La plus théâtrale fut celle du "faux Jean-Yves Le Drian" : au téléphone puis par appel vidéo, un escroc portant un masque de latex aux traits du ministre démarchait de riches personnalités pour qu’elles prêtent à l’État de l’argent pour libérer des otages.
Les deux cerveaux de l’opération ont été condamnés mercredi 9 septembre 2020 à 7 et 10 ans de prison.
La plus lucrative fut celle à la taxe carbone : en ne reversant pas la TVA à la France après des achats et la revente de quotas de carbone, des affairistes se sont mis dans la poche entre 1,7 et 4 milliards d’euros selon les différentes estimations.
La plus fréquente et souvent très efficace est celle aux Fovi (pour faux ordres de virement international) : une personne se faisant passer pour le PDG d’une entreprise demande à un comptable de virer une grosse somme d’argent à l’étranger pour, soi-disant, payer un fournisseur.
Leur point commun ?
Ces escroqueries ont été montées depuis Israël par des escrocs franco-israéliens, qui pour certains ont choisi sciemment de quitter la France pour s’installer en Israël et en prendre la nationalité.
Des escroqueries à plusieurs milliards d’euros
Ces escrocs sont désormais regardés de près par les autorités françaises. Ils ont même fait l’objet d’un chapitre particulier dans le dernier rapport du Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisé (Sirasco) de la Police nationale publié à l'été 2019.
On peut notamment y lire que ces escrocs franco-israéliens "sont numériquement peu nombreux en comparaison d’autres groupes touchant la France.
Leur préjudice économique tant à l’égard des États européens (l'escroquerie à la taxe carbone par exemple) qu’à celui de particuliers ou d’entreprises (les Fovi) s’élève à plusieurs milliards d’euros.
Fonctionnant sur le principe d’une solidarité communautaire voire familiale, ils ont mis en place des escroqueries juteuses dans les années 2000."
Une escroquerie du quotidien
Par téléphone, ou par l’intermédiaire de fausses pubs et de faux sites web, ils harponnent des particuliers ou des entreprises en France et font preuve d’une imagination sans limites : vente de maques FFP2 ou de gel hydroalcoolique, faux placements d’épargne avec des promesses de rendements à 30 % et une sécurité comparable à celle du livret A, opérations en bourse mirobolantes, investissements très rentables dans des parkings, diamants payés d’avance sur catalogue, placements sur le Forex (le marché des taux de changes entre monnaies), isolation à un euro, achat d’une pseudo "carte verte" pour aller vivre et travailler légalement aux États-Unis…
Les propositions sont enthousiasmantes mais elles sont toutes bidons. Les gens paient d’avance et se retrouvent grugés, bernés par le professionnalisme et l’assurance de leurs interlocuteurs qui sont très bien organisés.
Des donneurs d’ordre et des petits soldats
En 2019, le groupe Empact lancé par l’Union européenne et Europol pour répondre de façon coordonnée à la criminalité organisée, a tenu une réunion importante à Tel-Aviv.
Polices européennes et israélienne ont évoqué, parmi d’autres, ces réseaux franco-israéliens.
La police israélienne a présenté ces filières dans le détail. "En bas il y a les ‘soldats’, ce sont plusieurs dizaines voire centaines d’individus, décrit un commissaire de police français qui a assisté aux débats.
Ce sont les ‘petites mains’ organisées en petites cellules installées dans des appartements conspiratifs. Il y a des lignes téléphoniques pour ceux qui téléphonent en français.
Des ordinateurs puisque des geeks créent de faux sites pour crédibiliser l’escroquerie avant de les faire disparaître rapidement du web. Il y a aussi les intermédiaires chargés des plateformes de blanchiment, ils sont bien mieux rémunérés…
Ils recrutent des hommes de paille payés 2 000 euros pour ouvrir des comptes bancaires en Europe de l’Est (notamment en Pologne) ou en Chine… Et puis il y a le sommet, 20 à 30 individus. Ceux-là ce sont de gros parrains qui peuvent être originaire de l’ex-URSS."
Changement d’identité en Israël
Parmi ces "intermédiaires" se trouvent quelques dizaines d’individus représentant une marge de la communauté franco-israélienne.
Ces personnes, souvent déjà délinquantes en France, se sont installées en Israël pour profiter de la "loi du retour".
"Elle permet à tout Juif qui décide de venir s'installer en Israël d'obtenir de façon automatique la nationalité israélienne, explique Emmanuelle Elbaz-Phelps, journaliste pour la télévision publique israélienne Kan 11 et autrice d’un documentaire sur la taxe carbone, diffusé dans la célèbre émission Zman Emet. Les affairistes et les voyous ont vite compris que cette loi avait une faille leur permettant de venir s'installer dans ce pays et d'y trouver un refuge."
Aubaine pour les personnes mal intentionnées : cette loi permet aussi de changer de nom et de prénom, ce qui ralentit les démarches judiciaires.
Pas toujours facile de s’intégrer en Israël
Parmi les nouveaux arrivants en Israël, certains ne sont pas des délinquants. Mais les circonstances peuvent les pousser à le devenir, car la vie n’est pas toujours simple pour eux. "Israël est un melting-pot de Juifs venus du monde entier, poursuit Emmanuelle Elbaz-Phelps.
On n'est pas tous frères et sœurs, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Il faut apprendre à se connaître et quand on regarde plus précisément dans les détails, on voit une tendance à garder en Israël des ghettos communautaires. Il est dur de trouver un travail et
parfois, au bout de quelques mois, quand on n'a pas d'argent, cela peut créer un terrain favorable à tomber vers des activités un peu moins honnêtes."
De l’argent facile. Trop facile…
Les centres d’appel sont au cœur des escroqueries réalisées par téléphone ou Internet.
Leurs "petites mains" sont souvent recrutées à la sortie de l’oulpan (centre d’apprentissage de l’hébreu) ou bien dans des moments festifs. Noémie, une française qui vit en Israël depuis trois ans, a été approchée plusieurs fois : "Cela s’est passé dans les groupes d'amis, dans un restaurant ou lors de dîners.
On se voit, on demande : ‘et toi, tu fais quoi dans la vie ?’ Et puis on s’entend répondre :
‘je travaille dans un call center, je vends des listings de noms à des entreprises d’isolation à un euro, est-ce que tu veux te faire de l'argent ?’ Je vois aussi passer des publicités sur Facebook :
job excellent avec un salaire fixe mirobolant et des commissions en travaillant sept heures par jour... C’est juste impossible de gagner autant avec un travail légal."
Que fait l’Etat dans ces conditions ?
Dans ce pays historiquement très mobilisé contre le terrorisme, qui doit aussi financer l’occupation militaire d’une partie de la Judée Samarie, la délinquance financière est, de fait, un parent pauvre de la justice.
La police et la justice souffrent aussi d’un manque de moyens.
Nili Arad, ancienne magistrate à la cour suprême et présidente de l’association Transparency International Israël, le constate :
"La législation israélienne, criminelle et civile est très précise, mais sa mise en œuvre n’est pas aussi rigoureuse à cause d’un manque de budget ou d’un manque de bras."
La juge dénonce aussi un discours ambiant qui délégitime les garants de l’état de droit. Depuis fin mai, le Premier ministre Benyamin Netanyahou est jugé pour corruption.
Pendant des années, Netanyahou et les siens ont livré une guerre sans merci aux médias, aux policiers et aux magistrats, ce qui a altéré le sens civique de certains israéliens.
"Cela me préoccupe qu'en Israël, les garants de l’état de droit que sont la Police, le procureur général, les tribunaux, les juges de la Cour suprême et les médias bien sûr, soient affaiblis par les critiques systématiques de certains groupes qui y ont intérêt", déplore la juge.
Une meilleure coopération judiciaire entre Israël et la France
En dépit de ce constat, les choses avancent après de longues années d’une coopération très laborieuse entre les justices de France et d’Israël.
A Paris, la loi du 23 mars 2019 a créé la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) qui dépend du parquet de la capitale. Les affaires les plus complexes ou en lien avec un pays étranger remontent maintenant vers elle, qui fait office de guichet unique, visible et centralisé, à la façon du FBI américain.
Par ailleurs, en 2006, la France a installé un policier référent français à l’ambassade de France à Tel-Aviv. Dès qu’un dossier franco-israélien émerge, il est là pour s’assurer de son suivi.
La stratégie Al Capone
De son côté, Israël est membre du groupe d’action financière international (Gafi) chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent.
Sur le terrain, la police et la justice israélienne ont décidé de taper dans la fourmilière.
S’il est trop difficile de s’en prendre aux gros bonnets, elles essaient au moins de démanteler les call centers en les fermant pour travail au noir. De la même façon qu’Al Capone était tombé pour fraude fiscale, certains call centers douteux tombent pour des affaires mineures.
Selon les informations de la cellule investigation de Radio France, alors que la France ne procède pas à l’extradition de ses binationaux, les extraditions de franco-israéliens vers la France vont s’accélérer.
Sur une douzaine de demandes françaises d’extraditions, la moitié semblent en bonne voie. Peu à peu, les choses avancent. "Israël n’est pas un paradis et le sera de moins en moins car tout le monde fait des efforts, constate notre commissaire de Police.
L’idée est de mettre fin à l’impunité des délinquants. C’est encore lent et complexe, il faut compter avec le temps judiciaire. Mais il y a une vraie volonté, et une complète coopération avec Israël."
Source France Bleue
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