Mansour Hadi, et, d’autre part, des Iraniens qui appuient les Ansarullah.
Dans le même sillage, la situation semble s’être plus ou moins calmée en Irak, où les Américains et les Iraniens s’affrontent par Irakiens interposés, alors que l’éclatement de la guerre dans le Haut-Karabakh et les développements dans le nord de la Syrie mettent de plus en plus en cause la Turquie et dessinent l’ébauche d’une alliance indirecte entre les Arabes et l’Iran contre Ankara.
Tous ces éléments qui ne sont pas encore très clairs font croire à de nombreux observateurs que la région est à la veille de changements géopolitiques et que, quelque part, les contours d’un nouvel accord entre les États-Unis, d’un côté, et l’Iran, de l’autre, sont en train de se dessiner. Quels en seront les principaux points ?
Nul ne le sait encore, mais l’hommage marqué rendu par l’administration américaine au général Abbas Ibrahim ainsi que l’insistance du secrétaire d’État adjoint américain David Schenker, au cours de sa dernière visite au Liban, à s’attarder devant les caméras dans le hall de Aïn el-Tiné pour discuter encore un peu avec l’adjoint du président de la Chambre Ali Hamdane, en présence de l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea, montrent que les Américains tiennent à avoir des interlocuteurs chiites au Liban et dans la région.
Comment tout cela se concrétisera-t-il ?
Plongés dans les contraintes de la vie quotidienne, les Libanais semblent ne pas remarquer l’eau qui coule sous les ponts...
Vous nous aimez, prouvez-le....