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mardi 2 juin 2020

Microbiote tumoral: des bactéries à l’intérieur de cellules cancéreuses (Weizmann Institute of Science)


Des bactéries résident à l’intérieur de cellules tumorales et cette population bactérienne intratumorale diffère selon la variété de cancer. Tel est le surprenant résultat d’une étude israélienne publiée le 29 mai 2020 dans la revue Science.......Détails.........



Les chercheurs de l’Institut des Sciences Weizmann (Rehovot, Israël) ont analysé 1526 tumeurs représentant plus de sept variétés de cancers solides : sein, poumon, ovaire, pancréas, mélanome, os, cerveau. 
Des mesures drastiques et de multiples contrôles ont été réalisés afin de contrôler et d’éviter les risques de contamination bactérienne des échantillons tumoraux analysés.
L’équipe dirigée par Ravid Straussmann a découvert que chaque type tumoral renferme un microbiote particulier. En d’autres termes, chaque type de cancer héberge une population bactérienne distincte. 
Le cancer du sein est particulier dans la mesure où il héberge une flore bactérienne riche et diverse.
De façon surprenante, les chercheurs ont également montré que les bactéries présentes dans les tumeurs sont principalement intracellulaires : elles se trouvent à la fois dans des cellules cancéreuses et dans des cellules immunitaires résidant dans l’environnement immédiat de la tumeur, ce que l’on appelle le micro-environnement tumoral.
La découverte de la présence de bactéries dans des tumeurs humaines remonte à plus de 100 ans mais la caractérisation de cette population bactérienne (désignée sous le nom de microbiote tumoral) est fort mal connue. Cela tient principalement au fait que cette flore bactérienne tumorale présente une faible diversité. 
En mars dernier, une équipe américaine avait rapporté dans la revue Nature l’association entre différentes variétés de cancer et un microbiote spécifique. Elle avait ainsi trouvé des signatures microbiennes spécifiques dans les principaux types de cancer. Les travaux israéliens vont plus loin.
Les chercheurs de l’Institut Weizmann ont mené une étude approfondie et rigoureuse sur 1526 tumeurs et tissus normaux adjacents. 
Plusieurs techniques ont été utilisées pour caractériser les bactéries qui résident dans des tumeurs situées dans des sites déjà explorés et d’autres jamais étudiés auparavant dans ce but (mélanome, os, cerveau).
Les analyses de biologie moléculaire (basées sur la détection de l’ARN 16S ribosomal bactérien) ont montré que les divers types de cancer analysés hébergent des bactéries dans des proportions variables. 
De l’ADN bactérien a été détecté dans environ 14 % des tumeurs de mélanome mais dans plus de 60 % des cancers du sein. 
De même, la présence d’ADN bactérien a également été détectée dans des sites tumoraux n’ayant pas de contact avec l’environnement extérieur tels que dans le cancer ovarien, le glioblastome (tumeur cérébrale), le cancer osseux. 
D’autres analyses ont montré la présence de composants (lipopolysaccharides*) de la paroi externe de bactéries dans de nombreuses tumeurs solides humaines.

Bactéries intracellulaires

Surtout, les analyses en biologie moléculaire ont révélé la présence de composants bactériens (ARN ribosomal et un lipopolysaccharide, molécule de la paroi externe) à l’intérieur du cytoplasme de cellules cancéreuses. 
Afin de vérifier la présence de bactéries dans les cellules tumorales, les chercheurs ont utilisé la microscopie électronique pour observer quatre échantillons tumoraux de cancer du sein dans lequel ils avaient déjà détecté la présence de composants bactériens (ARN 16S ribosomal et lipopolysaccharide).
Leurs observations montrent clairement la localisation intracellulaire de bactéries dans les quatre tumeurs. 
Des bactéries, sous forme de bâtonnet ou sous une forme sphérique, ont cependant été rarement détectées. Il semble que l’enveloppe des bactéries intratumorales ait été altérée et que ces micro-organismes aient souvent perdu leur paroi externe.

Un microbiote riche et varié dans le cancer du sein

L’étude a révélé que le microbiote des tumeurs malignes du sein est significativement plus riche et divers que celui associé à d’autres cancers. En moyenne, plus de 14 espèces bactériennes différentes ont été dénombrées dans les échantillons de tumeurs mammaires, contre moins de 9 dans d’autres types de cancer. 
Les chercheurs indiquent par ailleurs que la charge bactérienne est plus élevée dans les cancers du sein que dans les échantillons de tissu mammaire provenant de femmes non porteuses de cette tumeur.

Des bactéries vivantes

Afin de déterminer si des bactéries vivantes sont présentes dans des tumeurs malignes humaines, les chercheurs ont recueilli des échantillons frais tumoraux provenant de cinq femmes ayant été opérées pour un cancer du sein. 
Plus d’un millier de colonies bactériennes ont poussé à partir de chacune de ces tumeurs. 
L’analyse génétique a montré que ces colonies représentaient au total 37 espèces bactériennes différentes. Ces bactéries vivantes appartenaient principalement aux groupes des Protéobactéries, des Firmicutes et des Actinobactéries.
Dans le but de valider qu’il s’agissait bien de bactéries vivantes, actives sur le plan métabolique, les chercheurs ont entrepris de cultiver du tissu frais tumoral de quatre tumeurs provenant de patientes récemment opérées pour un cancer du sein. Un composant entrant dans la composition de la paroi bactérienne a été détecté dans chacun des quatre échantillons tumoraux analysés. 
Un résultat qui, selon les auteurs, « plaide en faveur de l’hypothèse selon laquelle les tumeurs hébergent des bactéries vivantes intracellulaires ».
L’observation de bactéries intracellulaires associées à une tumeur soulève néanmoins une autre hypothèse, non exclusive de la précédente, à savoir que certaines bactéries aient pu parvenir à l’intérieur de la tumeur, intactes ou sous forme de fragments, par des cellules immunitaires ou cancéreuses ayant migré jusqu’au site tumoral.

Un microbiote spécifique de la variété de cancer

L’étude montre surtout un microbiote distinct selon le type de cancer. Il a ainsi été montré que les bactéries présentes dans les tumeurs colorectales appartiennent aux groupes des Firmicutes et des Bacteroidetes. En revanche, dans le cancer du pancréas, le groupe bactérien prédominant est composé de Protéobactéries, largement présentes dans le microbiote au niveau du duodénum (partie initiale de l’intestin grêle). 
Ceci pourrait s’expliquer par le fait que des bactéries migrent dans le pancréas en remontant dans le conduit pancréatique qui débouche dans le duodénum.
Les chercheurs ont analysé l’activité fonctionnelle des bactéries intra-tumorales. Ils ont montré que des activités métaboliques du microbiote tumoral sont relativement spécifiques de certains types tumoraux. 
Des échantillons de cancer des os ont permis de détecter la présence de bactéries capables de dégrader des composants du collagène osseux : l’hydroxyproline. 
Or il se trouve que celle-ci est libérée lors de la dégradation du collagène et constitue un marqueur biochimique de remaniement osseux (résorption osseuse).

Microbiote tumoral pulmonaire et tabagisme

Autre exemple : les chercheurs ont observé dans le cancer du poumon la présence d’un nombre plus important de bactéries possédant des voies métaboliques impliquées dans la dégradation de composés (métabolites) présents dans la fumée de cigarette (toluène, acrylonitrile, aminobenzoates) que dans d’autres types de cancer. 
Selon les chercheurs, ces taux élevés de métabolites dans le poumon pourraient créer une « niche » propice à la présence de bactéries capables d’utiliser ces produits chimiques.
Afin de confirmer cette hypothèse, les biologistes ont comparé les bactéries présentes dans des échantillons de cancer du poumon provenant de fumeurs et de personnes n’ayant jamais fumé. 
Ils ont montré que, par rapport aux tumeurs des non-fumeurs, celles des fumeurs hébergent un plus grand nombre des bactéries capables de dégrader des composés de la fumée de tabac dont la nicotine et le toluène. Au total, il apparaît que la plupart des bactéries présentes dans les cancers pulmonaires des fumeurs appartiennent au groupe des Protéobactéries. 
On y retrouve également des Actinobactéries et des Cyanobactéries. Ces groupes de bactéries ont tous été capables de dégrader les métabolites de la fumée de cigarette.

Des bactéries dans des cellules immunitaires

Enfin, les chercheurs ont détecté des bactéries dans des cellules immunitaires (CD45+), montrant ainsi que ces micro-organismes pourraient influencer l’état immunitaire du micro-environnement tumoral ou en être le témoin.
Afin de déterminer si une signature microbienne intratumorale spécifique est corrélée à la réponse à l’immunothérapie, les chercheurs ont analysé le microbiote associé à des mélanomes métastatiques provenant de patients ayant répondu ou non à un traitement par immunothérapie (inhibiteurs de checkpoint). 
Il n’a pas été observé de charge bactérienne plus élevée chez les patients répondeurs et non répondeurs. En revanche, plusieurs espèces bactériennes étaient plus ou moins abondantes dans les mélanomes des répondeurs par rapport à des non-répondeurs.
Ces travaux ne montrent pas que les bactéries présentes dans les tumeurs jouent un rôle causal dans l’apparition du cancer ou que leur présence est le reflet d’une infection des tissus tumoraux, insistent les auteurs. 
Au fur et à mesure que la tumeur se développe, les vaisseaux sanguins qui l’alimentent, pourraient présenter des défauts de perméabilité permettant à des bactéries présentes dans la circulation sanguine de gagner la tumeur, et ce d’autant que le micro-environnement tumoral le facilite (immunosuppression locale). 
A cette hypothèse s’en ajoute une autre, à savoir que les bactéries intratumorales pourraient provenir des tissus sains adjacents à la tumeur.
De même que des travaux récents ont montré que la composition du microbiote intestinal peut influencer l’efficacité de certaines immunothérapies utilisées en oncologie, il n’est pas interdit de penser qu’il puisse en être de même via la manipulation du microbiote tumoral à l’avenir. 
Une meilleure compréhension du rôle des bactéries intratumorales pour une variété de cancer donnée pourrait à terme déboucher sur le développement d’outils diagnostiques centrés sur le microbiote tumoral, voire sur de nouveaux traitements anti-cancéreux.

Par Marc Gozlan 

* L’immunohistochimie a révélé la présence des lipopolysaccharides : le LPS de bactéries à Gram négatif et le LTA dans les bactéries à Gram positif. Le LTA a été principalement détecté dans les mélanomes. Il est largement absent dans les autres variétés de cancer.  

Source Le Monde
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