En froid depuis le vote de la France en faveur de la résolution condamnant la décision américaine de transférer son ambassade à Jérusalem, Français et Israéliens vont se retrouver en février autour de bons plats et de bons vins, pour réchauffer les coeurs, délier les langues et reprendre contact......Détails........
Depuis les votes négatifs à l’Unesco et après le vote de la France en faveur de la résolution condamnant la décision américaine de transférer son ambassade à Jérusalem, les relations entre Israël et la France sont –c’est un euphémisme– très froides.
La diplomatie française reste cependant active en Israël puisque l’ambassade a choisi de mettre en avant la gastronomie française dans le cadre d’une semaine spéciale. Une seule critique cependant, l’intitulé anglais de la semaine: «So french, so food».
L’ambassade a mis les grands moyens puisque dix-sept chefs et un maître pâtissier français viendront en Israël à partir du 4 février, sous la direction de Guillaume Gomez, grand chef des cuisines du palais de l'Élysée depuis 1997. Pendant cinq jours, l’art de la table français sera à l’honneur dans tout le pays avec de nombreuses personnalités israéliennes invitées.
En mettant la gastronomie au service de la politique étrangère, par une opération dégustation et communication, la France ne cherche pas uniquement à faire connaître ses spécialités culinaires mais espère booster ses exportations et accueillir les investissements étrangers. Selon l’ambassadrice Hélène le Gal, «la Semaine de la gastronomie française en Israël célèbre les liens exceptionnels qui unissent la France et Israël sur le terrain convivial de la gastronomie».
La gastronomie a toujours été l’arme de la diplomatie française et est devenue une affaire d’État car elle fait partie du patrimoine français et représente au mieux les valeurs et l’art de vivre de la France.
En fait le Quai d’Orsay renoue avec les «dîners d’Épicure», créés par Auguste Escoffier en 1912 qui avaient pour but «de faire rayonner le prestige de la cuisine française à l'étranger».
Il ne s’agit pas d’un gadget mais d’un élément important de la géopolitique, même pour les grands stratèges.
L’Histoire nous conte comment un jeune cuisinier, Marie-Antoine Carême, a joué un rôle diplomatique et stratégique lors du démantèlement de l’Empire français en 1815. La France devait sauver les meubles et avait envoyé à la table des négociations Talleyrand, ce vieux renard de diplomate, pour sauver le pays d'une humiliation certaine.
Quand Louis XVIII lui demanda s'il avait besoin d'être épaulé par quelques-uns de ses meilleurs diplomates, Talleyrand lui répondit qu'il n'en aurait pas besoin car il avait Marie-Antoine Carême, 40 ans et premier chef cuisinier de l'histoire de la gastronomie française: «J’ai plus besoin de casseroles que d’instructions». Le «diable boiteux» avait compris, le premier, que la culture gastronomique représentait l’arme des grandes puissances.
En France, elle représente 160 milliards de chiffre d’affaires à l’exportation. Certes, c’est moins glorieux que de vendre des Airbus ou des Rafale mais la gastronomie participe bien à la guerre économique.
Cette manifestation de l’Ambassade n’a pas d’équivalent dans le monde. La France compte beaucoup sur la «diplomatie de la fourchette» pour améliorer son image en Israël et surtout développer de nouvelles initiatives entre industriels français et israéliens.
D’ailleurs les hommes politiques ne se sont jamais trompés. Durant ces derniers mois, de nombreux dirigeants français, des plus prestigieux, ont visité Israël, donnant l’impression que le pays était devenu l'endroit où il fallait être vu. Le premier d’entre eux l'avait fait en tant que ministre de l’Économie, du 6 au 8 septembre 2015, ce qui lui avait permis d’être invité sur la plage à un dîner privé avec la cellule socialiste de l’époque, avant qu’elle ne se saborde pour rejoindre En Marche !.
Pour Macron, tout a commencé en Israël avec ce dîner.
Israël est devenu une étape obligatoire pour ceux qui cherchent à renouer des liens distendus. Fini le temps où les politiciens français évitaient tout contact avec les Israéliens de peur d’être accusés de soutenir l’État juif, ou pire, de se compromettre avec les membres d’un «État théocratique» dès lors que des religieux orthodoxes faisaient partie de la coalition gouvernementale.
On a donc assisté à un ballet de personnalités de haut niveau dans une ambiance de convivialité et de courtoisie, même si les dîners étaient rarement suivis d’un bilan politique tangible; mais le dialogue était ouvert et permanent, ce qui était le plus important.
Le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, et le secrétaire d’État chargé du numérique Mounir Mahjoubi, ont été en visite officielle du 4 au 6 septembre 2017 pour prouver que la diplomatie française était persévérante malgré les déconvenues politiques. Ils n’ont pas été les seuls. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault avait effectué le 15 mai 2016 une visite éclair en Israël et en Judée pour préparer les contours de la conférence internationale de Paris.
Dans la foulée, Manuel Valls avait entamé le 21 mai 2016 un déplacement de trois jours en Israël et dans les territoires palestiniens pour «porter la relation d’ensemble de la France avec nos deux partenaires israélien et palestinien dans la région».
La visite d’Axelle Lemaire en septembre 2016 avait été considérée comme la plus professionnelle car elle n'était pas inspirée par une préoccupation électorale. La ministre avait montré en Israël des convictions sincères sur l’avenir du numérique en France.
C’est à l’occasion d’un dîner privé à Tel-Aviv que la secrétaire d’État française chargée du Numérique et de l’Innovation avait présenté une grande partie de son cabinet, constitué de jeunes pousses.
Elle avait incité les entreprises à venir s'installer en France pour «rapprocher les écosystèmes français et israéliens [car elle croyait en] une occasion historique de créer une coopération avec Israël».
Elle avait découvert les recettes de la «start-up nation»: «Ce qui m’impressionne ici, c’est la capacité des Israéliens à intégrer l’inconnu et à prendre des risques.
Des domaines où les Français doivent encore faire des efforts». Enfin, le président du Sénat, Gérard Larcher, avait fait le voyage en janvier 2017 en pleine campagne électorale pour rassurer les Israéliens sur les intentions de la France.
Bien que les affaires politiques soient bloquées entre la France et Israël, les Français expliquent leurs déplacements par leur volonté de puiser des idées à adapter à leur pays. Ils veulent comprendre l’histoire brève mais mouvementée d’Israël qui a débouché sur une conjonction unique de circonstances économiques, sociales, démographiques et politiques. Durant les premières décennies, Israël a calqué sa gestion économique sur les méthodes socialistes françaises marquées par une approche corporatiste, caractérisée par une présence étatique forte dans l’économie, des syndicats puissants et de fortes restrictions aux échanges.
L’énergie et les télécommunications étaient entièrement aux mains d’entreprises publiques. L’État détenait des participations conséquentes et exerçait une influence prononcée dans tous les secteurs.
La politique macro-économique israélienne a atteint un tournant en 1985, avec l’adoption d’un vigoureux «programme de stabilisation» destiné à lutter contre l’hyperinflation et à ramener le ratio dette/PIB sur une trajectoire descendante. Les mesures de lutte contre l’inflation ont été particulièrement efficaces. De fait, l’inflation annuelle s’est maintenue largement en dessous de 5% depuis la fin des années 1990.
Cette même décennie a également été marquée par de vastes réformes structurelles. Comme dans de nombreux pays de l’OCDE, les autorités ont notamment procédé à des privatisations et ont réformé la réglementation pour promouvoir la concurrence. Mais, en contrepartie, cela a entraîné l’émergence de magnats, la baisse de pouvoir d’achat des classes moyennes et l’appauvrissement de plus de deux millions d’Israéliens.
Les hommes politiques français sont curieux et profitent de ces contacts culinaires pour échanger et apprendre à appliquer chez eux les recettes qui ont permis à Israël de ne pas souffrir de la bulle Internet des années 1990, grâce au rôle prépondérant joué par les technologies de pointe dans la croissance. C’est en partie le résultat de la politique d’innovation fondée sur un système d’attribution d’aides à la Recherche et au Développement à des pépinières d’entreprises et à son vaste vivier de chercheurs au sein de la diaspora juive et aux compétences techniques et scientifiques apportées par la vague d’immigrants qualifiés d’ex-URSS.
Les Français veulent donc à présent prendre leur part et s’insérer dans le tissu industriel israélien. Ils veulent s’inspirer des réformes économiques pour favoriser la croissance encore négligeable en France. Ils tentent d’assimiler les méthodes qui ont réduit le taux de chômage à 4,2%. Israël est un pays à part depuis qu’il a traversé la crise de 2008.
Or il n’y a pas de mystère: Israël a su développer des solutions qui lui sont propres, loin des techniques pré-formatées, pour devenir un modèle pour les économies européennes. Le taux d'endettement public voisinait les 100% du PIB fin 1993 et 90% en 2005 alors qu’il est actuellement à 65%, face aux 98,9% en France en 2017.
Cela s’explique par un recul massif du poids de l'État mais aussi par une remise en cause de l'État providence et une baisse du poids des dépenses sociales. Le véritable moteur de la croissance israélienne est lié aux 4% du PIB dépensés en Recherche et Développement. Il s’agit de la première économie de capital-risque au monde avec des centaines de sociétés inscrites au Nasdaq, plus que toute l'Europe réunie. Les diplomates n’ont pas de complexes à juger que la France peut apprendre d’Israël.
Pour cela, elle doit redevenir un incubateur pour les hautes technologies si elle veut développer des emplois et s’ouvrir à l’international. Elle est à présent convaincue qu’en s’inspirant du modèle israélien, elle pourrait rebondir en créant des start-ups compétitives au niveau planétaire. L’Ambassade de France œuvre dans cette voie.
La France est boudée par les Israéliens dans le processus de paix, entièrement aux mains des Américains. Elle tient cependant à maintenir des liens avec la diplomatie israélienne pour se réinsérer dans le dialogue israélo-palestinien. Et elle compte sur la «diplomatie de la fourchette» pour, entre autres, préciser et expliquer ses vues et prouver que, malgré ses réserves, elle reste une amie d’Israël.
Par Jacques Benillouche
Source Slate.fr
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