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jeudi 14 septembre 2017

Profanations de cimetières : une blessure Alsacienne.....


Les 14 et 15 septembre, le tribunal pour enfants de Saverne juge les auteurs présumés de la profanation du cimetière juif de Sarre-Union en 2015. Ces 25 dernières années, l'Alsace a régulièrement été le théâtre de tels événements......Détails......


Le 15 février 2015, la profanation de 250 tombes dans le cimetière juif de Sarre-Union dans le Bas-Rhin était découverte : des stèles renversées, des tombes brisées, ainsi qu’un monument aux victimes de la Shoah. L’événement avait déclenché l’indignation générale en France et les auteurs présumés avaient été rapidement interpellés.

Ces cinq jeunes gens, âgés de 15 à 17 ans à l’époque, sont jugés à huis clos les 14 et 15 septembre au tribunal pour enfants de Saverne. La profanation de ce cimetière d’Alsace bossue, ciblé à sept reprises depuis la Seconde Guerre mondiale, s’ajoute à une longue liste de saccages perpétrés en Alsace sur des sépultures de toute confession.

Des années noires comme 2004 ou 2010

Depuis le début des années 90, une trentaine de saccages ou d’atteintes aux cimetières ou sépultures ont été relatés en Alsace. Difficile d’obtenir un recensement plus précis. Un “bilan périodique” est réalisé depuis 2008 par le ministère de l’intérieur, mais il n’est pas communiqué régulièrement et il n’est pas décliné par région.
Pour retrouver trace des événements qui ont émaillé l’Alsace sur cette période, il faut éplucher les archives de la presse écrite et cela donne le tournis. En 2004, plus de 460 tombes dégradées, détruites ou recouvertes d’inscriptions haineuses.
Aucune confession n’est épargnée, mais les tombes juives sont les plus nombreuses à en faire les frais. Autre année noire, 2010, où plus de 200 tombes sont prises pour cible, notamment à Strasbourg.
Difficile d’être exhaustif car tous les faits ne sont pas portés à la connaissance du public, voire de la justice. Les moins graves ne donnent pas toujours lieu à des plaintes.

L’Alsace plus touchée ? Difficile à prouver

Dans un rapport publié en 2011, l’Alsace n’apparaît pas parmi les régions les plus touchées. Il s'agit du Nord Pas-de-Calais, de la Picardie, de la Lorraine et de l'Ile-de-France.
Mais ce travail se fonde sur une période statistique assez restreinte. Pour Freddy Raphaël, professeur en sciences sociales qui a étudié l’histoire de la culture juive en Alsace, la région a bien été victime d’une vague massive de profanations, en particulier dans les cimetières juifs.
L'Alsace compte près de 70 cimetières juifs, pour un bon millier de cimetières chrétiens. Certains sites ont été visés à plusieurs reprises, comme Herrlisheim-près-Colmar (1992 et 2004) ou Sarre-Union (sept fois depuis la Libération, de façon plus ou moins grave). “La majorité des cimetières juifs d’Alsace a été profanée à un moment ou un autre, d’une façon ou d’une autre”, explique l'universitaire.
Si tous les cimetières juifs pris pour cible ne sont pas à la campagne -il y en a eu aussi à Strasbourg- il faut dire que de nombreux sites sont isolés, en zone rurale, à l’écart des villages et traditionnellement moins entretenus que les cimetières chrétiens.
“On a cru que c’était abandonné” affirment certains auteurs, qui ont pu œuvrer sans être repérés.

Bêtise, haine ou vols : trois motifs qui parfois se mélangent

La haine contre une religion ou une catégorie de la population. C’est ce qui ressort des profanations de stèles juives et musulmanes, bien qu’on ait aussi retrouvé des croix gammées sur des tombes chrétiennes du cimetière de Niederhaslach, ciblé à trois reprises en 2004 et 2005 (un mineur interpellé a été relaxé).
Ainsi, en 2010, plusieurs jeunes gens, mineurs et majeurs, s’attaquent à des tombes juives et musulmanes dans trois cimetières strasbourgeois. Lors du procès, l'un des auteurs reconnaît avoir glissé dans la mouvance skin. Autre affaire, la profanation du cimetière juif de Herrlisheim en 2004, Emmanuel Rist, l’un des auteurs, est un ancien admirateur du nazisme.
Il a été condamné pour d’autres faits aux mobiles racistes, dont le meurtre d’un Marocain à Gundolsheim en 2001.
Le désoeuvrement et l’effet de bande. Comme au cimetière de Riedisheim (70 tombes chrétiennes dégradées), pris pour cible par quatre mineurs pensionnaires d’un centre d’accueil voisin en 2004. L'ennui, c’est aussi ce que mettent en avant quatre autres très jeunes gens, dont une fille, arrêtés en 2001 pour le saccage de 54 tombes juives à Sarre-Union.
En 2004, un homme qui avait tagué des tombes du cimetière chrétien de Wolfisheim avait, lui, agi en état d’ivresse.
A son procès, il explique que, s’il a tracé des des croix gammées, c’est qu’il en avait vues à la télé.
Quoi qu'il en soit, les prévenus reconnaissent difficilement avoir agi par idéologie et de manière organisée. Agir par haine contre une race, une ethnie, une religion… aggrave la peine encourue.
Les vols de métaux. Même si l’on ne parle pas à proprement parler de profanation, des vols de grande ampleur et des dégradations en série ont frappé des cimetières en Alsace et ailleurs en France, à partir des années 2010. En décembre 2011, les ornements métalliques ont été arrachés sur plus de 350 tombes du cimetière chrétien de Hoerdt. Même chose quelques jours plus tard sur 215 tombes à Schirrhein.

Les auteurs : souvent de (très) jeunes gens

A Sarre-Union en 2001 puis 2015, Riedisheim en 2004, les auteurs, condamnés ou présumés, sont des adolescents.
A Cronenbourg en 2002 ou dans certains cimetières strasbourgeois en 2010, ce sont de jeunes majeurs. Une majorité de jeunes gens : cette proportion se retrouve sur tout le territoire national, comme le relevait le député Claude Bodin dans son rapport de 2011.
Pour Marie-Frédérique Bacqué, professeur à l’université de Strasbourg, spécialiste en psychopathologie et présidente de la société de thanatologie, plusieurs facteurs se combinent. Il y a le désir de transgression propre à cette tranche d’âge et le caractère influençable des adolescents, qui les rend sensibles à l’ascendant d’un meneur ou perméables au discours de haine popularisé par certaines personnalités médiatiques.
La chercheuse ajoute que les morts, les sépultures ne revêtent plus aux yeux de certains jeunes gens le caractère sacré qu’on leur reconnaissait autrefois. Marie-Frédérique Bacqué avance aussi l’hypothèse d’adolescents qui connaissent mal l’Histoire en général et celle de l’Alsace en particulier, écartelée entre la France et l’Allemagne au 20e siècle, mais aussi terre plurireligieuse : “Les jeunes peuvent être porteurs d’une Histoire mal digérée”.

Un arsenal répressif étendu, une pédagogie à inventer

Le code pénal punit la profanation de sépultures d’un an de prison et 15.000 euros d’amende, le double s’il y a en plus atteinte à l’intégrité d’un cadavre. Et si des propos, des écrits ou des images prouvent que cette profanation a été perpétrée contre une religion, une race, une ethnie… la peine peut à nouveau être doublée.
Cette circonstance aggravante a été introduite en 1994, après la profanation en 1990 du cimetière juif de Carpentras, un tournant pour Jean-Marie Brigant, maître de conférence à l’université du Mans, qui contribue au site internet Droitetmorts.com.
Le taux d’élucidation des profanations, comme le nombre d’actes, est difficile à évaluer. L’aboutissement d’une enquête dépend souvent du mobile des auteurs, remarque Philippe Vannier, procureur de la République de Saverne : “Si les dégradations ont été commises par des jeunes désœuvrés ou en crise, l’identification est moins difficile, ils ne prennent pas la peine d’effacer leurs traces... Quand il s’agit de profanations organisées, c’est plus difficile car les auteurs prennent leurs précautions”.
Ce fut le cas à Herrlisheim où les auteurs présumés ont été interpellés deux ans après les faits.
Parfois, “c’est la pression de l’événement” qui conduit un auteur à se dénoncer, ajoute Philippe Vannier. Pour la profanation du cimetière juif de Sarre-Union en 2015, un adolescent de 15 ans s’est dénoncé à la gendarmerie.
Au cours des 25 dernières années, certaines enquêtes ont heureusement abouti, mais des profanations importantes comme celles de Saverne ou Brumath en 2004 sont restées impunies, malgré les efforts des enquêteurs.
Sur le plan de la prévention, le jeune âge de nombreux auteurs a incité le conseil régional d’Alsace et le rectorat à lancer en 2004 Le Mois de l’autre. La manifestation, qui multiplie les initiatives autour du respect des différences, existe toujours.
“On n’insiste pas assez sur la valeur symbolique des morts” , appuie Marie-Frédérique Bacqué, qui souhaite une “pédagogie de la mort” pour que les cimetières et ceux qui y reposent ne soient ni tabous, ni négligés.
Par nlandine Costentin

Source France Bleu
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