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mercredi 2 septembre 2020

«Le “progressisme” a porté en Europe un islamisme suprémaciste et victimaire»


L’islamisme est une idéologie portée par le progrès, affirme Antoine Menuisier. L’essayiste y voit un programme politico-religieux, qui se sert des thématiques intersectionnelles pour gagner du terrain en Europe. Le plus incroyable, dans l’histoire de l’islamisme en Europe, est le soutien, occasionnel ou permanent, tactique ou convaincu, apporté par des individus se définissant comme progressistes à une conception rétrograde, totalitaire, de la religion......Décryptage.......



Soit tout l’inverse des rapports entretenus ces deux derniers siècles par les forces de gauche avec le catholicisme romain, du moins jusqu’au concile Vatican II. 
Aussi peut-on affirmer, sans forcer le trait, que l’islamisme fut une idéologie portée par le Progrès, et pas seulement comme passager clandestin.
Le Progrès, en son acception révolutionnaire, eut deux visages dans la première moitié du XXe siècle: l’un, racialiste, incarné par le nazisme, l’autre, matérialiste, incarné par le communisme. 
Leur point commun était l’imposition à l’humanité d’un homme nouveau. L’islamisme - le véritable, le politique, adossé à une théologie de combat - prit son essors à la même période en Égypte sous l’impulsion des Frères musulmans. 
Cette confrérie, à la suite des prétendus réformistes musulmans d’un Moyen-Orient mis au défi par l’Occident colonisateur et développé, entendait concilier charia et modernité, législation religieuse et sciences dures. 
Son but géopolitique - qui demeure - est le rétablissement du califat, les «États-Unis islamiques» dissous en 1924 par Kemal Atatürk, le «traître», le «juif». Son but culturel est de convaincre la terre entière de la supériorité du dogme de la «meilleure communauté». 
L’islamisme - et non pas l’islam en tant que réconfort du fidèle - s’apparente à un sectarisme.

L’islamisme se considère lésé par l’Occident, cet « ingrat  » qui devrait tout à la civilisation islamique.

Si l’islamisme, s’est acoquiné avec le nazisme dans les Balkans et au Moyen-Orient, pendant et après la guerre, il s’est peu à peu imposé comme idéologie de libération, concurrent ou allié des nationalismes luttant contre le colonialisme. 
L’islam fut le grand dénominateur commun des mouvements et guerres d’indépendance arabes, comme il le fut en ex-Yougoslavie dans les années 90, conjointement à l’orthodoxie des Serbes et au catholicisme des Croates.
Non sans mauvaise foi, des militants associatifs, des journalistes ou avocats ayant avec l’islam un lien affectif ou culturel, demandent qu’on leur définisse l’islamisme, qu’on leur fournisse des preuves de son existence. 
Pour eux, l’islamisme est un projet de conquête du pouvoir s’incarnant dans des partis politiques affichant la couleur religieuse. 
Et comme ces partis, ou les candidats issus de cette mouvance, font généralement de piètres résultats aux élections, ils en concluent que l’islamisme est un faux problème entretenu par des «racistes» et une «gauche islamophobe». Sauf que l’islamisme existe bel et bien, mais il ne suffit pas en effet de dire qu’il est une politisation de l’islam et une islamisation de la politique.
Alors, qu’est-il? Il est ou se veut: un anti-impérialisme, un tiers-mondisme, un revanchisme. Il se considère lésé par l’Occident, cet «ingrat» qui devrait tout à la civilisation islamique. 
Il est suprémaciste et victimaire. Il cherche à imposer un référentiel religieux, passe la loi des hommes à son tamis. 
Il est un sentimentalisme. Il se propose de racheter la dette de la deuxième génération de l’immigration envers la première, celle des parents, porteuse de toutes les souffrances. 
Il entend soulager cet état inconfortable où l’individu supporte mal sa part française, qu’il assimile aux «crimes de la colonisation» et lui donnant prétexte à ne pas s’aimer. Il se présente comme la «solution» à d’insupportables dilemmes - Daesh, la mort assurée en «martyr», offrait une échappatoire à de lancinants cas de conscience. 
Dans sa version salafiste, l’islamisme abroge toute distanciation historique avec l’islam des origines. 
Dans sa version djihadiste, il poursuit le combat des pieux prédécesseurs commandés par Mahomet - «On a vengé le prophète», ont clamé les frères Kouachi après être sortis de l’immeuble de Charlie Hebdo.
Les prédicateurs islamistes ne manquent pas de rappeler l’injonction coranique, dont la traduction en actes au cours des siècles ne fut pas seulement pacifique: fais le bien, combats le mal.
En son expression politique, l’islamisme n’est par définition pas militaire, mais il entretient avec l’Occident une tension identitaire peu propice à la tranquillité de l’âme. 
Sa marque de fabrique autant que son succès s’impriment dans son programme social: le combat contre les «injustices», la hogra, en arabe. En vogue dans les partis islamistes au Maghreb, ce thème ancré à gauche, auquel le christianisme n’est pas non plus insensible, s’habille donc de religieux en Europe auprès d’une partie des citoyens de confession musulmane. 

Les prédicateurs islamistes ne manquent pas de rappeler l’injonction coranique, dont la traduction en actes au cours des siècles ne fut pas seulement pacifique: fais le bien, combats le mal. 

En Europe, il n’y a d’islamisme qu’en termes compétitifs et concurrentiels avec l’Occident des droits de l’homme, perçu comme détaché du socle divin.
Qui est islamiste? 
Le terme étant péjoratif et parfois accolé à celui de terrorisme, bien peu, voire personne ne se dira islamiste en Europe. 
Il y a ou il reste cependant des prédicateurs ou militants islamistes actifs sur les réseaux sociaux. 
L’étau policier étant ce qu’il est en raison de la menace d’attentats, le discours islamiste de conquête, en vogue dans les années 90, est probablement rare sinon inexistant aujourd’hui dans une enceinte ouverte au public. Aussi se manifeste-t-il, en cette période de terrorisme d’extrême droite toujours possible, de persécution en Chine et de domination israélienne sans fin en Cisjordanie, dans des appels au repli de la «communauté» en vue de… 
La suite est sibylline et l’ensemble est empreint de cette paranoïa propre aux mouvement sectaires, au-delà des légitimes inquiétudes musulmanes partagées par la majorité les non-musulmans soucieux de paix civile.

Toute expression de l’islam, pourvu qu’elle ne soit pas expressément violente, est ici vue comme une juste compensation à l’injuste sort.

Qui est islamiste? En Europe, du moins en France, il y a moins d’islamistes que d’islamisme. L’islamisme étant aussi la confessionnalisation d’une question a priori sans lien avec la religion, celui-ci s’exprime par bribes et intermittence chez certains individus ou même au sein de partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. 
On n’est pas islamiste à temps plein. On peut ne pas être musulman et adopter une posture islamiste. On peut même être hostile aux islamistes et momentanément abonder dans un sens servant leurs intérêts, par une vision juridique à l’excès du principe laïcité, par exemple.
Prenons l’exemple de la manifestation du 10 novembre 2019 à Paris contre l’islamophobie, suite à l’attaque terroriste de la mosquée de Bayonne, qui avait grièvement blessé deux personnes. 
Quels en étaient les organisateurs? Principalement des élus ou militants d’extrême gauche. 
Mais qui en étaient les «rabatteurs»? Au moins un site, dont le directeur est familier des discours apocalyptiques et qui ne cache pas ses faveurs pour les sociétés islamistes en référant à la charia. Pouvait-on imaginer alliance à première vue plus contre-nature? 
L’intéressé avait été prié de ne pas se montrer à la marche, ce qu’il avait accepté pour les besoins de la cause.
Nous retombons ici sur le constat de départ: l’alliance, fût-elle objective et passagère, entre la gauche progressiste et l’islam réactionnaire. Cette donnée paradoxale s’enracine dans l’histoire de la colonisation transposée à la banlieue et résulte d’une hiérarchie particulière des priorités. 
Pour cette gauche-là, principalement issue de la deuxième génération de l’immigration maghrébine, celle qui s’imagine devoir payer sa dette aux parents pour une liberté offerte dans le pays qui fut leur «oppresseur», l’adversaire n’est pas d’abord, voire pas du tout, le «barbu» et la «voilée», mais l’«État colonial» et son bras sécuritaire, la police. 
Toute expression de l’islam, pourvu qu’elle ne soit pas expressément violente, est ici vue comme une juste compensation à l’injuste sort. Cela tient très peu la route en termes de lutte contre le sexisme et pour la tolérance envers l’homosexualité, mais tant pis, pourrait-on dire.
Pure posture, car en réalité, cette gauche qui rejoue, en paroles, la «guerre de libération», travaille à l’émancipation d’une population pour partie conservatrice. Mais elle n’entend pas le faire aux dépens de la religion, ici l’islam, ciment identitaire de cette libération. On se mord la queue.

L’islamisation a gagné face à une laïcité trop abstraite, qui plus est dépourvue des ressources économiques et financières.

Cet «État colonial» qui perdurerait explique par ailleurs que de nombreuses femmes et jeunes femmes d’origine maghrébine, n’ayant elles-mêmes jamais porté le voile, aient pris non pas tant la défense d’adolescentes interdites de voile à l’école, que du principe du voilement. 
Parce que la France, avec ses lois «islamophobes», se comporterait encore comme l’administration coloniale organisant des cérémonies de dévoilement durant la guerre d’Algérie. 
Argument faible, tant ces mêmes femmes, en France et parce qu’en France, ont pu se libérer de contraintes coutumières ou idéologiques, ces pressions émanant du milieu familial, du quartier ou encore d’une conscience politique faisant la part belle à une théologie de la libération, à un islam de résistance, tel qu’il habita le Mouvement de l’immigration et des banlieues dans les années 90 et au début de la décennie suivante.
Cet «islamisme de France», en fin de compte, beaucoup en croquèrent, même si parmi eux, la plupart n’avait aucune appétence pour l’islamisme réel. 
Cela constitua un dilemme dans les quartiers durant la guerre civile en Algérie: on soutenait en France des «FIS» français, qui se mobilisaient pour le droit de porter le voile à l’école et avaient dit leur opposition à la parution des Versets sataniques de Salman Rushdie, tout en dénonçant bien sûr les attentats des GIA, de même que les disparitions imputées au régime - peut-être le Front islamique du salut, le vrai, était-il arrivé premier également en France aux législatives interrompues de décembre 1991. 
«Pièce rapportée» d’une histoire mal digérée, la deuxième génération de l’immigration maghrébine fut en permanence aux prises avec des dilemmes, cherchant notamment du réconfort chez Tariq Ramadan, qui lui parlait si bien de Malcolm X.
Si l’islamisation des «Territoires perdus de la République», titre d’un ouvrage polémique paru de 2002, précédant de deux ans le rapport Obin de même orientation, est semble-t-il en bonne marche, voire réalisée, ce qui n’est pas illégal, l’islamisme, lui, paraît en perte de vitesse en tant que discours mobilisateur. 
Peut-être parce qu’il a gagné face à une laïcité trop abstraite, qui plus est dépourvue des ressources économiques et financières qui auraient permis l’insertion professionnelle, par ailleurs peu aidée par un égalitarisme qui aura fabriqué de la fuite en avant et pour finir des «bombes sociales», en banlieue comme en France périphérique.

L’on voit émerger depuis quelques années un phénomène d’identification aux pays d’origine, et cela passée la deuxième génération de l’immigration.

Si l’islamisme se meurt, on pourrait dire aussi qu’un «nouvel islamisme» se redéploye ou tente de le faire. Dans le féminisme, dans l’écologie, dans l’antiracisme, plus généralement dans les thématiques intersectionnelles. N’oublions pas que pour l’islamiste, c’est moins la foi en Dieu que la reconnaissance et si possible l’imposition de l’islam en tant que paradigme civilisationnel qui compte. 
L’évolution «laïque» de certains membres du Comité Adama, il n’y a pas si longtemps dans une rhétorique islamiste, du moins religieuse, ne leur a pas fait abandonner en cours de route leurs récriminations contre l’«État raciste» et tout l’esprit d’agit-prop qui les constitue. 
Et qu’a-t-on appris dernièrement? Tariq Ramadan, mis en examen pour viols, bénéficiant comme il se doit de la présomption d’innocence, a annoncé fin août vouloir créer un «Centre de recherche et de formation» appelé à traiter, entre autres, de religion, de féminisme, d’écologie, de colonialisme et de racisme.
Plus concrètement et de façon sans doute plus préoccupante pour l’État relativement unitaire qu’est restée la France, l’on voit émerger depuis quelques années un phénomène d’identification aux pays d’origine, et cela passée la deuxième génération de l’immigration. 
Certainement est-ce cette singularité qu’a pointée du doigt le président Macron en parlant de «séparatisme» lors d’un déplacement à Mulhouse au début de l’année.
Cela se traduit notamment par des compétitions de football mettant aux prises des équipes «nationales» dans les quartiers lors de la Coupe d’Afrique des nations. Et cela s’accompagne sur les réseaux sociaux d’un patriotisme exotique, parfois doublé d’une affirmation d’attachement à la religion musulmane. 
Ces manifestations d’appartenance ne sont pas incompatibles avec un patriotisme en bleu lorsque joue la France et l’on voudrait que ce ne soit que bon enfant, comme le prétendront tous ceux qui de tout temps ont toujours minimisé les questions identitaires, soit parce qu’ils ne voulaient pas les voir, soit parce qu’ils les approuvaient sans le dire. 
Mais l’affaire «Mila», de nom de cette adolescente ayant proféré des insultes contre l’islam, a montré que ce qu’il y avait de bon enfant dans ces identités «Panini» pouvait se transformer en haine passagère. L’islamisme, s’il demeure, est aujourd’hui moins un programme politico-religieux qu’une affirmation nationaliste, «ottomane» par exemple, avec Erdogan en patron, mais aussi française.

Source Le Figaro
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