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lundi 20 février 2017

Exposition : «Maus», une souris dans la Shoah


 
L'exposition «Shoah et bande dessinée», actuellement à Paris, rappelle à quel point «Maus», d'Art Spiegelman, a bouleversé notre regard sur les camps. Comment a-t-il osé ? En 1980, Art Spiegelman, un auteur de BD américain âgé de 32 ans, publie dans une revue d'avant-garde, « Raw », les premiers épisodes d'une bande dessinée amenée à devenir un classique, l'équivalent moderne du « Journal d'Anne Frank », qui raconte la Shoah, en représentant les juifs comme des souris, les Allemands en chats et les Polonais en cochons....


 
Quand le livre sort, en 1986 aux Etats-Unis, puis dans le monde entier, le succès est immédiat, le scandale aussi. En Pologne, on manifeste contre ce dessinateur qui les représente comme des porcs.
« Même en France, parmi les déportés, les rescapés, beaucoup étaient choqués, parce que les nazis considéraient les juifs comme des rats. Spiegelman en faisait des souris, comme s'il reprenait le cliché. Alors que c'était une métaphore littéraire, et que la souris est justement prise au piège », rappelle Didier Pasamonik, commissaire de l'exposition « Shoah et bande dessinée », actuellement à Paris. 
 
Dans « Maus », oeuvre magistrale sur les camps de la mort, les Juifs sont représentés comme des souris et les Allemands comme des chats. (LP/Jean-Baptiste Quentin.)
 
Premiers mots après l'horreur
 
Spiegelman n'avait rien à perdre. Sa mère, ancienne déportée, s'était suicidée. Lui-même sortait d'un séjour en hôpital psychiatrique. Il cherchait à se rapprocher de son père, rescapé d'Auschwitz, juif polonais émigré en Amérique, qui ne lui avait jamais rien raconté.
« Maus » (« souris » en allemand) naît de leurs échanges, que le jeune homme enregistre sur de longues périodes, au magnétophone. 
Anja et Vladek, ses parents, vont devenir des mythes. Parce que leur fils n'enjolive rien, ni de leurs propres petitesses ou de leurs disputes de couple mal assorti. Il se met en scène lui-même, symbole de cette seconde génération qui ose enfin questionner ses aînés sur l'indicible.
« La révolution Maus, c'est ce basculement historique : les déportés, qui avaient très peu parlé et qu'on n'écoutait pas, arrivaient à l'âge de la retraite et racontaient. Le fils accouche littéralement des souvenirs du père. Et dans une BD ! Imaginez, c'était l'époque de Gaston Lagaffe et des superhéros », ajoute le spécialiste.
 
A l'origine, personne ne voulait l'éditer
 
En France, le succès est immédiat et durable. « On en vend encore 30 000 à 40 000 par an, plus de trente ans après sa sortie. C'est le livre que je réimprime et réédite le plus, en différentes éditions.
Il se vend très bien aussi en Allemagne », précise Patrice Hoffmann, directeur littéraire chez Flammarion, et proche d'Art Spiegelman. Les écoles et les bibliothèques le commandent : « On nous demande beaucoup de reproductions de planches pour les manuels scolaires et les livres d'histoire. C'est un témoignage hors pair », ajoute l'éditeur. 
Quiconque a lu « Maus », publié en deux tomes, a ressenti cette déflagration intime : pas seulement les camps, mais toute une vie qui défile, des années 1930 aux années 1970.
Et pourtant, à l'origine, personne ne voulait l'éditer : « Aux Etats-Unis, tous les grands du métier l'ont refusé. Dans MetaMaus, sorti en 2011, où il revient sur l'aventure de son livre, Spiegelman cite leurs lettres détaillées de refus : c'est à la fois formidable et cruel à lire pour un éditeur », sourit Patrice Hoffmann. 
Mais le dessinateur savait ce qu'il voulait — ne pas sortir « Maus » comme une simple BD, mais chez un éditeur de littérature — et n'a jamais cédé. La suite lui a donné raison.
S'il n'a pas créé le tout premier roman graphique, il l'a rendu populaire, et a ouvert la voie aux « Persepolis », de Marjane Satrapi, et « l'Arabe du futur », de Riad Sattouf. Art Spiegelman, 69 ans depuis mercredi, après « vingt ans de promotion », selon son éditeur, et qui a écrit plusieurs autres livres, s'est senti écrasé par ce succès.
Dans « MetaMaus », l'auteur se représente à nouveau en souris, essayant d'arracher son masque. Qui dévoile un crâne. « Aah ! » lance le squelette : soulagement ou horreur, le sens reste suspendu. Le dernier mot de « Maus ».
 

De Wolinski à Bilal, une expo saisissante
 
Un dessin de David Olère, déporté au camp d'Auschwitz-Birkenau de 1943 à 1945. (Catalogue Denoël Graphic.)
 
L'exposition gratuite « Shoah et bande dessinée », au Mémorial de la Shoah (Paris IV e), est proprement sidérante, par ses audaces.
On ignorait, d'abord, que certains déportés, au retour des camps, avaient dessiné, comme David Olère, membre des Sonderkommandos (unités de prisonniers contraints d'assister les nazis dans les camps d'extermination), qui a représenté les chambres à gaz sur des planches graphiques. Bouleversant, comme ce pastiche de « Mickey au camp de Gurs » réalisé par un prisonnier. Stupéfiant aussi, l'humour de Wolinski, lui-même fils d'un Juif polonais, qui ose à la une de « Charlie Hebdo », en 1978, un dessin de Hitler lançant : « Salut les Youpins ! Ça gaze ? »
L'expo montre tout, de Magneto, superhéros violent des X-Men rescapé des camps, à des planches originales et une magnifique peinture préparatoire de « Maus » par Art Spiegelman.
L'exposition couvre plusieurs générations, jusqu'à « Partie de chasse », de Christin et Bilal, qui mettent en scène un survivant du ghetto de Varsovie. On est secoué, on sourit aussi : le dessin arrondit parfois les angles et apporte de la douceur à des récits très durs.
Source Le Parisien
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