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mardi 5 juin 2018

Pourquoi Israël laisse partir ses startup stars ?

 
De Waze à Mobileye, l'Etat hébreu a laissé ses plus belles pépites technologiques se faire racheter par des groupes étrangers. Car, dans la « start-up nation », le rôle des jeunes pousses est avant tout de générer rapidement de la valeur.......Analyse.........

« Quel sera le prochain Waze ? » titraient les journaux israéliens en 2013, lorsque c ette jeune pousse de cinq ans d'âge , née dans une proche banlieue de Tel-Aviv, a été vendue pour plus d'un milliard de dollars à Google.

« Qui sera le nouveau Mobileye ? » s'interrogeaient à nouveaux les commentateurs, quatre ans plus tard, lorsque  ce spécialiste des solutions anticollisions pour les constructeurs auto , fondé en 1999 à Jérusalem, a été racheté pour 15 milliards de dollars par un autre géant américain, Intel.
Annoncés à quelques années d'intervalle, ces deux « méga deals » ont été relayés par les médias et les pouvoirs publics de ce pays de 8 millions d'habitants sur un air de célébration nationale... Preuve si besoin était que, dans l'Etat hébreu, il n'existe aucun tabou autour de la vente de pépites locales à des groupes étrangers.
Bien au contraire. Dans la Silicon Wadi, les start-up ont quasiment vocation dès leur naissance à être cédées à des leaders mondiaux. Adepte de la « culture de l'exit », comme on l'appelle dans l'écosystème local, la high-tech israélienne affiche ainsi, et depuis plusieurs années, des indices record en matière de fusions et acquisitions.
Signe de cette vitalité, les sociétés innovantes du pays se sont vendues en 2017 pour 6 milliards de dollars, et ce, sans compter la cession de Mobileye, une entreprise cotée au Nasdaq.
En outre, les start-up du pays ont levé sur la même période plus de 5 milliards de dollars. Par comparaison, ce dernier chiffre s'est élevé à seulement 2,3 milliards de dollars pour leurs homologues tricolores...
Pourquoi un tel décalage ? Pour Jérémie Kletzkine, vice-président chargé du business development de l'association Start-Up Nation Central, qui aide les grands groupes internationaux à trouver des solutions technologiques locales, il existe une raison simple.
« En Israël, une start-up innovante digne de ce nom doit avant tout générer de la valeur. Cet objectif prime sur celui de la création d'emplois », pointe ce franco-israélien de quarante et un ans, passé par les rangs de plusieurs start-up, dont l'une, PrimeSense, a été cédée à Apple.
Un second élément explique pourquoi autant de start-up israéliennes passent sous pavillon étranger, sans déclencher une polémique autour la « fuite de la création de valeur ».
« Avant même de se faire racheter, les start-up locales n'appartiennent pas à Israël : il s'agit de sociétés dont le développement a été financé par des acteurs du capital-risque israéliens, dont les fonds proviennent souvent de l'étranger », poursuit Jérémie Kletzkine.
De sorte que le business model de la high-tech israélienne épouse le mode opératoire du capital-risque : il repose sur la vente de start-up conçues dès le départ, compte tenu de l'étroitesse du marché domestique, pour répondre à un besoin mondial.
L'impératif n'est donc pas la création d'entreprises qui ont vocation à durer, mais de celles qui atteindront une forte valorisation en très peu de temps.
Autre trait qui différencie la technopole israélienne de son homologue français : la valley israélienne excelle dans la détection de l'innovation et la prise de risques.
Alors qu'en France, la frilosité des grands groupes et des investisseurs vis-à-vis des jeunes pousses innovantes a longtemps été de mise. On se souvient du cas d'école Aldebaran, ce spécialiste français de la conception de robots cédé en 2012 au japonais SoftBank, et dont la vente avait courroucé les autorités tricolores...
Il est vrai qu'en Israël, les références sont autres. Dans cette économie de plein-emploi, non seulement les dépenses de R&D représentent 4,5 % du PIB (contre 2,23 % pour l'Hexagone), mais ces investissements dérivent à 85 % de fonds privés.
En outre, même quand d'ambitieux projets se terminent en queue de poisson, des dizaines de start-up naissent de ces échecs. Un scénario qui s'est notamment réalisé dans le cas de Better Place, le système de chargement de batteries pour véhicules électriques imaginé par l'entrepreneur Shai Agassi, ou dans celui de Modu, le projet de smartphone le plus léger du monde imaginé par Dov Moran, et mis à mal par le lancement mondial de l'iPhone par Apple...
D'évidence, tout n'est pas parfait au sein de la nation start-up. Depuis quelques mois, de nombreuses voix ont par exemple souligné les limites du modèle des centres de R&D internationaux que les géants mondiaux du Net ont ouverts à tour de bras sur le sol israélien.
Et ce, au risque d'aggraver le problème de pénurie des ingénieurs dont souffre Israël, puisque ces nouveaux entrants s'arrachent les meilleurs talents au plus offrant.
Autre constat partagé par les analystes : l'économie israélienne ne peut pas uniquement se reposer sur les start-up, dont le taux de survie n'est pas plus élevé qu'ailleurs, pour générer de la croissance et de l'emploi.
Mais sur le fond, tout le monde salue le dynamisme de l'écosystème d'innovation israélien, qui bénéficie à la fois de la fluidité des liens entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise, et du rôle de catalyseur joué par les unités technologiques de l'armée israélienne.
Les détracteurs qui reprochent aux entrepreneurs de céder trop vite leurs start-up (« fast exit »), et de faire ainsi obstacle à l'émergence de champions technologiques de grande taille, se font plus rares.
Notamment depuis la cession de Mobileye, dix-huit ans après sa création, juste au moment où la course à la voiture autonome a atteint son paroxysme. Mais aussi depuis que le rythme des cessions de start-up a eu tendance à ralentir dans certains secteurs clefs de la high-tech israélienne, comme celui de la cybersécurité. Un signe de maturité.

Par Nathalie Hamou

Source Les Echos
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