Amit Hai Cohen est un musicien et cinéaste juif vivant à Jérusalem. Il travaille avec le son, le visuel et les mots afin de « raconter l'endroit où il vit ». Il fait partie de ces Juifs d’origine marocaine et tunisienne qui ont affiché, depuis plusieurs années, leur fort attachement au Maroc et à sa culture. Il est également l'époux de la talentueuse artiste israélienne Neta Elkayam. Ils symbolisent tous deux une nouvelle génération fière de porter l’héritage marocain de leurs parents et grands-parents. Interview.....
Vous n'êtes pas né au Maroc, mais vous avez un intérêt pour la culture marocaine. Quelles en sont les raisons ?
Je ne suis certes pas né au Maroc mais ce sont près de 2 000 ans de mon histoire qui y sont enracinés, plus que dans n'importe quel autre coin du monde. C’est au Maroc, dans le petit village de Tizgui, entre Ouarzazate et Tilwat, que mes grands-parents Tamu et Moshe Amar ainsi que mes ancêtres ont vu le jour. La culture marocaine me fascine et elle dispose de presque tout : j'aime les couleurs, les odeurs et aussi les gens. Le Maroc me permet, entre autres, d'élargir mes frontières et de rêver.
Que représente le Maroc pour Amit Hai Cohen ?
Le Maroc représente pour moi le beau visage de ma grand-mère, la naïveté de mon grand-père, que Dieu ait leurs âmes. Spirituellement, ils n’ont jamais quitté ce pays.
Le Maroc, c'est aussi pour moi une communauté, une histoire et une tradition. Ce n’est pas juste une nostalgie, mais quelque chose de tangible. De la beauté, de la richesse, mais aussi beaucoup de douleur et de la pauvreté. Il y a du bien et de l'amour, mais aussi des femmes qui veulent plus de liberté et des gens dans les villages, dans le village de ma famille, qui aspirent à un avenir meilleur, à l'égalité des chances dans l'emploi, à l'éducation et aux infrastructures.
Là-bas, j'ai rencontré des gens étonnants et talentueux qui n'ont pas pu tirer le meilleur profit de leur vie comme ils l'auraient souhaité.
Quand je vois des gens au Maroc, je vois ma famille dans leurs visages. Même caractère, mêmes traits du visage, mêmes yeux et mêmes âmes. Pour moi, le Maroc, c'est en quelque sorte ma maison.
La première fois que je me suis rendu à Tizgui, j'ai vu la rivière d’où ils buvaient, la synagogue où les gens priaient. C'est comme remonter dans le temps avec la connaissance et la perspective historique d'aujourd'hui. C'est une possibilité qui me fascine.
En tant que Juif d’origine marocaine, avez-vous déjà souffert du racisme comme c'est parfois le cas pour d’autres Juifs marocains ?
Les Juifs marocains ont souffert du racisme dès le jour où ils ont atterri sur cette terre. Je compose actuellement la musique d'une série télé qui parle de kidnapping des enfants.
C'est une affaire douloureuse. Des milliers d'enfants juifs venus de pays arabes et musulmans ont été enlevés par les autorités pour des adoptions illégales. On a dit aux parents que leurs enfants étaient morts, mais il n'y avait ni corps ni enterrement. Ces bébés avaient tout simplement disparu. C'est un crime en série.
Mais il faut dire que les Marocains d’Israël savent aussi se battre. Reuven Abergel, le personnage principal de mon film actuel, est un bon exemple d'un militant qui a combattu toute sa vie contre le racisme des Juifs d’origine européenne, qui nous ont toujours marginalisés et contrôlés. Même aujourd'hui, la lutte existe et nous avons beaucoup de travail à faire pour régler ce problème, pour qu'il y ait une réelle égalité entre les Juifs de toutes origines, y compris ceux d’origine arabe.
Je dois ajouter que la vie au Maroc n'a pas toujours été idéale pour les Juifs. Nous devons faire face et avoir un discours honnête à ce sujet. En Israël aussi, nous avons souffert. Disons que le monde n'est pas un lieu idéal pour vivre...
Pensez-vous revenir au Maroc un jour pour vous y installer ?
Nous revenons toujours au Maroc pour rendre visite à des amis ou assister à des concerts. Nous travaillons également pour avoir notre passeport marocain. Rentrer pour de bon ? Je pense que nous sommes à un moment où il n'est pas nécessaire de choisir un endroit, où il est possible de se déplacer et d'élargir les frontières au lieu de les réduire à un seul endroit.
J'espère vraiment que nous aurons toujours une porte ouverte au Maroc. Nous appartenons à ce pays et nous faisons partie de son sol. Nos grands rabbins y sont enterrés et l'âme de la vie juive est encore dans les airs. Pour moi, le Maroc est une continuation directe de Jérusalem et Jérusalem est une continuation directe du Maroc.
Les Juifs marocains ont toujours été ici (en Israël, ndlr) et là-bas (au Maroc). J'essaie de ne pas accorder trop d'importance aux frontières nationales et de ne pas brandir de drapeaux, bien que les systèmes nous les imposent.
Quoi qu'il en soit, je suis quotidiennement en contact avec des amis qui vivent au Maroc, même ceux qui habitent à Tizgui, le village de ma grand-mère. Un beau village avec des gens en or.
J'ai commencé un projet de film qui comprend la documentation et l'historiographie de cet endroit. Et avec l'aide de Dieu, je prévois également de construire un cimetière pour les tombes juives enterrées dans la montagne. J'ai rencontré des amis qui m'ont beaucoup aidé.
C'est pourquoi je vois le Maroc comme un endroit naturel pour vivre. Je le vois comme je vois Jérusalem.
Pourquoi avez-vous choisi les courts-métrages produits par la combinaison entre le Maroc et Jérusalem ?
Parce que je veux vivre ce rêve, être sur la route entre les deux endroits. C’est un peu comme les rabbins du Maroc, qui viennent toujours visiter les saints lieux de Jérusalem avant de retourner au Maroc et reprendre ce voyage. Ma petite docu-musique « Ya lhmama » (en français « Ô la colombe ») est une partie de ce rêve. Je ne crée pas de films entre le Maroc et Jérusalem. J'essaie simplement de faire des choses indépendamment des frontières que les gouvernements imposent.
Les œuvres marocaines sont-elles populaires en Israël ?
La musique traditionnelle marocaine vous accueille à chaque étape de votre vie, dans les synagogues, lors des événements familiaux et même au cours d’une conversation quotidienne avec la famille.
Je viens de finir de produire et de gérer musicalement un hommage à Zohra Alfassia, la grande diva juive marocaine, pour le Jerusalem International Oud Festival.
Le travail a duré des mois, avec ma partenaire de vie et de travail, l'artiste et chanteuse Neta Elkayam, et neuf autres musiciens. Nous l'avons présenté la semaine dernière et les billets ont été vendus deux semaines à l'avance. La salle était bondée, les jeunes venaient avec leurs grands-mères, il y avait une atmosphère extatique.
Les gens ont soif de leurs racines, notamment avec la musique. Ils veulent parcourir une culture qui puise dans les 2 000 ans d’existence et pas seulement dans les 65 ans de vie en Israël.
Qu’en est-il des rapports avec les responsables de la Culture ici au Maroc ? Recevez-vous des invitations pour participer à des festivals dans le Royaume ?
Neta Elkayam et moi avions assisté à plusieurs reprises au festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira ainsi qu’à d'autres projets au Maroc. A Essaouira, on se sent déjà chez nous. Quand on y est arrivés, on a pu imaginer un monde presque idéal.
On aime vraiment cet endroit. Quand on s’y rend, on passe le temps entre la Zawia avec des amis et à écouter de la musique. On partage les mêmes compositions mais avec des mots différents. On prévoit de venir bientôt pour enregistrer quelques musiciens pour notre album qui sortira l'année prochaine.
Les Juifs d'origine marocaine se soucient-ils de ce qui se passe Maroc ? Suivent-ils l'actualité marocaine ?
Il y a toujours de l'intérêt pour le Maroc, mais qui s’efface au fil des générations. La connexion s'est rompue avec le temps. Les gens sont moins intéressés par la politique et ce qui se passe dans la société marocaine. Nous avons beaucoup de problèmes à résoudre ici.
Mais aujourd'hui, en parallèle, il y a aussi une conscience qui s'éveille au sein de la jeune génération qui souhaite maintenir la relation spéciale entre les Juifs et le Maroc.
Il serait difficile de couper les ponts, bien que beaucoup le souhaitent. Je pense que la nostalgie et les souvenirs sont importants, mais j'insiste sur le fait que le Maroc est pertinent pour nous aujourd'hui.
Non seulement comme un souvenir effacé, mais aussi comme une idée sociale et politique, comme une philosophie que nous pourrions approfondir.
Source Yabiladi
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