Cette dernière avait enregistré le témoignage de trente anciens étudiants, professeurs et bénévoles de l’IFTJ et, après analyse, avait conclu que “les indicateurs d’une dérive de nature sectaire utilisés par la Miviludes sont largement présents dans les témoignages, qui évoquent l’emprise mentale, des manipulations psychologiques, des pressions et des menaces constitutives de l’abus de faiblesse (l’article 223-15-2 du Code pénal)”. Outre l’aspect pénal, l’affaire, complexe, pose la question du pouvoir et de l’autorité du pasteur.
Jacques Elbaz, un pasteur des Assemblées de Dieu
Qui est Jacques Elbaz ? Élevé en France dans le judaïsme, relate un article de septembre 2014 de la revue Pentecôte, il se convertit jeune homme au christianisme.
En 1996, il obtient une carte pastorale de l’Union nationale des Assemblées de Dieu (ADD, principale dénomination pentecôtiste au monde)de France. Deux ans plus tard, il s’installe en Israël avec sa famille.
Il est envoyé par l’Action missionnaire, le pôle de la mission internationale des ADD de France.
Jacques Elbaz se voit confier trois paroisses en Israël, dans les villes de Jérusalem, Ashdod et Tel Aviv – les deux premières ont fermé depuis. Ces églises ne dépendent pas des ADD mais de la Communauté des Églises protestantes francophones (Ceeefe, membre de la Fédération protestante de France, FPF).
Quant à l’IFTJ, fondé en 2007 par Jacques Elbaz, il a changé à plusieurs reprises de nom: ITFJ, ITF-FTJ, IFTJ ou encore ITJ-FTJ.
Cet institut ne dépend d’aucune institution: ni des ADD, ni de la Ceeefe. Son conseil d’administration, dont Jacques Elbaz est le président, est le même que celui de l’église de Tel Aviv.
Sur le site internet de l’IFTJ, Jacques Elbaz raconte avoir voulu de longue date “fonder une école de formation francophone en Israël, afin de communiquer aux étudiants les racines juives de la foi chrétienne tout en leur permettant d’explorer la géographie et l’archéologie du pays de la Bible”.
Jacques Elbaz raconte qu’à la suite d’une “parole de connaissance” du pasteur pentecôtiste Éric Célérier, fondateur du portail web Top chrétien, un agent immobilier lui aurait proposé un bâtiment situé rue des Prophètes, à Jérusalem – l’immeuble est en réalité localisé dans la rue Antara Ben Shaddad, voisine de la rue des Prophètes.
C’est dans ce bâtiment que se trouvent aujourd’hui les locaux de l’IFTJ, inaugurés le 17 novembre 2007 en présence de Simone Gbagbo, épouse du président ivoirien de l’époque, Laurent Gbagbo.
La question des diplômes
Maître de conférences à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, l’historien et bibliste Michael Langlois a accompagné les débuts de l’IFTJ. En avril 2008, Jacques Elbaz le nomme coordinateur pédagogique. Le chercheur s’enthousiasme pour ce “beau projet” au potentiel “unique”.
Dans un premier temps, Michael Langlois est séduit par le “dynamisme” de Jacques Elbaz et par ses talents d’organisateur. Rapidement, cependant, des “doutes” affleurent.
Le chercheur déplore des “pressions” et des “immixtions” du directeur de l’IFTJ dans le choix des enseignements, le recrutement des enseignants et les critères de validation académique des cours. Estimant que ses “efforts et avertissements” sont restés “vains”, Michael Langlois décide, en juin 2008, de démissionner.
Il avertit Jacques Elbaz qu’il ne peut plus assurer la création du cursus et l’attribution des crédits ECTS, le système européen de transfert et d’accumulation de crédits universitaires.
À ce jour, les crédits et les diplômes théologiques de l’IFTJ ne sont reconnus par aucune des principales institutions de théologie protestantes en France. Le 11 avril 2010, pourtant, en visite dans une église des ADD de Sarcelles, dans le Val-d’Oise, Jacques Elbaz affirmait que les diplômes de l’IFTJ avaient une “validité reconnue dans le monde entier au niveau de la théologie”, avant d’ajouter que “les crédits sont transférables dans n’importe quelle université dans le monde”.
Au mois de février 2012, Jacques Elbaz est en France pour faire la promotion de son institut auprès de plusieurs paroisses des ADD. C’est là que Déborah le rencontre pour la première fois.
“Il présentait l’IFTJ comme une école reconnue par la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, qui délivrait des crédits ECTS”, affirme la jeune femme.
Selon les informations récoltées par Réforme, le conseil de Faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg du jeudi 21 février 2013 a opposé une fin de non-recevoir à la demande de l’IFTJ d’une convention entre les deux institutions.
La “Fédération protestante de France en Israël”
De passage à Jérusalem en octobre 2012, le théologien André Birmelé, alors professeur de théologie systématique à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, s’était rendu à l’IFTJ.
“La rencontre fut brève, se souvient-t-il. Je me rappelle avoir été surpris par le logo de la FPF, fort visible, et par les explications reçues sur le contenu de la formation, qui ne correspondait pas à ce que l’on conçoit pour des études de théologie.
De retour à Strasbourg, j’ai signalé qu’une coopération entre notre faculté et cet institut me semblait des plus problématiques.”
Le logo de la FPF figurait alors sur une plaque à l’entrée de l’IFTJ. Jacques Elbaz, en 2006, avait créé la Fédération protestante de France en Israël (FPFI). Cette dernière, de statut associatif israélien, n’a aucun lien avec la FPF, créée en 1905 et dont la mission est de représenter le protestantisme français auprès des pouvoirs publics.
Une lettre de 2006 du “Révérend Pasteur Jacques Elbaz”, que Réforme a pu consulter, montre le logo de la FPF aux côtés de l’intitulé “Fédération protestante de France en Israël”.
Il semblerait que les liens entre FPF et FPFI aient pu être source de confusion: dans son rapport d’activités de l’année 2015, le Défap, le service protestant de mission, indiquait vouloir “clarifier les relations entre la FPF et , en particulier concernant les prises de position politiques et religieuses dans un contexte ultrasensible”.
“Jacques Elbaz me l’a dit: il voulait profiter de la notoriété de la FPF pour donner du crédit à son institut et faciliter les levées de fonds, affirme Michael Langlois. Je l’ai d’ailleurs entendu mentir à plusieurs reprises, y compris en chaire, pour récolter de l’argent.
Ses méthodes étaient bien connues des autres églises. À ce sujet, Jacques Elbaz ne cessait de me mettre en garde contre les autres pasteurs et m’intimait de ne pas leur parler. Ce procédé est systématique chez lui. À certains étudiants, sur lesquels il exerce une forte autorité, il interdit tout contact avec certaines personnes ou certaines églises, y compris évangéliques.”
L’existence d'”interdits”, selon de nombreux témoignages
De nombreux témoignages font part de l’existence d’”interdits” au sein de l’IFTJ. “Les réunions entre étudiants étaient interdites en dehors du temps de culte quotidien, affirme ainsi Laura*, qui a passé trois années à l’IFTJ. Nous n’avions pas le droit de parler avec les professeurs invités en dehors des temps de cours.”
“Dès ma première venue à l’IFTJ, Jacques Elbaz m’a formellement interdit tout contact avec les étudiants en dehors des heures de classe”, atteste David, professeur invité entre 2011 et 2018.
Lors de la création de l’IFTJ, Jean-Philippe est “l’homme à tout faire” de Jacques Elbaz. Au début, témoigne-t-il, tout se passe bien. “J’étais bénévole et je travaillais beaucoup, car j’avais à cœur de développer cette œuvre. Mais au fil des mois, ma charge de travail n’a cessé d’augmenter; je n’avais pas même un jour de repos par semaine.
J’étais à la fois la plume de Jacques, j’aidais à préparer les cultes et j’étais chargé de la communication de l’institut. Mais il m’en demandait toujours plus. Au début du mois de mars 2007, il m’a donné une semaine pour créer le nouveau site internet de l’IFTJ. Au même moment, un chanteur chrétien reconnu avait été invité pour donner un séminaire de louanges suivi d’un concert. Je désirais vraiment y assister.
Jacques m’a dit que je le pourrais seulement si le site était achevé. Le jour du concert, il était très avancé mais pas encore fini. Jacques m’a alors lancé : “Qu’est-ce qu’on a dit ? Tu termines le site et tu peux assister au concert.” Je n’ai pas pu y aller. J’étais effondré.”
Marie* a pris contact avec Réforme après la parution, le 29 juin dernier, d’un bref article sur l’IFTJ sur notre site. “Outre les interdictions, nous avions des obligations, comme celle d’assister au culte chaque samedi à Tel Aviv, où il fallait signer une liste de présence, confie-t-elle.
Dès que l’on sortait, Jacques Elbaz nous répétait qu’il ne fallait surtout pas parler de lui, ni de l’institut.”
Une liste d’”exigences”
En 2018, répondant à un “appel”, Michaël Gerber décide, soutenu par son épouse, de venir à Jérusalem étudier la théologie. Le couple, qui a quatre enfants, prévoit de rester trois ans dans la ville sainte. La famille s’installe dans un appartement et non à l’IFTJ, où résident en pension complète la plupart des étudiants.
Les débuts, rapporte ce Suisse de 38 ans, sont encourageants. Mais certains comportements l’“interpellent”. “La direction souhaitait renvoyer une étudiante qui remettait en question le fonctionnement de l’IFTJ. Le prétexte utilisé était monétaire: elle n’avait pas assez d’argent pour terminer de payer son année d’études.
Comme nous trouvions injustes les brimades publiques dont elle était victime, sachant qu’il s’agissait d’une personne fragile, nous avons réuni des donateurs qui lui ont permis de payer son année.”
Ce serait à partir de là que les choses auraient commencé à prendre un autre tour. “Fin 2019, j’ai été convoqué à deux entretiens dans le bureau de Jacques Elbaz.
Il m’a notamment reproché d’avoir organisé avec mon épouse un barbecue rassemblant des étudiants.
Puis il est passé aux interdictions: il m’a intimé de cesser de me rendre au groupe de prières d’une église évangélique de Jérusalem, car il était fréquenté par des ‘faux docteurs’.”
Pour le second entretien, Michaël Gerber affirme s’être rendu avec une liste récapitulant les interdits dont un autre couple, convoqué auparavant, aurait été notifiés.
“Je pensais que le fait pour Jacques Elbaz de voir cette liste lui montrerait toute l’absurdité de la situation, dit Michaël Gerber. Mais il l’a au contraire signée en m’informant que soit je me soumettais à ses ordres, soit je ne pourrais pas terminer mon cursus à l’IFTJ.”
Le document en question, que Réforme a pu consulter, présente une liste d’interdits détaillés : “ne pas faire rencontrer des personnes externes à la faculté à mon domicile et en tout temps”, ne pas “inviter des étudiants à dîner chez moi, même dans un contexte d’amitiés et de partage”, ne pas “recevoir à mon domicile (un couple), bien que ce soit des amis d’enfance”, etc. La liste, datée du 13 novembre 2019, présente les signatures de Jacques Elbaz et de Michaël Gerber.
Deux plaintes en Israël
Quelques heures plus tard, ce dernier affirme avoir reçu un appel du directeur de l’IFTJ qui lui aurait ordonné de rapporter cette liste pour la “retravailler”. “Il a dès lors présenté ces interdits comme des “conseils amicaux”, mais les a maintenus.”
Les mois qui suivent se déroulent dans un climat de “suspicion”, de “surveillance” et de “stress psychologique”. Le 15 février 2020, Michaël Gerber décide de quitter l’IFTJ mais compte rester avec sa famille en Israël jusqu’au 28 mai, date de l’expiration des visas.
Dans la foulée, Orah, l’épouse de Michaël, dit avoir commencé à “enquêter” pour savoir si d’autres personnes, par le passé, avaient pu “souffrir” de leur passage à l’IFTJ. Le 29 mars, le couple reçoit un courriel signé des époux Elbaz lui demandant de “cesser” de contacter d’anciens étudiants pour “monter une cabale contre (eux)”.
Le 11 juin au matin, la police israélienne sonne au domicile des Gerber. Michaël est emmené, devant ses enfants, au poste de police. Une plainte, apprend-il, a été déposée par des étudiants de l’IFTJ pour “maltraitance d’enfants”.
“Choqué”, Michaël Gerber décide de porter plainte en Israël contre Jacques Elbaz pour diffamation, harcèlement et abus spirituels.
Déborah a étudié à l’IFTJ deux ans avec son mari, de 2012 à 2014. “Après notre première année à l’IFTJ, nous n’avions pas les fonds pour poursuivre notre cursus, rapporte-t-elle.
Jacques Elbaz nous a assuré que ce n’était pas un problème, que l’école était financée par des dons et qu’il discernait en nous de futurs responsables d’église. Mais lorsque, un an plus tard, nous avons dit à Jacques Elbaz que nous ne nous sentions pas prêts à prendre en charge une église, notre vie est devenue un calvaire.
Il a essayé de nous dresser l’un contre l’autre, puis nous a menacés d’une créance, sans quoi nous n’aurions ni diplômes, ni relevés de notes. Nous étions harcelés, surveillés en permanence ; Jacques Elbaz nous disait que rien ne lui échappait à l’IFTJ. Je me suis sentie prise au piège, au point d’avoir des envies suicidaires.”
Étudiant à l’IFTJ pendant trois ans et demi, Julien* se présente comme un ancien “bras droit” de Jacques Elbaz.
Ce dernier lui répète qu’il va l’”installer” dans une paroisse des ADD en France Mais les relations entre le directeur de l’institut et Laura, l’épouse de Julien, se seraient rapidement dégradées.
“Après que mon épouse a fait une fausse couche, il m’a intimé de ne pas faire d’enfant tant que j’étais en Israël, quitte à me faire un ‘nœud’, car le ministère était “prioritaire”.
Il a par la suite affirmé qu’il s’agissait là d’une “parole de connaissance” et me répétait de “dominer” ma femme. Lorsque mon épouse a fait une autre fausse couche, l’année suivante, il a affirmé que c’était un message de Dieu, que cette nouvelle fausse couche était due à notre “désobéissance”. Par la suite, j’ai été rabaissé, humilié, mis au placard.” “Le directeur s’ingère dans la vie privée des étudiants, soutient David.
Une femme m’a confié n’avoir pas pu entamer une relation amoureuse car Jacques Elbaz le lui avait interdit. Elle était paniquée à l’idée qu’il apprenne que nous avions eu cette discussion.”
Le témoignage du professeur Antony Perrot
De nombreux témoignages font aussi état d’“humiliations” et de “dégâts psychologiques”.
“J’ai vu Jacques Elbaz se moquer publiquement des membres de son église, parfois même en chaire, assure Michael Langlois. Il tient volontiers des propos humiliants, notamment à l’endroit des plus fragiles. Je me souviens qu’il s’est moqué en public d’une jeune femme parce qu’il jugeait qu’elle s’habillait ‘comme un sac’.”
Marie ajoute avoir croisé à l’IFTJ plusieurs personnes “en grande souffrance”, “totalement sous l’emprise de Jacques Elbaz”. Jean-Philippe, lui, rapporte être reparti d’Israël “épuisé, usé, vidé de mes forces physiques mais surtout psychologiques. Avec mon épouse, nous avons mis des années à surmonter cette épreuve.”
Antony Perrot est professeur d’Ancien Testament de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. L’année de ses 18 ans, en 2009, il avait rejoint l’IFTJ avec sa mère pour se former au pastorat. “Jacques Elbaz m’a affirmé vouloir prendre mon fils “sous son aile” pour le propulser dans le milieu des ADD, décrit cette dernière.
Son comportement envers moi a brutalement changé lorsqu’une étudiante a dit que je faisais des avances à M. Elbaz, et que j’ai refusé de continuer à l’accompagner.
Dès lors, je me suis retrouvée mise à l’écart, à manger seule et sans personne à qui parler. Jacques Elbaz m’a convoquée à plusieurs reprises pour me signaler que si je me plaignais, mon fils n’aurait pas de ministère.”
“J’ai mis du temps avant de prendre conscience que M. Elbaz cherchait à m’éloigner de ma mère, révèle aujourd’hui Antony Perrot. Il la présentait comme un “frein” à mon futur ministère.
Jacques Elbaz met à mal le texte biblique et a l’habitude de tordre son sens selon ses propres intérêts; il utilise son autorité spirituelle pour asseoir son pouvoir.
Depuis mon retour en France, j’ai rencontré pléthore de personnes ayant subi des pressions morales et spirituelles de la part de M. Elbaz. Il faut que nos instances prennent enfin la mesure des souffrances causées par ce pasteur. Il est de ma responsabilité de chrétien de les avertir, pour éviter qu’il fasse de nouvelles victimes.”
L’affaire est désormais entre les mains de la justice.
* Les prénoms suivis d’un astérisque ont été modifiés.
Source Reforme
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