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jeudi 27 février 2020

Olivier Greif, ce bouleversant météore


Le destin d’Olivier Greif présente des côtés atypiques. Ce compositeur est né à Paris où sa famille juive, originaire de Pologne, s’était installée. Son père, médecin, membre de la Résistance, a été emprisonné à Auschwitz pendant un an ; une partie de sa famille a été décimée dans des camps de concentration........Détails.........


Le jeune Olivier fait ses classes de piano au Conservatoire de Paris avec Lucette Descaves et étudie la composition avec Tony Aubin. 
Il part pour New-York, où il se perfectionne auprès de Luciano Berio dont il devient l’assistant. 
Il a composé dès la sortie de l’enfance ; à sa disparition, on comptera à son actif plus de trois cents partitions : sonates pour piano, quatuors, pièces vocales dont une grande partie est d’inspiration indienne, mais un nombre limité de partitions symphoniques. 
De style tonal, le langage musical de Greif, très personnel, se nourrit aussi bien dans le chant traditionnel que dans le jazz ou le lyrisme de Paul Celan. 
En 1971, il retourne au Conservatoire de Paris pour étudier l’accompagnement, l’orchestration et la direction d’orchestre ; ses compagnons y sont les soeurs Labèque, Brigitte Engerer, Pascal Rogé ou Georges Pludermacher. 
A partir de 1976, il entreprend une vaste recherche spirituelle en philosophie indienne qui le mène auprès du maître Sri Chinmoy (1931-2007), établi à New-York, écrivain, poète, peintre et musicien.
Greif cesse de composer entre 1981 et 1991. 
Au cours de cette période pendant laquelle il porte, en plus du sien, le nom de Haridas (« serviteur de Dieu ») que Chinmoy lui a attribué, il donne des conférences et gère une librairie mystique à Paris, au boulevard Saint-Germain. Il revient à la composition à partir de 1991 et donne de nombreux concerts. Gravement malade, il décède en mai 2000. 
On trouve de nombreux détails sur sa biographie, ses compositions et ses écrits sur le site de l’Association Olivier Greif (www.oliviergreif.com). 
Ce créateur a par ailleurs tenu un Journal entre 1971 et 2000, document qui a fait l’objet d’une publication de plus de 500 pages en mars 2019, aux éditions Aedam Musicae.
En 1999, le label Triton publie Les Chants de l’âme pour voix et piano, une première mondiale au disque, chantée par la soprano Jennifer Smith et Olivier Greif au piano. 
La composition de cette partition, que Greif destine à Jessye Norman, débute en 1979. 
Dans la très intéressante notice jointe au CD, Brigitte François-Sappey, musicologue et vice-présidente de l’Association Olivier Greif, dont elle était proche, explique que le compositeur lui a offert le premier chant, The Tyger, d’après William Blake, « les autres magnifiant les « poètes métaphysiques anglais ». 
Les circonstances ne permettront pas à Jessye Norman de chanter l’œuvre qui, après quelques remaniements, sera confiée à la cantatrice anglaise Jennifer Smith qui en assura la création à la Salle Gaveau avec Greif au piano. 
Brigitte François-Sappey précise encore qu’elle a reçu le manuscrit recopié qui portait la dédicace « In memoriam Benjamin Britten/Pour Brigitte François Sappey ». 
Ce cycle de neuf chants emprunte des textes aux poètes anglais William Blake, George Herbert (trois fois), John Donne (deux fois), Henry King, Thomas Carew et Henry Vaughan, tous issus du XVIIe siècle, sauf Blake qui vécut de 1757 à 1827. 
Ces poèmes superbes dont on peut apprécier la teneur dans un encart joint à la notice sont d’essence spirituelle, oscillant, comme le dit avec raison la cantatrice Marie-Laure Garnier, « comme un cheminement de l’âme humaine, qui passe par des moments très sombres, des épreuves -l’évocation de la mort est omniprésente- mais aussi des périodes plus douces de consolation. 
De ce point de vue, certains des poèmes qui le constituent résonnent comme des psaumes ». 
Excellent résumé qui englobe tout le côté poignant et douloureux de ces textes qui ont aussi un côté philosophique et « religieux ». On y retrouve des lueurs liturgiques et, en constatant la chronologie des poètes, des réminiscences de la Renaissance. 
Si The Tyger est un choc émotionnel immédiat, tout le cycle crée chez l’auditeur un état de tension et de participation à la pensée spirituelle de Greif.
Certains vers sont d’une terrible charge, ils retentissent comme un cri, c’est le cas pour John Donne qui interpelle la Mort en lui disant : « Ceux que tu crois abattre ne meurent pas », un cri qui prend toute sa dimension lorsqu’on connaît le destin du compositeur. 
Marie-Laure Garnier prend à bras-le-corps (ou plutôt « à- bras-le-coeur ») cette partition bouleversante. 
Elle y développe une tessiture aux multiples inflexions, dans un investissement incarné qui trouve son point culminant dans le poème Song de Thomas Carew (1592-1640) ; ce texte se déroule comme une intense prière. Les contrastes d’atmosphère sont nombreux et réclament de la cantatrice comme du pianiste, Philippe Hattat, bien plus que de la complicité : du partage, ce que tous deux réussissent parfaitement. 
Le piano sonne souvent comme un appel de cloche, qui ajoute à l’effet d’éternité, en toile de fond de la partition. 
Au-delà du message spirituel, il y a de l’élan dans cette musique pathétique, mais aussi de la passion et de la lucidité face à l’inéluctable. 
C’est sans doute le message essentiel : le dépouillement, la mise à nu de l’âme, à travers un langage éloquent qui passe entre la voix et le clavier. 
Ce CD est complété par une brève pièce de Greif, d’une durée de six minutes, Les Trottoirs de Paris, une composition de 1996 sur un texte d’Yves Petit de Voize, qui a été notamment rédacteur en chef de la revue Diapason et directeur du Festival de Montreux. 
Il s’agit de l’évocation d’un promeneur nocturne qui erre dans différents quartiers de la capitale. Des côtés pittoresques et populaires (vapeurs de Montmartre, autocars au Sacré-Cœur, fête aux Champs-Elysées…) voisinent avec « la nuit qui n’est pas ici le négatif du jour », dans un climat exalté puis alangui qui évoque Paris « cité de la lumière et des berges livides », bien mis en valeur par la soprano Clémentine Decouture et le ténor Paco Garcia, avec le piano de Philippe Hattat. 
On retrouve encore ce dernier au clavier dans la pièce poignante de Thierry Escaich, D’une douleur muette, toujours sur un poème d’Yves Petit de Voize. Dans ce hurlement d’affliction, le violoncelle a un rôle central, que la notice précise : « C’est à lui qu’il revient d’exprimer le désarroi que constitue la perte de l’ami, alors que la partie chantée ne fait que déplorer, paradoxalement, l’impossibilité de parler. » 
Composée après la disparition d’Olivier Greif et le choc qu’elle a engendré, cette partition, avec ses gémissements qui fendent le cœur, est défendue comme un deuil, assumé par les protagonistes, la soprano Marie-Laure Garnier et Yan Levionnois, au violoncelle, assurant sa part de chagrin avec pudeur, mais aussi un sobre engagement. 
L’enregistrement de ce CD, dont on ne sort pas indemne, a été effectué lors d’un concert public du Festival de Deauville, les 31 juillet, 7 et 9 août 2019. Il est certain que ceux qui ont assisté à ces moments de haute émotion en auront longtemps conservé la trace au plus profond d’eux-mêmes. 
Cette trace est désormais en nous aussi.

Olivier Greif


Source Crescendo Magazine
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