Saul Friedländer est l’un des meilleurs spécialistes du nazisme. Il a commencé sa carrière universitaire dans les années 1960. Il revient dans deux ouvrages sur ses années de formation, ses enseignements, ses travaux et ses engagements.....
Dans un premier livre de mémoires publié en 1978, Quand vient le souvenir, Saul Friedländer se remémorait son parcours d’enfant Juif caché par une famille en France, un temps converti au catholicisme qui redécouvre son judaïsme et part en 1948 en Israël.
Le deuxième volume publié aujourd’hui reprend le récit là où il avait été laissé il y a quarante ans. Après avoir quitté clandestinement le pensionnat du lycée Henri IV, il se souvient de son arrivée en Israël en juin 1948. Le pays est alors en pleine construction.
Fervent sioniste, il est envoyé pour travailler à l’ambassade d’Israël… à Paris. Insatisfait, il séjourne ensuite en Suède, aux États-Unis puis en Suisse où il finit par s’établir quelques temps. C’est là qu’il commence à fréquenter l’Université et le monde de la recherche, ses mémoires évoquent à de nombreuses reprises ce monde universitaire.
Le cinéma et la Shoah
Si les deux ouvrages se recoupent parfois, Réflexions sur le nazisme est un retour sur son œuvre et son travail historien. Friedländer y précise son point de vue sur certains de ses livres, notamment Reflet du nazisme, où il analyse avec brio des aspects de la vie culturelle quelle soit littéraire ou cinématographique. Bien que les artistes s’en défendent, ils sont souvent fascinés par le nazisme et sa mise en scène.
Saul Friedländer le montre à travers les exemples de plusieurs films comme Hitler un film d’Allemagne de Häns-Jürgen Syberberg ou Lili Marleen de Reiner Fassbinder.
Derrière l’apparente analyse de la montée du nazisme, l’auteur montre comment les réalisateurs cherchent à dédouaner les Allemands de leurs responsabilités dans l’arrivée d’Hitler au pouvoir puis dans l’extermination des Juifs.
Inversement, il considère que le téléfilm à grande diffusion de Marvin Chomsky Holocauste en dépit de ses défauts a été utile car il a permis à nombre personnes de commencer à s’exprimer sur l’extermination dont leur famille avait été victime.
Parallèlement, en dépit de son admiration pour le film de Claude Lanzmann, Shoah, il demeure critique sur certains aspects du l’œuvre (comme par exemple l’absence de mention de la France, ou la sur représentation de la Pologne alors que l’Allemagne aurait dû avoir une place plus importante).
La querelle des historiens
Il revient avec détails sur la querelle des historiens. Elle est principalement animée par un historien Martin Broszat et un philosophe, Ernest Nolte. Pour mémoire, cette controverse historique est lancée lorsque les historiens allemands posent en 1986 deux questions distinctes.
La première est liée à la réaction du nazisme face au bolchevisme dont l’arrivée au pouvoir d’Hitler ne serait que sa conséquence pour Nolte.
La deuxième est la question de l’intentionnalité de l’extermination des Juifs par les nazis.
Les historiens allemands considèrent qu’elle intervient après le déclenchement de l’opération Barbarossa et l’attaque de l’URSS, pour Broszat. Friedländer pointe les incohérences et les arrière-pensées des universitaires qui tentent de disculper les Allemands de leurs responsabilités dans l’arrivée du nazisme au pouvoir puis dans le génocide.
Par ailleurs, ils rappellent que ces historiens ont pour des raisons individuelles ou familiales été mêlés au nazisme (un engagement dans les Jeunesses hitlériens, un frère SS, etc…), qu’ils ont, par leurs recherches et les constructions intellectuelles proposées, fait exactement la même chose que les artistes : cherché à diminuer la responsabilité allemande et donc diluer sa culpabilité, sans oublier non plus pour certain une part d’antisémitisme résurgent.
Le travail historien
Troisième aspect essentiel dans l’entretien comme dans les mémoires est la réflexion sur le travail historien. Friedländer avec un certain amusement souligne combien ses débuts dans le métier d’historien ont été artisanaux. Il n’en demeure pas moins qu’il a à plusieurs reprises publié des travaux pionniers sur l’Eglise et le nazisme, montrant la différence entre les papes Pie XI, qui meurt alors qu’il préparait une encyclique contre le nazisme, et Pie XII qui s’emmure dans le silence.
Il revient aussi sur sa grande œuvre qui couronne sa carrière, L’Allemagne nazie et les Juifs, fruit de près de quinze ans de travail. Cet ouvrage de plus de 1000 pages veut expliquer le processus d’extermination en remontant le fil de l’antisémitisme allemand, le rôle personnel d’Hitler, l’évolution du système nazi qui, comme tout système totalitaire, a vu naître des oppositions entre ses différentes bureaucratie.
La convergence de ces logiques a permis l’assassinat de masses, mais Friedländer refuse de créer un système global d’explication. Pour lui c’est la somme de ces histoires qui constitue la réalité de la Shoah et du processus d’extermination.
La création de concept unique pour livrer une analyse globale est erronée. Il faut au contraire les multiplier pour donner à l’histoire de l’extermination tout son sens.
Un intellectuel israélien
Enfin, le dernier aspect est le retour sur son itinéraire d’un intellectuel Juif cosmopolite, ayant changé plusieurs fois de prénom au fur et à mesure de ses vies multiples. S’il raconte les méandres de la vie universitaire c’est aussi et peut être surtout un intellectuel israélien, favorable à la paix avec les Palestiniens.
Auteur en 1974 d’un ouvrage de dialogue avec des intellectuels arabes, il propose de négocier avec alors que personne dans le pays n’en accepte encore le principe. Dans les années 1980, il manifeste pour protester contre la politique gouvernementale.
L’ancien militant de la gauche israélienne jette aujourd’hui un regard lucide et sombre sur la société israélienne.
La disparition du passé hante Saul Friëdlander. C’est l'une des raisons pour lesquelles il est un militant de l’exactitude historique : il s’agit pour lui d’empêcher le passé de passer.
Sylvain BOULOUQUE
Source Non Fiction
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