Arrêtés par la police du gouvernement de Vichy, complice de l’occupant nazi, plus de 11 000 enfants furent déportés de France de 1942 à 1944 et assassinés à Auschwitz parce qu’ils étaient nés juifs. Plus de 1 000 de ces enfants vivaient dans le 20e arrondissement.
Ne les oublions jamais. » À l’entrée de l’école primaire Julien-Lacroix, en plein Ménilmontant, on lit sous ce texte la liste nominative des 82 enfants déportés qui y furent scolarisés.
Depuis la fin des années 1990, plus de 400 de ces plaques commémoratives ont été posées sur des écoles parisiennes. C’est l’œuvre du Comité de l’école Tlemcen, une association pour la mémoire des enfants juifs déportés du 20e, cofondée par Jacques Klajnberg, ancien enfant caché puis résistant à Ozoir-la-Ferrière (Seine-et-Marne), et présidée par Rachel Jedinak, rescapée de la rafle du Vel’d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942.
Rachel Jedinak était alors à peine plus jeune que Farah, Joseph, Louwel, Bilali, des CM1-CM2 de Julien-Lacroix qui ont travaillé en 2019 sur cet épisode historique. Ménilmontant, ce petit Yiddishland, « était [s]a maison », comme elle l’écrit dans le livre Nous étions seulement des enfants (1). Jacques Klajnberg avait lui une quinzaine d’années.
Julien-Lacroix était « [s]on école ». Dans le cadre d’un atelier scolaire, les réalisateurs en herbe de la classe d’Amar Trabelsi ont mené une enquête documentaire sur les rafles d’enfants juifs survenues dans leur école. Ils ont notamment interviewé ces deux personnes. De ces rencontres intergénérationnelles, les réalisateurs Antarès Bassis et Pascal Auffray ont tiré leur propre documentaire,
Les Gamins de Ménilmontant, sur le cheminement des enfants, posant en filigrane la question de la transmission de cette mémoire alors que disparaissent peu à peu les survivants de la Shoah.
Alors que le témoignage a pris une place centrale dans la construction du récit historique et de la mémoire collective, ce que l’historienne Annette Wieviorka nomme « l’ère du témoin » touche à sa fin. Rachel Jedinak, 86 ans, le sait mieux que quiconque.
Depuis 1997, la présidente du Comité se rend partout, y compris dans les quartiers « sensibles », pour rencontrer des CM2, des troisièmes et des lycéens. Son obsession : « Laisser des traces. » Plus seulement pour que le monde sache, mais aussi pour « mettre en garde les jeunes contre le racisme et l’antisémitisme ».
À l’époque de la France « black-blanc-beur », comment réagissait-on à son récit ? « On me regardait avec des yeux ronds, y compris les profs, se souvient-elle. Il a fallu beaucoup de psychologie et de pédagogie, mais avec les CM2, ça a accroché tout de suite, entre eux et l’enfant que j’étais pendant la guerre. » Une enfant dont 15 membres de la famille ont été exterminés.
Un travail de déconstruction
« Depuis, les profs ont fait de l’excellent boulot et je suis globalement bien reçue, en quasi-héroïne », se félicite Rachel Jedinak. Même si l’actualité internationale interfère parfois : « On essaie de me faire parler d’Israël. Je réponds que je ne fais pas de politique, que l’on est en France pour parler de la France. »
« Les réactions hostiles, c’est surtout au collège et au lycée », souligne le professeur des écoles Amar Trabelsi. D’où l’intérêt selon lui de faire un travail de déconstruction dès la primaire, avant que l’amalgame entre Juifs et Israéliens ne se cristallise.
L’approche incarnée des Gamins de Ménilmontant semble la bonne voie. Dans une scène marquante, l’instituteur trace une ligne à la craie dans la cour de récréation.
Par ce geste, un directeur zélé avait voulu séparer les Juifs du reste du groupe soixante-quinze ans plus tôt, au même endroit.
« Que la guerre ait pu s’immiscer jusque dans ce sanctuaire entraîne une prise de conscience dans un Ménilmontant marqué par des immigrations récentes, maghrébines ou d’Afrique de l’Ouest, explique-t-il.
Certains se sont dit : “En fait, les Juifs étaient les immigrés pauvres et honnis de l’époque.” »
Au-delà du processus d’identification, « le documentaire sert à affirmer : “Nous, on les a rencontrés” », insiste Amar Trabelsi, persuadé que ses élèves mesurent cette chance que la génération suivante n’aura plus.
De quoi donner de l’espoir à une Rachel Jedinak néanmoins lucide : « Grâce à la littérature ou aux documentaires, il restera des traces, mais il ne faut pas se leurrer, dans les rétrospectives historiques, certaines choses paraîtront lointaines après nous. »
À 92 ans, Jacques Klajnberg espère que ce travail de transmission n’aura pas été vain, lui qui s’est retrouvé pratiquement seul pour raconter la dénonciation et la déportation de ses 15 camarades juifs cachés à Ozoir-la-Ferrière.
« La Shoah est un événement unique ; elle ne peut être effacée, avance-t-il. Mais si les jeunes laissent tomber le témoin, ça se réduira à une sorte de date sans écho, comme le 11 Novembre.
L’espoir renaîtra si, parmi la génération de mes arrière-petits-enfants, on se bouge pour transmettre et alerter en répétant que le rouleau compresseur du racisme est un danger dont tout le monde peut être victime. »
(1) Nous étions seulement des enfants. Une vie pour vivre, une vie pour se souvenir, éd. Fayard, 2018, 144 p., 15 €.
Les Gamins de Ménilmontant (2020), de Pascal Auffray et Antarès Bassis, dans L’heure D. Mercredi 15 juillet à 0h15 sur France 3, visible en replay sur France.tv jusqu’au 15 août.
Source Telerama
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