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jeudi 14 avril 2016

Olivier Guez : “Il est impossible de recréer le monde juif germanique d’avant-guerre"






Journaliste, essayiste, romancier, scénariste, Olivier Guez est un éclectique qui s’intéresse aussi bien à la géopolitique moyen-orientale qu’au football brésilien, à l’état de l’Amérique qu’à la musique électro. Entretien à l’occasion de la sortie de Fritz Bauer, un héros allemand , film qu’il a co-écrit sur le premier chasseur de nazis allemand....
 

 
Comment vous êtes-vous retrouvé scénariste de Fritz Bauer, un héros allemand ?Olivier Guez – Le point de départ, c’est la traduction en allemand de mon livre Juifs allemands : l’impossible retour. Le réalisateur Lars Kraume l’a lu, il m’a contacté pour écrire une histoire autour de ce thème. On s’est finalement arrêté sur le personnage de Fritz Bauer, qui avait sombré dans l’oubli. Or, il fut l’un des principaux initiateurs du travail de mémoire sur le nazisme en Allemagne.


Au-delà de la figure “héroïque” de Bauer, le film rappelle que dans les années cinquante, l’appareil judiciaire allemand était truffé d’anciens nazis ou sympathisants…
Pas que l’appareil judiciaire, toutes les institutions : police, enseignement, santé, industrie… Mais c’était normal, on était quelque dix ans après la guerre. Tous les membres de l’administration et des super-structures du pays étaient les mêmes, c’était des nazis qui avaient juste troqué leurs uniformes pour des costumes plus sobres.

Quand je faisais mes recherches pour le livre, j’étais fasciné par cet après-guerre parce que c’était une période très ambigüe, très grise, très sombre.


Le film montre bien qu’histoire et morale sont deux choses bien différentes. Ah, elles font rarement bon ménage ! Le film essaye vraiment de montrer la complexité de cette période avec la realpolitik de la RFA, des Etats-Unis, d’Israël, etc. Bauer évolue au milieu de ce labyrinthe géopolitique dont il ne détient pas les clés.
C’est un solitaire qui n’a que son travail et son idée de la justice dans la vie. C’est un héros de western ! C’est l’inspecteur Harry mais dans un genre un peu différent. Bauer a redonné envie d’être allemand à cette génération grandie dans l’après-guerre.


Il y a eu pléthore de films sur le nazisme. Fritz Bauer est-il un film de plus sur le sujet, au risque de la saturation, ou pensez-vous qu’il y a toujours à apprendre sur cette période ?
 Il n’y a aucun flashback années 30 ou 40 dans le film, aucune croix gammée – sauf sur l’affiche française qui n’est pas de nous. L’imaginaire de notre film, c’est les films d’espionnage des années 50, un peu comme dans Le Pont des espions de Spielberg : John Le Carré, Preminger, cette veine… L’après-nazisme est finalement assez peu traité au cinéma.

Prenons l’affaire Eichmann, c’est une histoire de guerre froide. Les services allemands savent qu’Eichmann se cache en Argentine dès 1952, et la CIA le sait dès 1956, mais personne ne bouge. Eichmann est une figure trop importante, il pourrait faire vaciller la RFA.


Par Serge Kaganski  
Source Les Inrocks