La population juive du Maroc a baissé de 99% entre les seules années 1960 et 2013. Quelques chiffres en disent parfois davantage que mille mots. Les juifs marocains constituaient la plus grande communauté juive de l’étranger au début des années 1950. En 2016, ils n’étaient plus que 2.200, dont une majorité à Casablanca, et une centaine à Fès.......Analyse.........
Ce qu’on reproche au Marocain juif, somme toute, c’est de ne pas être musulman.
L’article 3 de la Constitution de 2011 le rappelle à quiconque l’aurait oublié: “L’islam est la religion de l’État”. L’historien Georges Bensoussan répond à ce paradoxe dans un documentaire réalisé par Younes Laghrari: “Comment voulez-vous qu’un Juif, qui n’est pas musulman par définition, puisse se reconnaître dans un nationalisme qui met en avant la dimension religieuse? (…) Un Juif n’a donc pas sa place!”
Si l’on se réfère aux différents témoignages, notamment aux bouleversants récits de l’écrivaine et militante Nicole Elgrissy, la vie en communauté semblait, jadis, harmonieuse.
Mais la montée du panarabisme, la création de l’Etat d’Israël, l’indépendance du royaume et de nombreux autres facteurs auront contribué à accentuer cette scission qui se dessinait.
Les troublent commencèrent au milieu des années 1950: les émeutes de Petit Jean (actuel Sidi Kacem), d’abord, quelque peu effacées des tablettes, au cours desquelles six juifs marocains furent “sauvagement massacrés et brûlés par la population musulmane en état d’ébullition à la veille de l’anniversaire de la déposition de Mohamed V par le pouvoir colonialiste français”. C’était le 3 août 1954.
Ensuite, les émeutes de Mazagan, l’année suivante, le 20 août 1955. Qui aurait pu imaginer que la ville de Mazagan, aujourd’hui transformée en véritable havre de paix derrière ses palmiers luxuriants et son casino fastueux, fut à une époque le théâtre d’émeutes sanglantes ?
Michel Amengual témoigne: ″Le bilan est lourd: sept morts, (…) près d’une cinquantaine de maisons incendiées, de très nombreuses boutiques saccagées. Certaines familles, notamment juives, affirment avoir tout perdu. Mais la vie doit reprendre son cours.
Beaucoup de Juifs qui avaient fui leur mellah regagnent leur domicile, traumatisés. D’autres ont pris leur disposition pour quitter leur terre natale. Ils émigreront en Israël.”
Enfin, le 8 janvier 1961, suite à l’arrivée de Nasser à Casablanca, alors chef de file du panarabisme et leader du mouvement tiers-mondiste. L’historien Yigal Bin-Nun raconte: ″L’événement le plus grave commis par la police marocaine eut lieu dans le quartier d’Aïn Seba‘ à Casablanca, au cours duquel 25 élèves de la yeshiva Névé Shalom furent arrêtés. (…) Emmenés au poste de police, ils furent accusés d’avoir manifesté contre Nasser sous l’instigation d’Israël. Lorsque le directeur de la yeshiva (…) se rendit au poste de police pour demander de les relâcher, les policiers en profitèrent pour l’insulter, le frapper et l’arrêter.”
La confiance était rompue. Aussi l’éruption de violence qui s’ensuivit brisa-t-elle quelque peu la prétendue harmonie qui semblait lier les deux communautés et détruit le mythe commun: “les Juifs du Maroc sont partis de leur plein gré; il n’y a jamais eu de violence perpétrée à leur encontre!”. Les arrestations sans justification aucune succédèrent aux passages à tabac, tant et si bien qu’entre 1961 et 1967, la population juive du Maroc diminua de moitié.
Et le XXIème siècle, dans tout cela? Année après année, départ après départ, les sondages et autres faits divers ne font que confirmer cette affligeante théorie: ils ne sont plus les bienvenus parmi le peuple marocain, du moins plus autant qu’ils le furent autrefois. Malheureusement.
Les actes sont divers, variés, et nul ne ressemble au précédent. L’observatoire marocain de lutte contre l’antisémitisme, fondé en 2014 par Omar Louzi, militant berbère du droit des minorités, rend compte, et de manière régulière, la liste des actes qui visent à effacer les juifs du Maroc de la mémoire collective. Malheureusement, son existence est déjà de trop, car l’essence même de son existence nous fait admettre son utilité, ou tout du moins sa légitimité. En voici une liste non-exhaustive:
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En 2010, l’ONG américaine “Anti-Defamation Leage” révélait que 80% des Marocains auraient une opinion négative des juifs. À noter que les Marocains les plus âgés qui, eux, vécurent en compagnie de leurs compatriotes pendant plusieurs décennies (en harmonie?), “se sont montrés moins racistes que leurs concitoyens plus jeunes (75% des personnes de plus de 50 ans, 79% des 35-49 ans, 84% des 18-34 ans).”
Alors, véritable haine ou méconnaissance totale du sujet? Ledit sondage révélait que 67% des Marocains interrogés n’auraient jamais entendu parler de l’Holocauste. Enfin, selon 76% d’entre eux, les juifs seraient davantage loyaux à Israël qu’envers le Maroc.
Dans l’inconscient collectif, judaïté et Israël sont étroitement liés, voire indissociables. Un autre rapport, rendu cette fois-ci en 2013 par l’institut de sondage WIN/Gallup International, révélait que 45% des Marocains considèrent Israël comme la plus grande menace contre la paix dans le monde.
Les Marocains savent-ils seulement faire la différence entre un sioniste (dont le prétendu lobby est vilipendé à tout bout de champ) et un juif ?
La même année, en 2013, cinq partis politiques dont le PJD (au pouvoir à l’époque) proposaient un projet de loi visant à interdire le commerce avec les entreprises israéliennes.
L’un des partis souhaitait même interdire aux Israéliens de rentrer sur le territoire marocain. Similairement, en janvier 2018, le Parti authenticité et modernité (PAM) souhaitait déposer un projet de loi au parlement en vue de retirer la nationalité marocaine à tous les juifs marocains installés dans des colonies israéliennes.
Rappelons que le PAM a récolté 20,95% des suffrages aux élections législatives de 2016, arrivant ainsi en deuxième position derrière le PJD.
Enfin, en 2017, “le maire islamiste PDJ de Meknès (Abdellah Bouanou), à l’instar de celui de Marrakech” changea progressivement le nom de plusieurs rues et ruelles, jadis judéo-berbères, pour les substituer par des noms “arabo-palestiniens”, remplaçant par exemple la rue de Jérusalem par le Boulevard Al Qods.
Omar Louzi jugeait cette action comme étant “une exaction affichée à l’égard de la mémoire collective du Maroc dans sa diversité culturelle et religieuse”. Une lettre de protestation écrite par sa main, envoyée tant bien au maire qu’au palais royal, ne reçut aucune réponse.
Il concluait ainsi: “Nous n’avons rien contre le fait de donner le nom de la Palestine à des rues au Maroc: il y en a déjà plus de 800 qui portent ce nom... Mais effacer la mémoire des juifs marocains (…) n’est pas admissible!”.
À mesure que ces actes se succèdent, l’ouverture de musées foisonne. Le Centre de recherche sur les Juifs du Maroc (CRJM), créé en 1994 à l’initiative de Robert Assaraf, et impulsé par le travail de son directeur scientifique Michel Abitbol, se définit comme “une institution (…) qui s’est fixée pour but essentiel de développer, par tous les moyens, la connaissance et l’étude de l’histoire des Juifs du Maroc.”
Trois années plus tard, en 1997, le Musée du judaïsme marocain émergera dans le quartier casablancais de l’Oasis. Entre bracelets, peintures, habits traditionnels et instruments de musique, le musée regorge de merveilles qui auront vu les premiers jours de ce pays.
Alors, ces musées sont-ils la manifestation d’une volonté d’accroître la visibilité du patrimoine judéo-marocain auprès du grand public, ou marquent-ils au contraire la fin d’une époque?
L’artiste français Louis Pons disait: “le musée, c’est l’équivalent de la retraite des vieux pour les œuvres d’art”. Aussi ces deux projets de réhabilitation, ô combien symboliques, confirment-ils le tournant pris depuis le début des années 1960.
Si l’on ouvre deux musées, à quelques années d’intervalle, c’est pour rendre compte d’une période révolue, sans doute regrettée, mais partiellement achevée; un musée marque la fin d’une époque, il exhibe devant les jeunes générations des objets du temps d’avant, il leur permet de voir ce qu’elles ne pourront désormais plus voir de leurs yeux candides.
Mais si le musée existe, c’est pour témoigner d’une époque qu’on ne veut, qu’on ne peut oublier et qui, espère-t-on, intéressera un tant soi peu les générations futures; pour leur rappeler qu’un jour, la diversité religieuse et culturelle ceignait cette terre que leurs parents ne reconnaissent plus.
L’époque de la cohabitation fraternelle semble révolue. Deux communautés, qui à l’époque ne semblaient faire qu’une; deux communautés aux mœurs certes diverses, mais néanmoins liées par un facteur: le patriotisme, l’amour profond et sincère de cette patrie qu’est le Maroc, véritable vecteur d’harmonie entre deux peuples qui naguère vécurent en harmonie.
Nul musulman, juif, yahoud ou youpin qui vaille, non, seulement des Marocains qui partagent un seul et même drapeau sous le soleil de ce pays qu’ils aiment et qui abrite le tombeau de leurs ancêtres.
Source Huffpost Maghreb
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