La Haftara de Chemot est controversée. Les ashkénazes lisent Isaïe 27-28 alors que les sépharades lisent le premier chapitre de Jérémie comme le premier Chabbat après le jeûne du 17 Tamouz marquant le commencement de la période de deuil. La tradition sépharade n’est pas claire. Pourquoi reprendre un passage qui est déjà lu dans un autre contexte, qui plus est de malheur ? Voici donc les deux textes traduits suivis de deux analyses...
Texte de la Haftara pour les séfarades :
La parole de l’Éternel me fut adressée, en ces mots :
Avant que je t’eusse formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais, et avant que tu fusses sorti de son sein, je t’avais consacré, je t’avais établi prophète des nations.
Je répondis : Ah ! Seigneur Éternel ! voici, je ne sais point parler, car je suis un enfant.
Et l’Éternel me dit : Ne dis pas : Je suis un enfant. Car tu iras vers tous ceux auprès de qui je t’enverrai, et tu diras tout ce que je t’ordonnerai.
Ne les crains point, car je suis avec toi pour te délivrer, dit l’Éternel.
Puis l’Éternel étendit sa main, et toucha ma bouche ; et l’Éternel me dit : Voici, je mets mes paroles dans ta bouche.
Regarde, je t’établis aujourd’hui sur les nations et sur les royaumes, pour que tu arraches et que tu abattes, pour que tu ruines et que tu détruises, pour que tu bâtisses et que tu plantes.
La parole de l’Éternel me fut adressée, en ces mots : Que vois-tu, Jérémie ? Je répondis : Je vois une branche d’amandier.
Et l’Éternel me dit : Tu as bien vu ; car je veille sur ma parole, pour l’exécuter.
La parole de l’Éternel me fut adressée une seconde fois, en ces mots : Que vois-tu ? Je répondis : Je vois une chaudière bouillante, du côté du septentrion.
Et l’Éternel me dit : C’est du septentrion que la calamité se répandra sur tous les habitants du pays.
Car voici, je vais appeler tous les peuples des royaumes du septentrion, dit l’Éternel ; ils viendront, et placeront chacun leur siège à l’entrée des portes de Jérusalem, contre ses murailles tout alentour, et contre toutes les villes de Juda.
Je prononcerai mes jugements contre eux, à cause de toute leur méchanceté, parce qu’ils m’ont abandonné et ont offert de l’encens à d’autres dieux, et parce qu’ils se sont prosternés devant l’ouvrage de leurs mains.
Et toi, ceins tes reins, lève-toi, et dis-leur tout ce que je t’ordonnerai. Ne tremble pas en leur présence, de peur que je ne te fasse trembler devant eux.
Voici, je t’établis en ce jour sur tout le pays comme une ville forte, une colonne de fer et un mur d’airain, contre les rois de Juda, contre ses chefs, contre ses sacrificateurs, et contre le peuple du pays.
Ils te feront la guerre, mais ils ne te vaincront pas ; car je suis avec toi pour te délivrer, dit l’Éternel.
La parole de l’Éternel me fut adressée, en ces mots :
Va, et crie aux oreilles de Jérusalem : Ainsi parle l’Éternel : Je me souviens de ton amour lorsque tu étais jeune, De ton affection lorsque tu étais fiancée, Quand tu me suivais au désert, Dans une terre inculte.
Israël était consacré à l’Éternel, Il était les prémices de son revenu ; Tous ceux qui en mangeaient se rendaient coupables, Et le malheur fondait sur eux, dit l’Éternel.
Texte de la Haftara pour les ashkénazes :
Dans les temps à venir, Jacob prendra racine, Israël poussera des fleurs et des rejetons, Et il remplira le monde de ses fruits.
L’Éternel l’a-t-il frappé comme il a frappé ceux qui le frappaient ? L’a-t-il tué comme il a tué ceux qui le tuaient ?
C’est avec mesure que tu l’as châtié par l’exil, En l’emportant par le souffle impétueux du vent d’orient.
Ainsi le crime de Jacob a été expié, Et voici le fruit du pardon de son péché : L’Éternel a rendu toutes les pierres des autels Pareilles à des pierres de chaux réduites en poussière ; Les idoles d’Astarté et les statues du soleil ne se relèveront plus.
Car la ville forte est solitaire, C’est une demeure délaissée et abandonnée comme le désert ; Là pâture le veau, il s’y couche, et broute les branches.
Quand les rameaux sèchent, on les brise ; Des femmes viennent, pour les brûler. C’était un peuple sans intelligence : Aussi celui qui l’a fait n’a point eu pitié de lui, Celui qui l’a formé ne lui a point fait grâce.
En ce temps-là, L’Éternel secouera des fruits, Depuis le cours du fleuve jusqu’au torrent d’Égypte ; Et vous serez ramassés un à un, enfants d’Israël !
En ce jour, on sonnera de la grande trompette, Et alors reviendront ceux qui étaient exilés au pays d’Assyrie Ou fugitifs au pays d’Égypte ; Et ils se prosterneront devant l’Éternel, Sur la montagne sainte, à Jérusalem.
Malheur à la couronne superbe des ivrognes d’Éphraïm, A la fleur fanée, qui fait l’éclat de sa parure, Sur la cime de la fertile vallée de ceux qui s’enivrent !
Voici venir, de la part du Seigneur, un homme fort et puissant, Comme un orage de grêle, un ouragan destructeur, Comme une tempête qui précipite des torrents d’eaux : Il la fait tomber en terre avec violence.
Elle sera foulée aux pieds, La couronne superbe des ivrognes d’Éphraïm ;
Et la fleur fanée, qui fait l’éclat de sa parure, Sur la cime de la fertile vallée, Sera comme une figue hâtive qu’on aperçoit avant la récolte, Et qui, à peine dans la main, est aussitôt avalée.
En ce jour, l’Éternel des armées sera Une couronne éclatante et une parure magnifique Pour le reste de son peuple,
Un esprit de justice pour celui qui est assis au siège de la justice, Et une force pour ceux qui repoussent l’ennemi jusqu’à ses portes.
Mais eux aussi, ils chancellent dans le vin, Et les boissons fortes leur donnent des vertiges ; Sacrificateurs et prophètes chancellent dans les boissons fortes, Ils sont absorbés par le vin, Ils ont des vertiges à cause des boissons fortes ; Ils chancellent en prophétisant, Ils vacillent en rendant la justice.
Toutes les tables sont pleines de vomissements, d’ordures ; Il n’y a plus de place.
A qui veut-on enseigner la sagesse ? A qui veut-on donner des leçons ? Est-ce à des enfants qui viennent d’être sevrés, Qui viennent de quitter la mamelle ?
Car c’est précepte sur précepte, précepte sur précepte, Règle sur règle, règle sur règle, Un peu ici, un peu là. -
Hé bien ! c’est par des hommes aux lèvres balbutiantes Et au langage barbare Que l’Éternel parlera à ce peuple.
Il lui disait : Voici le repos, Laissez reposer celui qui est fatigué ; Voici le lieu du repos ! Mais ils n’ont point voulu écouter.
Et pour eux la parole de l’Éternel sera Précepte sur précepte, précepte sur précepte, Règle sur règle, règle sur règle, Un peu ici, un peu là, Afin qu’en marchant ils tombent à la renverse et se brisent, Afin qu’ils soient enlacés et pris.
C’est pourquoi ainsi parle l’Éternel à la maison de Jacob, Lui qui a racheté Abraham : Maintenant Jacob ne rougira plus, Maintenant son visage ne pâlira plus.
Car, lorsque ses enfants verront au milieu d’eux l’œuvre de mes mains, Ils sanctifieront mon nom ; Ils sanctifieront le Saint de Jacob, Et ils craindront le Dieu d’Israël.
Analyse du Rav Kohn :
Si le lien entre la haftara et la parachath Chemoth nous semble ne résulter, à première vue, que de la présence dans le premier verset de l'une comme de l'autre du mot ha-baïm (« ceux qui viennent »), il existe entre elles, en réalité, une parenté beaucoup plus forte.
La paracha est consacrée presque entièrement à la naissance de Moïse, à son élection comme prophète d'Israël et à l'éclosion de son sens aigu de la justice. De même nous fait-elle revivre l'échec de sa première intervention auprès de Pharaon, et les reproches que lui adressent ses frères hébreux, désespérés par l'aggavation de leur servitude que leur a value cet échec. Quant à la haftara , elle appelle notre attention sur les déboires du prophète Isaïe, en butte aux moqueries de ses contemporains, tout comme l'avait été, en Egypte, son illustre devancier.
Tandis qu'il s'efforce de transmettre à ceux-ci les valeurs de la Tora , ils lui rétorquent sur un ton ironique qu'ils observent celles de l'idolâtrie : « Loi pour loi, loi pour loi? » (28, 10). Autrement dit, « la nôtre a plus de valeur que la tienne » ( Rachi ).
Cependant, alors que la haftara aurait dû s'achever sur le verset 13 du même chapitre, verset qui annonce les catastrophes qui ne manqueront pas de s'abattre sur les enfants d'Israël, on a ajouté, pour clôturer sur une note optimiste, les versets 22 et 23 du chapitre 29 qui nous promettent une libération semblable à celle d'Abraham lorsqu'il a été sauvé de la fournaise ardente ( Rachi ).
Analyse de Oury Cherki :
La Haftara de Chemot est controversée. Les ashkénazes lisent Isaïe 27-28 alors que les sépharades lisent le premier chapitre de Jérémie comme le premier Chabbat après le jeûne du 17 Tamouz marquant le commencement de la période de deuil.
La tradition sépharade n’est pas claire. Pourquoi reprendre un passage qui est déjà lu dans un autre contexte, qui plus est de malheur ? Il semble que l’explication repose sur le fait qu’à l’origine était lu comme Haftara de Chemot le même texte que dans les communautés du Yémen, de Bagdad et de Tunis, à savoir Ezéchiel 16.
Or il est dit dans la Michna (Méguila 4, 8) : « Rabbi Eliezer dit : l’on ne récite pas comme Haftara « fais connaître à Jérusalem » ». Quand bien même la Hala’ha n’a pas été tranchée selon cette Michna (TB Méguila 25b), il semble que ce qui est raconté dans le Talmud a contraint à renoncer à ce passage : « il est raconté qu’un homme lisait « fais connaître à Jérusalem ses abominations » à proximité de rabbi Eliezer.
Il lui dit : « avant de chercher les abominations de Jérusalem, commence par vérifier les abominations de ta mère ! » L’on vérifia et une ombre fut trouvée ». Malgré cela, dans ces communautés la tradition fut conservée.
Mais hormis l’ouverture du chapitre 16 d’Ezéchiel forte de remontrances ouvertes, qu’est-ce que cette Haftara est belle !
Elle est emplie de l’amour de Dieu pour Son peuple dans les versets qui suivent (6-13) : « Je passai auprès de toi, Je te vis t’agiter dans ton sang, et Je te dis: « Par ton sang tu vivras! », Je te dis: « Par ton sang tu vivras! ». Je t’ai multipliée comme la végétation des champs, tu as augmenté, grandi, tu as revêtu la plus belle des parures, tes seins se sont affermis, ta chevelure a poussé, mais tu étais nue et dénudée.
Et Je passai près de toi et vis que tu étais arrivée à l’âge des amours; J’étendis mon vêtement sur toi et couvris ta nudité; Je m’engageai à toi par serment et fis alliance avec toi, dit le Seigneur Dieu, et tu fus à moi. Je te lavai dans l’eau, Je nettoyai le sang qui te recouvrait et Je t’oignis d’huile. Je te revêtis de broderies, Je te mis des chaussures de tahach, Je te ceignis de byssus et te couvris de soie.
Je t’ornai de parures, Je te mis des bracelets aux mains, un collier au cou. Je te mis un anneau au nez, des boucles aux oreilles et une couronne magnifique sur la tête. Tu te paras d’or et d’argent; ton costume était de byssus, de soie et de broderie; tu te nourris de fine fleur de farine, de miel et d’huile; et tu fus belle, très belle, et digne de la royauté. »
La quantité d’expressions exprimant le soin dévoué de l’amant à son amante met certes en évidence la déception ressentie par la trahison de l’amante, mais elle dévoile avant tout qu’à la source existe un amour intense et inconditionnel entre le Saint Béni soit-Il et la communauté d’Israël.
C’est cet amour qui s’est exprimé lors de la sortie d’Egypte alors qu’Israël ne méritait pas d’être délivré, et c’est à nouveau cet amour qui s’est exprimé de nos jours permettant la délivrance d’Israël et la création de son Etat.
Ce même thème est exprimé plus succinctement dans les Haftarot choisies par les autres communautés, que ce soit dans Jérémie (2, 2) : « Je te garde le souvenir de l’affection de ta jeunesse, de ton amour au temps de tes fiançailles » ou dans Isaïe (29, 22) : « Désormais, Jacob ne sera plus mortifié, désormais son visage ne doit plus pâlir ».
Source Massorti et Massorti et Chiourim et Noahideworldcenter