Rebondissant sur la polémique ayant suivi l'interdiction qui avait été lancée par un juge à la diplomate de s'exprimer dans les médias, le chef chiite a appelé Mme Shea à "se respecter elle-même" et à "ne pas dépasser cette limite".
Dans son discours télévisé, le dignitaire chiite n'a pas directement commenté la question d'une démission éventuelle du gouvernement de Hassane Diab, qui semblait près de tomber la semaine dernière après avoir perdu le soutien de ses parrains, soulignant simplement que "c'est le peuple qui décide si le gouvernement reste ou démissionne, pas l'ambassadrice américaine".
"Actes d'un pays colonisateur"
Dans une longue partie de son intervention télévisée, le chef du Hezbollah a accusé l'ambassadrice américaine "d'ingérences" dans les affaires internes du Liban et notamment dans le cadre des nominations au sein de la Banque du Liban (BDL).
"Ces procédures ne sont peut-être pas nouvelles, mais l'inédit c'est qu'elle le fait au vu et au su de tous, a-t-il accusé. Tout le monde sait qu'elle a menacé de ne pas fournir d'aide financière si une telle personne ou une autre n'était pas nommée.
S'agit-il de diplomatie ou d'actes d'un pays colonisateur ?"
Et de dénoncer les propos tenus dans les médias par la diplomate américaine "qui a attaqué" le Hezbollah et commenté l'avenir du gouvernement. "C'est le peuple qui décide si le gouvernement reste ou démissionne, pas l'ambassadrice américaine", a-t-il lancé.
Le leader chiite a encore regretté que l'Etat "n'ait pas dit un mot" à ce propos et n'ait pas considéré que "cela pose problème".
Il a estimé que ces prises de position de la part de Dorothy Shea visaient à "monter les Libanais les uns contre les autres".
Le dirigeant a, dans ce contexte, salué la décision du juge des référés à Tyr, Mohammad Mazeh, "un magistrat courageux et qui travaille dans l'intérêt de la nation", qui avait il y a deux semaines décidé d'interdire aux médias libanais et étrangers travaillant au Liban d'interviewer, durant un an, l'ambassadrice des États-Unis.
Hassan Nasrallah a dans ce cadre demandé au Conseil supérieur de la magistrature de ne pas accepter la démission du juge Mazeh.
"Nous appelons l'ambassade américaine à respecter les accords de Vienne et demandons à Mme Shea de ne pas évoquer certains sujets, comme les droits de l'homme, lors de ses interventions télévisées, parce qu'elle travaille dans un pays qui souffre des répercussions des guerres lancées par les Etats-Unis dans la région et de leur soutien à Israël", a ajouté le dignitaire.
Et d'accuser Washington d'exploiter la crise économique et financière pour imposer "des choix spécifiques" au Liban et isoler le Hezbollah".
"Mais nous ne nous rendrons pas. La politique de sanctions et de siège que vous exercez ne nous affaiblira pas, a-t-il martelé.
Elle va au contraire affaiblir vos alliés. Alors ne sanctionnez pas le peuple libanais, parce que vous n'allez pas atteindre vos objectifs".
"Le Liban doit devenir un pays producteur"
Le chef du Hezbollah s'est en outre penché sur la crise économique et financière que traverse le Liban, la pire de son histoire.
"La situation actuelle nécessite la coopération et les efforts de tous", a-t-il affirmé.
"L'effondrement économique et financier et la famine ne concernent pas une région ou une communauté spécifique, et doivent être considérés en prenant en compte tous les Libanais et même toutes les personnes qui vivent au Liban, y compris les réfugiés palestiniens et syriens", a-t-il souligné.
"Il ne faut pas se limiter à une seule option pour sortir de la crise", a dans ce contexte estimé le chef du Hezbollah, en mentionnant notamment les négociations du gouvernement avec le Fonds monétaire international (FMI). Nous devons frapper à toutes les portes possibles pour empêcher l'effondrement et prévenir la famine".
"Nous ne pouvons pas rester les bras croisés en attendant les résultats" de ces négociations.
Hassan Nasrallah a en outre appelé l'Etat et les Libanais à investir dans le secteur agricole, regrettant que dans le pays, "quasiment tous les produits de consommation sont importés".
"Le Liban doit devenir un pays producteur", a-t-il lancé.
"L'Etat libanais et le peuple ont tous la responsabilité de cette transition. Nous devons cultiver", a-t-il poursuivi, soulignant que tous les facteurs étaient du côté du Liban à cet effet, qu'il s'agisse notamment des terrains disponibles ou du climat.
"Tout ce qui nous manque, c'est une prise de décision", qui doit également s'appliquer à la production industrielle, a-t-il souligné.
"En tant que Hezbollah, nous appelons les Libanais à se lancer dans le combat de la redynamisation des secteurs agricole et industriel, a déclaré le dignitaire chiite. Nous devons tous devenir des agriculteurs et des industriels, pas juste pour survivre, mais pour sauver notre pays".
Et de souligner que "le travail de la terre n'a rien d'honteux", appelant les Libanais à commencer à planter "même sur le pas de leur porte ou sur leur balcon". "Cela permettra d'assurer notre souveraineté et notre dignité", a-t-il estimé.
La coopération avec l'"Est"
Dans le cadre des solutions à la crise économique et financière, Hassan Nasrallah est revenu sur la question de la coopération avec "l'Est", la Chine et l'Iran plus particulièrement.
Il a dans ce cadre souligné que lorsqu'il évoque cette éventualité, "cela ne signifie pas qu'il faut totalement se détourner de l'Occident.
Il faut pouvoir coopérer avec tous les pays, y compris les Etats-Unis, à l'exception d'Israël, et avec toutes les entreprises et organismes qui peuvent fournir des aides ou des prêts", a-t-il ajouté.
"Se tourner vers l'Est ne signifie pas que l'on aligne le pays sur un axe spécifique", a-t-il déclaré.
"Lorsque nous avons évoqué la possibilité de coopérer avec la Chine, nous avons vu que les Etats-Unis ont réagi avec colère, notamment à travers leur secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, et l'ambassadrice américaine", Dorothy Shea, a-t-il souligné, estimant que cette réaction est "la preuve qu'une telle coopération ferait sortir le Liban de l’emprise américaine".
Le chef du Hezbollah a encore démenti que son appel à coopérer avec l'Iran aurait pour but de "modifier l'identité du Liban".
"Si la Chine vient investir au Liban, cela ne veut pas dire que nous voulons que notre pays devienne communiste", a-t-il indiqué.
Il a souligné par ailleurs que "le modèle économique iranien leur permet de tenir depuis quarante ans, malgré les pressions et les sanctions".
"Pourquoi avez-vous peur de coopérer" avec un tel régime, a-t-il souligné, estimant que toute proposition d'aide venant de Téhéran devait être "prise en compte".
Et de poursuivre : "Combien économiserait la Banque centrale si nous achetions du carburant en livres libanaises à l'Iran ?", a-t-il demandé, indiquant avoir évoqué cette question avec des responsables libanais.
Hassan Nasrallah a encore encouragé une coopération avec l'Irak, dénonçant les parties qui ont estimé qu'une telle collaboration "n'aboutira pas parce que Washington fera pression sur Bagdad".
Evoquant enfin brièvement la situation régionale, Hassan Nasrallah a estimé que le projet israélien d'annexion est "la chose la plus dangereuse" qui se passe actuellement au Proche-Orient.
"Nous sommes en contact avec toutes les factions palestiniennes et, hier, nous avons dans ce cadre reçu une lettre d'Ismaïl Haniyé (le chef du Hamas, ndlr)". "En tant que Libanais, nous ne devons jamais oublier la cause palestinienne et nous devons rester aux côtés de l'Etat et du peuple palestiniens et les soutenir face à ces plans, quitte à recourir à l'escalade", a-t-il déclaré.
Source L'Orient le jour
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