Cinq nouveaux Etats ont voté le 22 mars, alors que Hillary Clinton et Donald Trump ont exprimé leur position sur Israël au congrès du lobby juif, Aipac. L’occasion pour ce journaliste israélien de dresser le portrait d’un pays profondément déstabilisé....
Même s’il n’est pas élu président, Donald Trump est d’ores et déjà entré dans l’histoire. Le milliardaire de Palm Beach a fait mentir tous les pronostics et changé le paysage politique des Etats-Unis. Ou plutôt il a révélé comment ce paysage avait changé.
Les victoires retentissantes engrangées par ce populiste mal dégrossi lors des primaires montrent clairement que les Etats-Unis ont changé de visage. Finis le prudent establishment économique, la bienheureuse classe moyenne et le système politique stable, les Etats-Unis ne sont plus ce pays sûr de lui, de son identité et de son avenir. Les Américains ont peur et sont en colère. L’Amérique est à la dérive.
Pour un Israélien qui passe énormément de temps à débattre à propos d’Israël de Boston à San Francisco, le succès de Donald Trump est un motif de soulagement. Tout d’un coup, la scène politique israélienne paraît nettement moins honteuse. Comment se dire dégoûté par la situation à Jérusalem quand Trump marche sur la Maison-Blanche en foulant aux pieds tous les principes de base de la démocratie américaine ?
Sueurs froides
Pour un Israélien attaché aux Etats-Unis, en revanche, la popularité de Trump a de quoi donner des sueurs froides. Jamais nous n’avons assisté à une telle campagne électorale. Comment un clown aussi brillant, aussi dangereux, aussi répugnant et aussi vulgaire peut-il ainsi se rapprocher de la Maison-Blanche ?
La première raison est la peur.
La population des Etats-Unis est en train de changer, et vite, ce qui bouleverse l’identité du pays. L’Amérique blanche et chrétienne est en passe de devenir minoritaire. Les deux campagnes de Barack Obama avaient pour mot d’ordre le changement. Aujourd’hui, on assiste à un retour de bâton réactionnaire. Un ressentiment sombre et horrible sourd d’une fraction de la population blanche et conservatrice, qui sent son pouvoir et sa mainmise sur le pays qu’elle a façonné lui échapper.
Il y a aussi les angoisses d’ordre économique. Au cours des trente dernières années, le capitalisme américain s’est montré d’une rapacité inégalée depuis la fin du XIXe siècle.
La concentration massive des capitaux, le creusement ahurissant des inégalités et l’érosion de la classe moyenne font aujourd’hui voler en éclats le rêve américain. L’absence de réelle mobilité et l’incertitude quant à leur avenir font vaciller l’optimisme des Américains.
Perte de puissance
Enfin, il y a la peur du déclin. Les citoyens qui se rendront aux urnes le 8 novembre prochain sont les enfants du “siècle américain” : ils ont grandi dans un monde dominé d’une façon ou d’une autre par les Etats-Unis. Or, au cours des quinze dernières années, ces électeurs ont vu leur pays perdre son rang sur la scène internationale.
La montée en puissance de la Chine, les provocations de la Russie et le bourbier du Moyen-Orient sont autant de preuves que Washington n’est plus le gendarme du monde. D’où cette aspiration à faire émerger une nouvelle figure d’autorité forte et sans scrupule.
Ces trois peurs se sont muées au cours des dernières années en une sourde angoisse. Alors qu’en surface l’économie semblait plus ou moins redémarrer, que les conflits dans le monde paraissaient plus ou moins s’apaiser et que la vie était plus ou moins tolérable, cette sourde angoisse s’est répandue sur les masses américaines.
La précarisation de l’emploi, les tensions entre communautés et les incertitudes quant à l’avenir n’ont fait que l’exacerber. Jusqu’à ce que Donald Trump et Bernie Sanders expriment ce sentiment haut et fort.
C’est pourquoi, même s’il n’est pas élu, le magnat de l’immobilier a déjà sa place dans les livres d’histoire.
Cette caricature grotesque de Ronald Reagan n’a pas seulement fait tomber la politique américaine à un niveau historiquement bas, il met en péril tout ce que les Etats-Unis ont été et sont encore censés représenter.
Ari Shavit
Source Courrier International