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vendredi 3 juin 2016

Paracha Bamidbar : Géographie de l’errance en quête de sens



Géographie de l’errance en quête de sens. Avec notre Parasha nous entamons un nouveau livre de la Tora intitulé « dans le désert » ou le livre des Nombres....
 





Désert, parole et Mandala


Notre Parasha dresse une sorte de plan du campement des hébreux après le mont Sinaï. Ce campement montre une répartition symbolique très forte entre les tribus et donne l’impression que le campement d’Israël, loin d’être choisi au hasard, cherche à refléter une perfection céleste chère à la vision qu’en avaient les antiques.
En cela, cette idée rejoint un peu celle du Mandala, chez les extrêmes Orientaux. C’est une forme de représentation symbolique d’un système initiatique fonctionnant par étapes et menant vers le centre présentant un modèle d’ascension spirituelle. Jung y voyait, lui, une représentation symbolique de la psyché.
Bien loin d’être le lieu du vide absolu, le désert reste le lieu de la parole et de la rencontre, dépendants d’une écoute profonde intérieure. En hébreu, Bamidbar veut dire également « dans le parlant ». Une dimension si profonde qu’il faudra 40 ans au peuple juif pour l’explorer…
Nous en gardons le souvenir comme tous les grands systèmes mystiques et nous recommençons cette errance à travers le texte de Parasha en Parasha.


Yeshaya Dalsace




Bemidbar – Chavouot


Cette année, le chabat Bemidbar sera suivi après quelques jours par la fête de Chavouot, nous invitant à une intéressante mise en parallèle des textes lus.
La parachah Bamidbar commence par décrire l’organisation du campement des hébreux afin de permettre au peuple d’entrer et de prendre possession de la terre d’Israël : les douze tribus devront se répartir dans les quatre directions de l’espace, permettant ainsi d’ouvrir et de protéger en leur centre la place du sanctuaire.
Le peuple sera donc rassemblé par ce point central du sanctuaire, au cœur duquel se trouve bien sûr le Saint des Saints. Or celui-ci est caractérisé par le fait qu’il est un lieu vide d’hommes, sauf une fois l’an à Kipour, lorsque le grand-prêtre y entre pour demander pardon. Car c’est précisément dans ce vide créé par le retrait de l’homme au cœur même du peuple que la Présence divine peut venir résider.
Comme s’il fallait que le peuple se vide en son centre pour laisser place à ce qui le dépasse et lui échappe, et pourtant par ce fait même, le porte et l’oriente dans l’histoire.
Cette première lecture est corroborée par le texte lu à Chavouot (Exode 19 et 20). On nous dit en effet ceci : les enfants d’Israël « partirent de Refidim, vinrent dans le désert du Sinaï, campèrent dans le désert, et Israël campa là face à la montagne » (Exode 19, 2).
Outre la redondance (on nous dit deux fois qu’ils campèrent), les commentateurs nous font remarquer cet étrange passage du pluriel au singulier : ils « campèrent », puis, il « campa ». Pourquoi ? Parce qu’Israël est un peuple profondément pluriel, et ce jusqu’à aujourd’hui.
Cette pluralité est un élément positif, puisqu’elle va être institutionnalisée dans la mise en ordre du campement : il faut douze tribus autour du sanctuaire pour que celui-ci émerge au centre de cette pluralité pour lui donner son sens et son unité sans la nier.
Le sanctuaire est donc soutenu par cette pluralité, et en constitue le couronnement, non l’abolition.
Mais en même temps il réunit cette pluralité par le vide – et non par le plein – puisque ce centre fédérateur doit rester au-delà de toute présence et de toute emprise humaines.
D’où l’importance des prêtres qui doivent empêcher tout « étranger » au service de s’approcher de ce centre ou de s’en emparer. Or c’est exactement ce que fait aussi la montagne du Sinaï : c’est face à la montagne, c’est-à-dire à ce qui va l’élever vers des hauteurs insoupçonnées, que le peuple d’Israël retrouve son unité. Mais attention !
Cette unité n’appartient à personne ! Dès que le peuple s’installe en effet autour de cette montagne pour se préparer à y recevoir la Torah, l’exigence divine se fait entendre de manière péremptoire : nul ne devra monter sur la montagne ! L’unité n’est donc pas accessible immédiatement : elle ne peut être visée qu’à travers et à partir de la pluralité qui lui donne accès et la protège.
Autrement dit, seul ce vide de la montagne qui nous élève et nous aspire vers le haut, peut nous réunir, précisément parce qu’il nous échappe et indique ainsi une dimension de hauteur qui nous transcende absolument.
La Révélation ne pourra donc se faire qu’à partir de ce vide, comme expression de ce retrait de l’humain face au divin qui en lui laissant la place fonde les conditions de sa propre unité et du sens de son histoire.
C’est donc bien ce qui nous échappe qui nous réunit. Israël ne se rassemble pas par le plein d’un projet, d’un idéal, d’une définition, d’une croyance, mais par le vide d’un Appel qui se creuse en son sein et l’élance vers des hauteurs insoupçonnées.
Cela signifie que personne ne peut s’approprier le judaïsme, ou croire le posséder – et qu’il n’y aura jamais de définition du Juif. On peut seulement témoigner du judaïsme plus ou moins bien par ses actes, et par la réflexion et l’étude qu’ils suscitent sur la possibilité de les améliorer.


Yedidiah Robberechts




Questions de recensements


Notre parasha ouvre le livre de Bemidbar, que l’on nomme également en hébreu « séfer hapikoudim » qui a été traduit en français par « le livre des Nombres ».
En effet, ce livre s’ouvre, dans notre parasha, par un recensement qui a lieu au début de la traversée du désert, un an après la sortie d’Egypte, et se termine (dans la parasha Pinchas) par un nouveau dénombrement qui, lui, a lieu 39 ans plus tard, peu avant l’entrée en terre promise.
Le premier commentaire de Rashi sur notre parasha (et donc sur le livre tout entier) dit la chose suivante : « Par amour d’eux Il les dénombre à chaque moment.

Lorsqu’il sont sortis d’Egypte Il les a compté, lorsqu’ils se sont dégradés par le veau d’or Il les a compté pour savoir combien restaient, lorsqu’Il vint poser sa présence sur eux ils les a compté, c’est le premier nissan qu’a été confectionné le sanctuaire et c’est le premier Iyar qu’Il les a compté (d’après le midrash Torat Cohanim cité ici par Rashi) ».
A priori, le commentaire de Rashi ne semble pas présenter de difficultés : en effet, nous pouvons retrouver facilement les passages de ces différents comptes » :
- dans le livre de l’exode, chapitre 12, verset 37, il est écrit : « Et les enfants d’Israël voyagèrent de Ramsès à Soukoth, quelques six cent milles gens de pieds sans compter les enfants ».
- dans le livre de l’exode, au chapitre 32, verset 28, après la faute du veau d’or il est écrit : « Et les enfants de Lévi accomplirent ce que Moïse avait dit, et il est tombé parmi le peuple ce jour là environ trois mille personnes ».
- enfin, dans notre Parasha de Bémidbar, au chapitre 2, verset 32, il est dit : « Voici les comptes des enfants d’Israël par familles paternelles, l’ensemble du recensement du camp suivant les différentes armées, six cent trois mille cinq cent cinquante ».
Nous savons pourtant que Rashi commente lorsqu’il existe une difficulté textuelle, or ici il semble que tout soit clair, et dans le texte de la Torah, et dans celui du midrash que cite Rashi.
En réalité, il nous semble que Rashi vient nous signaler ici une difficulté du texte du midrash, pour attirer notre attention sur une question cruciale du texte du livre des Nombres. Le midrash omet en effet de nous rappeler le dernier recensement, celui qui est effectué à la fin des 40 ans de désert. N’est-il pas, lui aussi, un signe d’amour ?
Si nous regardons le verset 51 du chapitre 26 du livre des Nombres, la difficulté nous saute immédiatement aux yeux : « Voici les comptes des enfants d’Israël, six cent un mille sept cent trente ».
En 40 ans, la démographie du peuple d’Israël a été nulle, voir même un petit peu négative : 1720 personnes en moins ! Pour ceux qui, comme moi, attendent impatiemment chaque année la publication, la veille de Yom Haatzmaout, l’indépendance d’Israël, de l’évolution démographique du pays, et sont heureux de constater que la population juive s’est agrandie, le gel de la population des Hébreux pendant les 40 ans de la traversée du désert est particulièrement frappante. Que s’est-il passé ?
C’est que le désert est, en réalité, un passage obligé, mais négatif, du développement d’Israël. Il permet la remise de la Loi, il permet la préparation de la génération qui va conquérir la terre, mais tout ceci est déconnecté de toute réalité historique et matérielle : même la nourriture et les vêtements leur sont offerts sans qu’ils n’aient à fournir le moindre effort !
Mais le but du Judaïsme n’est pas d’évoluer dans le désert, de bloquer tout dynamisme comme cela se reflète dans cette non-évolution démographique. Mais au contraire l’Alliance divine nous a été donné pour faire « laassot », pour construire et développer, pour être un peul dans l’histoire et non un peuple déconnecté des évènements.
C’est ce que Rashi nous signale, par son commentaire, pour nous empêcher de tomber dans une erreur de compréhension alors que nous entamons le livre du désert (Bémidbar).
Bémidbar veut dire textuellement « le lieu de la parole », mais ce que Dieu nous demande, c’est de savoir sortir de ce lieu de la parole pour rentrer dans le monde de l’action, rentrer en terre d’Israël.


Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien


Source Massorti