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lundi 19 novembre 2018

Saint-Cyr Coëtquidan : la promotion Loustaunau-Lacau, une figure d’extrême-droite, a été débaptisée


La promotion 2016-2019 de l’Ecole spéciale militaire (Saint-Cyr Coëtquidan) a été débaptisée, annonce l’armée de terre dans un communiqué paru samedi soir. Depuis le 22 juillet 2017, elle portait le nom de «  Général Loustaunau-Lacau  » et elle est désormais sans nom. Il s’agit d’une procédure exceptionnelle, qui ne s’était jamais produite depuis 1945 au moins. L’annonce a été faite samedi à Coëtquidan le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre. Elle suscite évidemment de nombreuses réactions dans les milieux concernés.......Décryptage........



Figure aujourd’hui oubliée, Georges Loustanau-Lacau était une figure de l’extrême-droite, célébrée et au parcours très contrasté. Le choix de ce nom de baptême était passé globalement inaperçu, y compris par l’auteur de ce blog.
L’armée de terre décrit ainsi son itinéraire : 
« Saint-cyrien, héros des deux guerres mondiales, Résistant, fondateur du réseau « Alliance », déporté à Mauthausen et député à l’Assemblée nationale dans les années 50, Georges Loustaunau-Lacau est une figure militaire dont les faits d’armes – croix de guerre 14-18 avec 5 citations et croix de guerre 1939-1945 avec palme – avaient alors justifié le choix des différentes autorités  ». Toutefois, « Georges Loustaunau-Lacau (...) a notamment animé en 1938 une maison d’édition nationaliste, La Spirale, après avoir été mis à pied de l’armée pour des activités anticommunistes. (...) La Spirale a publié (...) de nombreux articles anticommunistes, antiallemands et antisémites. 
Il a lui-même écrit au moins un article en 1938 dans lequel il met en doute la loyauté des Français Juifs. 
Il est également l’auteur d’un courrier adressé à l’ambassade d’Allemagne en août 1940 et dans lequel, avec des propos antisémites, il propose ses services aux Allemands  ». 
Il «  a par ailleurs été suspecté d’avoir formé avec son réseau anticommuniste la partie militaire de la mouvance d’extrême droite de la Cagoule, suspicions qui ont donné lieu à un procès à la Libération au terme duquel il a été reconnu innocent et réhabilité. Il a été nommé général la veille de son décès en 1955  ».
Cette affaire pose de nombreuses questions, la principale étant : comment une promotion de Coëtquidan peut porter le nom d’un militant d’extrême-droite ? Chaque promotion choisit son nom de baptême au terme d’un processus qui implique à la fois les éleves-officiers et le commandant de l’ESM. 
Les deux se sont donc trouvés en accord pour choisir une figure dont le nom n’est plus connu que dans les cercles d’extrême-droite. 
L’influence des élèves-officiers «  tradis  » se fait une nouvelle fois sentir - cette promo semblant allante en la matière comme des témoins l’ont noté lors du Sigem (séminaire inter-écoles des grandes écoles militaires). Son chant de tradition évoque par exemple : 
« Vingt-trois chars tombent au piège apprêté Leur germanique arrogance Est décimée Contre les Huns, faucille et marteau  »... Quant au général Frédéric Blachon, aujourd’hui à la tête l’opération Barkhane, il commandait alors l’école. C’est durant son temps de commandement que les cyrards étaient déjà allés en grand uniforme accueillir le (soi-disant) anneau de Jeanne d’Arc au Puy-du-Fou, chez Philippe de Villiers... au grand dam de son frère Pierre, alors Cema.
Le Service Historique de la Défense (SHD), à Vincennes, est systématiquement consulté avant tout choix de nom de baptême. Mais c’est la division «  symbolique  » qui instruit l’affaire, pas celle de la recherche, où sont les historiens. 
Les militaires de la division «  symbolique  » consultent alors le dossier militaire et uniquement lui, comme ils le font d’habitude. Celui de Loustaunau-Lacau était brillant, même s’il comportait quelques zones d’ombre en 1938 et 1947. Personne ne creuse alors, ne serait-ce que sur internet. 

À ne pas rater !

Le choix du nom se déroule au moment de l’alternance entre les cabinets Le Drian et Parly, puis le baptême a lieu juste après la démission du général de Villiers. Tout le monde a donc la tête ailleurs...
Ce n’est qu’en juin 2018 que l’alarme est donnée à l’occasion d’un colloque sur «  les militaires en résistance  » organisé par SHD et SciencesPo. 
La promotion Loustaunau-Lacau propose de rendre hommage à leur parrain. Cela provoque la «  stupeur  » des historiens spécialistes, qui connaissent le passé politique du personnage. 
Le SHD se met au travail et à la mi-septembre envoie une note aux autorités politiques et militaires. Un document transmis par le Service historique de l’armée allemande tranche le débat : c’est la copie de la lettre de Loustaunau-Lacau, d’août 1940, proposant à l’ambassadeur allemand de se rallier à l’occupant en instaurant un régime qu’il qualifie lui-même de «  totalitaire  ».
Soucieux d’éviter une polémique, par exemple le 14 juillet prochain lorsque la promo doit défiler sur les Champs Elysées, le général Bosser décide de trancher dans le vif «  en étroite coordination avec la ministre des armées et le chef d’état-major des armées  ». 
La promotion est débaptisée et un «  parcours mémoire et vérité  » sera proposé aux élèves-oficers. 
Le choix a été fait de ne pas désigner de coupable : il n’y aura aucune sanction, mais la procédure de choix des noms de baptême sera revue, en y associant des historiens de métier au SHD.
Reste une question. Dans son communiqué, l’armée de terre explique que «  les élèves de cette promotion ne doivent pas être pris en otage de débats historiques qui ne sont pas de leur ressort  ». Même si on explique à l’état-major qu’il s’agit de «  les protéger contre des polémiques délétères  », cette formule n’est pas acceptable. 
Comment peut-on imaginer former les officiers dans une démocratie en estimant que les «  débats historiques  » sur leur armée «  ne sont pas de leur ressort  » ? Et «  de leur ressort  », ils semblaient l’être quand ils ont choisi ce nom de baptême ?
Après les récentes polémiques sur l’hommage aux Maréchaux - et le cas Pétain, cette affaire suscite un vrai malaise. La décision du général Bosser est légitime et courageuse. 
Mais le repli identitaire de certains cercles dirigeants de l’armée française n’en reste pas moins inquiétant.

Source L'Opinion
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