La publication des lettres de Louise Pikovsky a suscité de nombreux témoignages, dont celui d'une femme juive, lycéenne pendant la guerre. En revanche, Louise Dillery a échappé à une arrestation qui aurait pu lui être fatale. Depuis la parution du webdocumentaire "Si je reviens un jour" consacré aux lettres retrouvées de Louise Pikovsky, de nombreux témoignages me sont parvenus, tous plus émouvants les uns que les autres.......Détails.........
Plusieurs personnes m’ont contactée pour me raconter l’histoire tragique de leur famille au cours de la Seconde Guerre mondiale. Comme celle de la famille Pikovsky, ils m’ont confié les circonstances de la disparition d’un parent, d’un cousin, d’une tante ou d’un ami au cours de la Shoah. Soixante-dix ans après, leur douleur est toujours aussi vive.Quelques jours après la publication de "Si je reviens un jour", j'ai reçu un message de l'auteure britannique Carolyn Porter m'invitant à contacter Louise Dillery, l'une de ses connaissances.
"Elle porte le même prénom, elle avait à peu près le même âge que Louise Pikovsky, à deux ans près, et elle aussi était juive.
Elle habitait également à Paris pendant la guerre. Elle vit désormais aux États-Unis", m’a-t-elle indiqué. La coïncidence est incroyable. Nous prenons rapidement rendez-vous par Skype.
"Je me suis retrouvée toute seule"
Sur l’écran de mon ordinateur, c’est le visage d’une coquette grand-mère de 92 ans qui apparaît.
"J’espère que je ne fais pas trop maquillé. Il faut que je fasse attention à mon âge, je ne veux pas avoir l’air d’une vieille cocotte !", me dit-elle dans un grand éclat de rire, avant de se lancer dans le récit de sa vie. Louise Dillery, née en 1925 sous le nom de Gradstein, perd sa mère à seulement 13 ans à cause de la tuberculose.
Devenue orpheline de mère, elle se retrouve seule avec son père, Israël, un serrurier juif originaire de Pologne. Ils vivent dans un modeste appartement de l’île Saint-Louis.
Louise Dillery et son père en 1940. Tous deux portent le deuil.© Louise Dillery/Eagan High School
En 1942, leur quotidien bascule en quelques heures. Louise n’a jamais oublié cette journée : "C’était le 25 novembre. Je faisais la queue pour des tickets de ravitaillement.
Deux hommes en civil m’ont suivie jusque chez moi. Mon père était malade. Il avait des ulcères à l’estomac. Il était couché. Ils l’ont forcé à se lever et à s’habiller", raconte la vieille dame avec un français teinté d’accent américain. "Ils l’ont emmené avec eux.
Ils ne m’ont même pas regardée et je me suis retrouvée toute seule, debout comme une statue."
"Un ange en forme humaine"
La parisienne ne reverra plus jamais son père. Après un internement à Drancy, il est déporté le 9 février 1943 pour Auschwitz. Louise ne le sait pas encore. Elle n’a pas de nouvelles de lui et se retrouve démunie. Élève au lycée Victor Hugo dans le Marais, Louise peut toutefois compter sur l’aide de la proviseure de l’époque, Louise Maugendre.
"C’est elle qui m’a sauvé la vie et plusieurs d’entre nous probablement. Elle protégeait les lycéennes juives", se souvient son ancienne élève.
"Quand elle a appris pour mon père, elle m’a donné une bourse pour les livres et les fournitures scolaires. Elle m’a aussi donné une bourse pour pouvoir déjeuner au lycée."
La classe de Louise Dillery au lycée Victor Hugo, en 1942-1943. Elle est la première au deuxième rang, en partant de la gauche.© Louise Dillery/Eagan High School
Au cours de notre enquête sur le parcours de Louise Pikovsky, qui était à la même période élève au lycée Jean-de-la-Fontaine, nous avons consulté aux Archives nationales des documents d'époque de l’Éducation nationale. L’un d’entre eux va dans le sens du témoignage de Louise Dillery et montre l’humanité de sa proviseure.
En mars 1943, alors que le rectorat de Paris lance un recensement des élèves et des enseignants juifs ayant échappé aux rafles, la réponse de Louise Maugendre est sans appel. Elle est l'un des rares directeurs d'établissement à s'opposer à cette demande :
"Aucune mention de ce genre ne figure sur les bulletins d’inscriptions de nos lycées. D’autre part, à l’intérieur de l’établissement, ces élèves ne portent aucun signe distinctif sur le tablier d’uniforme. Il ne me paraît guère convenable ni compatible avec l’esprit de notre maison de les dénombrer à l’entrée ou à la sortie".
Sommée par le rectorat de répondre à cet ordre, la proviseure finit par indiquer quelques jours plus tard "le nombre d’élèves israélites". Mais dans l’ombre, elle continue de les protéger.
"Je me rappelle une fois seulement, elle nous a dit de sortir par la porte de derrière, alors que, normalement, on quittait le lycée par l’entrée principale. C’était probablement parce que des policiers français venaient nous voir", se souvient également Louise Dillery.
"C’était une femme extraordinaire. C’est l’une des personnes que j’appelle ‘un ange en forme humaine’. Elle m’a permis de survivre", insiste-t-elle.
"Pourquoi j’ai été épargnée ?"
La lycéenne bénéficie aussi du soutien de ses camarades qui l’hébergent souvent chez elles.
Le père Théomir Devaux, supérieur des pères de Notre-Dame-de-Sion à Paris, qui est venu au secours de centaines d’enfants juifs durant l’Occupation, lui permet aussi de payer son loyer. Louise évoque également l’aide d’un homme qui travaillait à la préfecture de police :
"Je ne me souviens plus de son nom. Je sais juste qu’il venait me voir et qu’il me disait ‘si j’étais vous, je ne resterais pas à la maison ce soir’. Il me prévenait des rafles". Cette chaîne de solidarité lui a permis de ne pas être déportée, contrairement à onze de ses camarades du lycée Victor Hugo.
Louise et ses amies du lycée Victor Hugo, place de la République, à Paris.© Louise Dillery/Eagan High School
À la Libération, son bac en poche, Louise travaille dans un hôpital américain, puis elle part vivre de l’autre côté de l’Atlantique, où elle finit par trouver l'amour et se marier.
Pendant longtemps, elle a refusé de se considérer comme une survivante de la Shoah : "Je n’ai pas été déportée. Je ne peux pas me mettre dans une catégorie aussi spéciale.
Mais, désormais, je dis que je suis une survivante par miracle. C’est grâce à madame Maugrendre, à mes amis, au père Devaux et à cet homme de la préfecture que je suis là aujourd’hui".
En lisant les lettres de Louise Pikovsky, qui, elle, a trouvé la mort à Auschwitz, elle s’est encore une fois étonnée de son destin.
Elles avaient quasiment le même âge, vivaient dans la même ville, allaient toutes les deux au lycée.
L’une a survécu et l’autre non : "J’ai été très touchée par cette histoire. Je me demande toujours pourquoi j’ai été épargnée. C’est l’un des grands mystères de ma vie".
Louise Dillery est aujourd'hui âgée de 92 ans.© Louise Dillery/Eagan High School
Source France 24