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jeudi 16 août 2018

Egoz, le bateau qui a dévoilé le secret de l’exode des juifs marocains

 
 
Un sujet qui reste encore très ambigu dans l’histoire contemporaine marocaine est l’organisation de l’émigration des juifs marocains vers la « Terre Promise » depuis les côtes africaines (Al-Hoceima, Le Rif). Cette émigration n’a pas concerné que les juifs de Fès, de Meknès, de Marrakech, de Rabat, ou de Casablanca mais aussi des juifs qui n’ont jamais vécu ailleurs que dans les villages berbères et ne parlaient d’ailleurs que la langue Tamazight.......Détails........


Des populations entières, dont souvent les origines remontent à des millénaires, comme c’est le cas pour les juifs du Haut-Atlas et particulièrement de la région de Tafilalet, ont été empressées de quitter leur terre natale.
Cette émigration était organisée par les puissances occidentales avec la complicité des autorités marocaines de l’époque à l’insu des populations rifaines. Les départs des juifs marocains clandestins étaient massifs et organisés avec une grande discrétion, de préférence le soir vers les côtes européennes pour ne pas attirer l’attention des rifains juste sortis des évènements de 1958.
Pourquoi cette émigration clandestine massive et échelonnée sur plusieurs années reste encore aujourd’hui très ambiguë ?
Comment expliquer ces départ massifs de juifs marocains du pays où ils avaient pourtant des racines très anciennes, au point qu’il n’en reste aujourd’hui que quelques 3000 personnes au Maroc ?
L’explication détaillée se trouve sans doute dans les archives de l’Agence Juive Internationale, l’Alliance Israélite et le Mouvement Sioniste aux ramifications mondiales.
Mais pour comprendre le phénomène migratoire des juifs marocains, il faut puiser un peu dans la chronologie des événements qui ont secoué le Monde à partir de la Deuxième Guerre Mondiale et le Maroc pendant la période du protectorat, mais surtout les incertitudes politiques qui ont marqué le pays après son indépendance, et plus précisément les soulèvements populaires.
En 1948, sous le protectorat, le Maroc devait compter entre 220 et 230 000 juifs, représentant le nombre le plus important dans ce pays d’Afrique du Nord. Ce nombre sera divisé par quatre pour enregistrer 60 000 juifs seulement vers 1965 ; cette énorme baisse démographique des juifs marocains sur une courte durée s’explique par de nombreux départs vers Israël, mais aussi vers l’Amérique du Nord et l’Europe.
« Sur les 164 000 Juifs que comptait le Maroc en 1960, plus de la moitié, soit 102 157, avaient émigré entre 1961 et 1964 pour Israël ou pour l’Europe et l’Amérique lors du plus grand exode connu par les Juifs marocains au cours de leur histoire millénaire », écrit Robert Assaraf dans son livre « Une certaine histoire des Juifs du Maroc 1860-1999 ». publié récemment.
Le sionisme international s’est développé dans le monde occidental de plus en plus dès 1924.
Une conférence du Congrès Juif Mondial s’est tenue à Casablanca en 1930, et quelques années plus tard une émigration juive essentiellement des réfugiés fuyant l’Europe nazie sera organisée depuis l’Europe vers le Maroc. Après l’armistice de 1940, le régime de Vichy instaure les lois d’exception avec « numerus clausus » des juifs dans la fonction publique et d’autres secteurs de la vie politique et économique.
Devant cette nouvelle situation, l’action de l’Agence Juive Internationale et l’Alliance Israélite poussera les juifs à émigrer vers l’Amérique du Nord et du Sud.
En novembre 1942, les américains débarquent au Maroc et sont accueillis avec joie par la population juive installée au Maroc et les lois de Vichy sur le statut des juifs seront abrogées quelques mois après.
En 1948, l’Etat d’Israël est proclamé et des contestations vigoureuses éclatent au Maroc comme dans tous les pays arabes et qui feront bien évidemment des victimes juives. Ces émeutes provoquent le début de l’émigration vers la Palestine mais elle reste très limitée.
Le protectorat va permettre à cette communauté juive marocaine de prendre une importance considérable dans la vie politique et économique du pays. Elle disposait de plusieurs institutions sociales et économiques et de centres d’influence politique.
La communauté juive installée au Maroc constituait à elle seule l’essentiel de la bourgeoisie marocaine de l’époque.
Le sultan Mohammed V soutenait vigoureusement la communauté juive marocaine et les considérait comme des citoyens à part entière mais leur interdisait de devenir Israéliens. Cependant en 1953 le sultan est déposé par les autorités coloniales françaises.
En 1954, sous l’influence des discours enflammés du Raïs égyptien Gamal Abdel Nasser, de la montée en puissance du panarabisme au Maroc relayé par les nationalistes marocains comme le parti Istiqlal, des émeutes ont éclaté à nouveau dans diverses villes et régions marocaines et des hostilités envers les juifs marocains ont été constatées partout au Maroc. Ces évènements vont favoriser une nouvelle émigration, souvent dans la clandestinité, vers la Palestine, la France, le Canada et les Etats Unis.
Mohammed V revient au Maroc et l’indépendance est proclamée en 1956. Les juifs vont occuper alors des postes clefs et importants dans le Gouvernement et l’administration marocaine malgré le statut de la dhimma (protection religieuse du Makhzen), qui interdisait aux juifs d’occuper des postes dans la fonction publique.
Après 1958, le Gouvernement de Balafrej a adhéré à la ligue arabe et la langue Arabe est devenue la langue officielle ou nationale du pays. Le Gouvernement marocain a interdit aux juifs de continuer d’avoir toute relation avec Israël s’ils veulent continuer à être considérer comme des marocains.
Les juifs ont été mis dans une situation délicate et surtout très embarrassante vis-à-vis d’Israël.
La crainte des juifs de l’assimilation suite à l’intégration de la ligue arabe et les soupçons sur leur patriotisme, en plus de l’interdiction de visiter Israël ont provoqué un mouvement d’émigration clandestine initié et organisé dans la hâte par les différentes organisations israéliennes.
Les conséquences de la Seconde Guerre Mondiale et le nouveau contexte géopolitique international, marqué par la création de l’Etat d’Israël ont bouleversé les structures traditionnelles des diasporas juives dispersées à travers le monde.
Désormais, on assiste à l’implantation en Afrique du Nord et surtout au Maroc des organisations juives sionistes qui considéraient le Maroc comme le principal réservoir pour peupler Israël.
Dès le début des années 60, les autorités marocaines et les services secrets israéliens ont tissé des liens très étroits. Sous l’impulsion des stratèges occidentaux qui s’inquiétaient sur le plan des équilibres démographiques vis-à-vis des populations arabes de la Palestine, le jeune Etat hébreu conscient de son avenir sur le plan démographique s’est empressé de conclure un accord avec les autorités marocaines.
Il a dépêché des membres de l’Agence Juive et certainement des éléments du Mossad au Maroc pour négocier l’émigration des juifs marocains. Cet accord a été négocié par un collaborateur de Général Oufkir ; en échange, les puissances occidentales offriraient leurs soutien contre le panarabisme et les idéologies progressistes très ferventes à l’époque et hostiles aux régimes monarchiques des pays arabes.
Le choix de l’organisation de cette émigration massive et clandestine s’est fait sur les côtes rifaines et ceci pour plusieurs raisons : d’abord la situation géographique exceptionnelle de la région avec son relief difficile et ses multiples criques à l’abri des regards, ensuite la réputation de la région à l’époque comme zone de tout genre de trafic et de contrebande entre les deux rives de la méditerranée et l’Algérie, enfin la région était bien quadrillée par l’armée marocaine après les évènements de 1958 .
Le mercredi 11 janvier 1961, un bateau appelé Egoz, ancienne vedette de l’armée britannique reconvertie en bateau de contrebande, qui était sur le point de faire pour la treizième fois la traversée clandestine des côtes africaines vers Gibraltar, a échoué au large d’Al-Hoceima.
On dénombre 42 juifs en majorité originaires du Casablanca, dont des membres du réseau du Mossad et trois membres de l’équipage espagnol qui ont péri lors du naufrage.
Les secours vinrent de toute part de la méditerranée (Base Britannique de Gibraltar, la marine française d’Algérie et Port d’Al-Hoceima). Les recherches prirent fin le jeudi 12 janvier 1961 ; vingt deux cadavres furent retrouvés mais on ne récupéra jamais l’épave du bateau ni les corps des 20 passagers restants.
Cet accident vient de confirmer les rumeurs qui circulaient à l’époque selon lesquelles des groupes de juifs marocains partaient à bord de bateaux espagnols pour rejoindre l’Europe, puis Israël. L’événement a ému la communauté juive marocaine et souleva une colère immense dans le monde occidental et surtout en Israël. L’Agence Juive Mondiale et le Congrès Juif crièrent au scandale et au complot. C’est ainsi que le naufrage du bateau Egoz a dévoilé le secret de l’exode des juifs marocains depuis les côtes rifaines.
Le prince héritier Moulay Hassan a reçu en audience une délégation de la communauté juive qui demandait l’autorisation d’enterrer religieusement les morts.
A la suite d’une longue négociation extrêmement tendue, le prince accepta à condition que la cérémonie se réduise au strict minimum et qu’aucun officiel israélien et parent ne soient admis.
Les 22 corps furent inhumés à la hâte dans un coin reculé du cimetière espagnol de la plage Cebadilla à Al-Hoceima.
Après des années de négociations et de tractations menées par le gouvernement israélien, des associations en Israël et des personnalités marocaines et internationales, le roi Hassan II autorisa le rapatriement des ossements des naufragés.
Le 14 décembre 1992, des obsèques nationales furent organisées par l’Etat hébreu au Mont Herzl à Jérusalem en hommage à ces disparus du bateau Egoz.

Source Maroc Leaks
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