Si, au premier abord, les Emirats arabes unis ont affiché une réelle volonté d’inaugurer un islam nouveau, plus tolérant et plus ouvert, la réalité est plus complexe… Et mérite qu’on y jette un coup d’œil interrogateur.......Décryptage.........
Car ces dernières années, des propos antisémites scandaleux ont été formulés parmi les principaux chefs religieux des Emirats arabes unis qui sont, aussi, les autorités les plus influentes du pays, voire de la région du Golfe dans son intégralité.
Entre ceux-ci, il y a les propos tenus par Wasseem Youssef, Imam et Grand prédicateur dans la mosquée Cheikh Zayed – l’une des plus grandes au monde, avec une capacité d’accueil de 40 000 fidèles – ou encore ceux prononcés par Ali Rashid Al Nuaimi, président du Conseil mondial des communautés musulmanes à Abou Dhabi.
De quoi se poser des questions sur la profondeur du changement des mentalités, prôné par les EAU cette dernière décennie. Et pourtant, les Emirats arabes unis avaient attiré l’attention internationale en inaugurant, en 2016, leur Ministère du Bonheur et celui de la Tolérance en 2016 à Abou Dhabi et, un an plus tard, de l’Institut international de la tolérance, organisant dès 2017 premier le Sommet mondial de la tolérance accueillant des chefs de gouvernement, des diplomates et des universitaires du monde entier…
Plusieurs initiatives impulsées par le Prince héritier et homme fort du régime, Mohammed Ben Zayed ben Sultan, qui souhaitait voir se dessiner l’avenir des EAU : un modèle intégré de tolérance et de coexistence entre les différentes religions dans le monde, autant des musulmans, que des chrétiens et des juifs qui, pour reprendre les termes du prédicateur Wasseem Youssef en 2014, « doivent coexister, comme ils l’ont toujours fait dans l’islam, et qui ose compromettre cela, compromet les principes même de la sunna (« loi, règle d’Allah ») ».
Et pourtant, les discours tenus sont très différents les uns des autres et s’opposent même souvent.
Ce double-discours est, en fait, assez courant au sein des élites religieuses musulmanes aux Émirats arabes unis et correspond à la pratique de la « taqîyya »,ou ce que l’on pourrait appeler « l’art de la dissimulation ».
En bref, la « tâqiyya » est cette stratégie de duplicité – de double-discours donc – qui est utilisée par la même personne pour convaincre des destinataires divers… Voire complètement opposés. Tout cela pour plaire aux uns et autres en leur transmettant ce qu’ils auraient envie d’entendre…
C’est dans cette logique de la « tâqiyya », que le Grand prédicateur, Wasseem Youssef, l’un des principaux accompagnateurs de Mohammed ben Zayed dans la promotion de cet « islam nouveau » et connu pour ses interprétations de sourates du Coran, parfois de manière très progressiste (notamment sur la question des femmes, qui n’auraient pas comme « obligation » d’effectuer les tâches ménagères), a tenu toutefois des propos très antisémites, dans grand nombre de ses discours.
Embêtant, quand on est censé défendre la tolérance et l’ouverture… Le 24 octobre 2017, par exemple,le Grand Prédicateur d’Abou Dhabi, en interprétant un verset de Al-Fatiha (sourate d’ouverture du Coran), s’est clairement attaqué aux juifs qui seraient, selon lui, « maudits par Allah » – ou, plus exactement, les juifs n’auraient pas compris le message que Dieu leur aurait envoyé – lequel ? – ce qui aurait provoqué sa colère.
Dans une autre déclaration, datant du 30 mai 2015, il insiste sur le fait que le « peuple juif cherche à faire du mal aux autres communautés, au point où il mériterait d’être appelé « l’allégorie du mal » »…
Dans une vidéo postée sur YouTube, le 20 janvier 2019, l’utilisateur @bef4after a compilé des fragments de discours – très contradictoires ! – du prédicateur. Ainsi, jusqu’à 00:33, on l’entend défendre les juifs et leur droit de vivre en paix aux Emirats arabes unis, et à partir de là jusqu’à 1:00, ce sont des propos antisémites qui sont formulésselon lesquels les « juifs ne doivent pas être acceptés. »
Et ce n’est pas mieux du côté de Ali Rashid Al Nuaimi, Président du Conseil mondial des communautés musulmanes à Abou Dhabi.Car celui qui avait accueilli, en 2017, le Sommet mondial de la Tolérance, qu’il avait inauguré en affirmant « qu’il existe un consensus international selon lequel les EAU sont le modèle idéal de tolérance et de coexistence pour les personnes de toutes les religions et les sectes du monde et où les gens vivent et travaillent en paix », a affiché, sur son compte Twitter de nombreuses déclarations antisémites.
Globalement, celles-ci s’articulent en un bel amalgame entre les juifs et les sionistes…
Une confusion – volontaire ? – inquiétante pour l’une des autorités religieuses les plus écoutées aux Émirats arabes unis. Citons quelques unes de ces déclarations : « Il y a un combat à mener contre les juifs en Palestine, en finançant les moujahidoun (combattants)… », « Je me réserve le droit de remettre en question l’Holocauste et à tenir des propos négationnistes », ou encore qu’ « Israël est prêt à tout pour attirer les juifs à Jérusalem »…
Quelque part aussi entre les lignes, on peut y lire une rivalité avec le Qatar, à remettre, bien sûr, dans le contexte de la crise actuelle.
Ainsi, dans certains de ses tweets, Ali Rashid Al Nuaimi accuse le Qatar de collaborer avec les sionistes pour influencer l’administration américaine en sa faveur…
Une manière aussi de décrédibiliser l’islam tel que prôné par le régime qatari ou celui qu’il soutient, à savoir celui des Frères musulmans, que les EAU ont dans leur viseur.
Ainsi, quelque part, on retrouve un peu tout et son contraire. Des hommes qui défendent, à un moment, le droit des juifs à vivre en paix aux Emirats arabes unis, au même titre que les musulmans.
Mais aussi des hommes qui n’hésitent pas, dans d’autres de leurs discours, de se poser comme un rempart contre cette religion, un rempart qui prend souvent une dimension violente…
Ces discours prennent d’autant plus d’ampleur qu’ils sont le fait d’hommes détenant une légitimité religieuse affirmée.
Ces propos antisémites, outre leur dimension scandaleuse, semblent aussi révéler le décalage qui existe entre le fond et la forme dans le système émirati. Car si le système cherche à se doter d’une image nouvelle, celle d’une monarchie à la recherche d’ouverture avec un islam tolérant et celle d’un havre de paix où tous les hommes vivent égaux, il se heurte à une réalité bien moins progressiste…
Celle-ci reste se caractérise par un islam plus fermé et moins prompt au changement, alors que plus ancré dans les mentalités émiraties, comme l’attestent ces double-discours.
Source Opinion Internationale
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