Décédé ce dimanche, Jerry Lewis, génie incontesté de la comédie, laisse derrière lui de nombreux films à (re)découvrir. Mais aussi un film plus mystérieux, disparu, inachevé : Le jour où le clown pleura, qui marqua sa carrière d'une tout autre façon.....Détails et vidéo......
Petit film, grand film, erreur de jugement ou fine interprétation de l'instrumentalisation de la comédie au sein de l'une des pages les plus sombres de l'Histoire ?
Inachevé et jamais exploité en salles, Le jour où le clown pleura demeure en tout cas l'un des films les plus mystérieux du cinéma. A l'heure où son réalisateur et interprète, Jerry Lewis, s'est éteint, c'est une part de sa légende et de sa vérité qu'il emporte aussi avec lui.
C'est en 1972 que Jerry Lewis, génie comique, spécialiste du burlesque et autres pitreries, se lance dans la réalisation de ce film délicat sur l'Holocauste, qui devait marquer une rupture dans son cinéma autant comme réalisateur que comme interprète.
A la base, Lewis hésite d'ailleurs à accepter ce projet controversé que lui propose le producteur Nathan Wachsberger, redoutant de se plonger dans un rôle qui pouvait facilement être jugé déplacé et qui demandait un équilibre assez compliqué à trouver.
Lorsqu'on prend connaissance de l'histoire du film, il est facile de comprendre les premières réticences de Lewis. Le jour où le clown pleura raconte en effet l'histoire d'Helmut, un célèbre clown sur le déclin qui, après s'être moqué d'Hitler dans un bar, est envoyé pendant plusieurs années dans un camp de concentration allemand pour prisonniers politiques.
A côté, se trouvent des enfants juifs, séparés de son propre camp par une barrière barbelée.
Alors qu'il est interdit de les approcher, Helmut cherche et parvient à les faire rire. C'est alors qu'il se voit charger d'une mission, avec à la clé, la promesse de sa libération.
Cette mission consiste à amuser les enfants avant leur départ pour Auschwitz. Helmut finit par atterrir dans le train à leurs côtés et même par devoir les accompagner devant la chambre à gaz, que ces derniers ne soupçonnent pas un instant être le lieu de leur mort imminente.
Helmut ne supportant pas ce qu'il est en train de faire entre alors avec eux pour leur offrir son dernier spectacle...
Si Jerry Lewis était hésitant au début du projet, l'acteur-réalisateur de confession juive s'engagera ensuite de toutes ses forces. Pour ce film, tourné en Suède et à Paris, Lewis aurait non seulement perdu une quinzaine de kilos pour se mettre dans la peau d'Helmut mais aurait également mis la main à la poche à plusieurs reprises.
La production du film rencontra effectivement de nombreux problèmes budgétaires, dus au désinvestissement financier de son producteur, Nathan Wachsberger. De surcroît, ce dernier n'avait pas assez sécurisé les droits du script de Joan O'Brien et Charles Denton, sur lequel le scénario du Clown reposait, générant ensuite une cascade de problèmes.
Selon le magazine Spy qui a publié un long article sur le film en mai 1992, Lewis était au courant que l'option autour du script avait expiré mais aurait tout de même entamé la production.
Il aurait également changé des aspects du scénario et plus particulièrement son héros, le rendant beaucoup moins égoïste que dans la version de O'Brien et Denton.
Marasme financier, litiges judiciaires, version controversée par les auteurs originels...
Au final, le film ne put être véritablement achevé, n'eut droit qu'à un simple premier montage réalisé en vitesse et ne put donc jamais sortir en salles. L'expérience, stressante et chaotique à de nombreux niveaux, aurait exténué Lewis qui souffrait déjà d'une santé fragile.
Après cela, celui qui traversait déjà une période difficile à Hollywood, disparaîtra des écrans pendant plus de 10 ans avant de revenir devant et derrière la caméra dans Au boulot... Jerry.
Au fil du temps, la légende autour de la nature et la qualité du film ne pouvait donc que continuer à s'épaissir. Avant que Lewis ne prenne la parole sur son oeuvre, le peu de spectateurs ayant pu voir le film, ou à en avoir eu un avant-goût, en ont donné des versions et des ressentis différents.
Au micro de Spy toujours, certains ont ainsi livré des commentaires peu amènes alors que d'autres, comme le critique Jean-Michel Frodon dans Slate, ont été beaucoup plus positifs.
A partir de là, comment situer le "vrai" du "faux" autour d'un film que si peu de personnes ont vu ? Comment savoir à quelle sensibilité se fier ?
De son côté, Jerry Lewis refusa maintes fois de discuter de son film maudit. Celui qui possédait un négatif qu'il gardait précieusement semble avoir entretenu une relation très ambiguë avec sa réalisation.
En 2009, il acceptait de revenir sur ce projet au cours d'une interview passionnante avec EW, dans laquelle il livrait être fier du film qu'il avait fait.
Mais, en 2013, il offrait une version différente en confiant à Cinefamily : "J'étais gêné. J'avais honte de ce film. Et je suis reconnaissant d'avoir eu le pouvoir de le contenir et de n'avoir jamais laissé personne le voir. C'était mauvais, mauvais, mauvais. Cela aurait pu être merveilleux mais je me suis trompé. Je n'ai pas bien saisi [le film]. Et je n'ai pas vraiment eu le bon sens de chercher pourquoi je le faisais, peut-être que, là, j'aurai eu une réponse."
A chaque nouvelle image dévoilée, comme il y a quelques années par la BBC, des fans et des experts tentent de les scruter pour percer à jour le mystère de ce clown si controversé.
Est-ce que Jerry Lewis refusait de le montrer car sa sensibilité l'en avait empêché ? Parce que le film était vraiment raté ou trop nauséabond ? Ou parce que les souvenirs de la post-production l'avaient bien trop affecté ?
Une partie de ces questions pourrait trouver leur réponse... en 2025. Deux ans avant son décès, Jerry Lewis avait en effet cédé les précieux négatifs du film à la Bibliothèque du Congrès, à la condition de ne pas les dévoiler avant 10 ans. Mais, même en découvrant le clown de Lewis, pourra-t-on jamais vraiment en connaître tous les secrets ? Rien n'est moins sûr...
Source Allo Cine