Invité de Léa Salamé sur France Inter le 24 septembre dernier, le réalisateur du film Welcome Philippe Lioret (dans lequel un migrant se noie dans la Manche en tentant de joindre l’Angleterre), a estimé que la cause des flux migratoires était en partie à chercher du côté d’Israël, plus précisément de la guerre des Six Jours...
Son confrère, Michel Hazanavicius réalisateur de The Artist et des OSS 117 n’a visiblement pas apprécié cette analyse géopolitique de café du commerce . Il lui à répondu par un post sur son compte Facebook :
Cher Philippe Lioret,
Je t’écris aujourd’hui, car quelques jours après ta puissante analyse de la situation géopolitique actuelle, personne à ma connaissance n’a réagi. Tu as fait l’effort de te lever le matin, tu as été jusqu’aux locaux de France Inter, tu t’es fendu d’une analyse pointue, et on dirait que tout le monde s’en moque. Personne ne réagit.
Pourtant tu n’as pas démérité. Là où l’on pouvait craindre que tu fasses entendre une voix humaine, une voix qui parle à hauteur d’homme de ces êtres humains qui meurent tous les jours en fuyant leurs pays, tu as montré que tu avais une vision globale des choses, que tu refusais de succomber à l’émotion. On aurait pu redouter un peu de pathos, que tu parlerais de solidarité, d’indignation, mais non, tu as su être beaucoup plus intelligent que ça, et tu t’es évertué à poser le problème comme une équation géopolitique que tu te proposais d’aider à résoudre. Certes, tu t’es indigné, mais pas exactement là où on pouvait le penser. Tu as préféré être dans l’analyse et la recherche des causes plutôt que dans un appel à la solidarité et la fraternité qu’on aurait pu attendre de toi. C’est très fort.
Ta première réflexion a été de te demander si « la responsabilité de tout ça » ne serait pas à aller chercher du côté d’Israël, plus précisément pendant la Guerre des 6 jours, ou quelque chose se serait joué sur l’identité arabe, quelque chose que nous payerions aujourd’hui par – entre autres – l’afflux de migrants en Europe, puisque ce mouvement est dans 2/3 des cas selon toi, dû à l’islamisme radical. Si l’on te suit bien, l’islamisme radical découle donc de la Guerre des 6 jours. Évidemment, tu te contentes de te poser tout haut la question, tout plein d’une grande humilité qui t’honore, mais tout de même tu t’étonnes – et le ton de ta voix laisse ici supposer une certaine forme d’indignation – que personne n’en parle jamais, de ça. Bien. Bravo. Superbe analyse qui méritait effectivement que tu la fasses partager avec l’ensemble du pays.
Tout d’abord il me semble que tu aurais pu aller un peu plus loin. Tu aurais du dire que l’on avait retrouvé dans les affaires de Ben Laden une cassette audio de Enrico Macias. Au-delà du retard technologique d’Al Qaïda, cela aurait été une manière pertinente de dénoncer un peu plus la responsabilité évidente d’ Israël dans la propagation de l’islamisme radical. Peu de gens le savent, peut-être même cette info a-t-elle été volontairement passée sous silence, et je crois que tu aurais pu en parler.
De la même manière, je crois savoir que les frères Kouachi avaient vu il y a une quinzaine d’années un sketch de Popeck sur les caleçons molletonnés qui ne les avait pas du tout fait rire. D’où leur engagement un peu radical qui les a menés là où on sait. Là encore, une info passée sous silence, dont personne ne parle jamais, mais qui, mise en relation avec d’autres, commence à faire sens je te l’accorde.
Enfin, et j’arrêterai là bien qu’il y ait des exemples à l’infini, il me semble que Bachar el-Assad aurait vu Rabbi Jacob quand il était petit pendant un voyage en France avec son père (qui par le plus grand des hasards était lui aussi président de la Syrie) et il n’aurait pas du tout aimé la scène du chewing-gum. Pas besoin d’en dire plus, je crois que tout le monde a compris. CQFD.
Pourtant quelque chose me chiffonne dans ta sortie. Peut-être justement l’endroit d’où tu parles, le fait qu’à aucun moment tu n’éprouves de compassion pour ces millions de gens qui fuient leurs pays, qui risquent leurs vies, qui rêvent d’une vie meilleure. Non. Tu tiens absolument à être intelligent, tu te contentes de qualifier à deux reprises ce mouvement de « dément », mais de compassion, non. Trop tôt le matin, sans doute. Ils auraient du t’inviter après le déjeuner.
Peut-être aussi le fait qu’il te faille un coupable, un bouc émissaire. C’est étonnant ce besoin d’avoir quelqu’un à accuser, à stigmatiser. On sent tout de suite le réalisateur qui n’aime pas quand les choses ne correspondent pas à ses désirs. Il te faut un responsable. Une tête à couper. Cela ne m’a pas semblé hyper chic de ta part.
Peut-être aussi est ce la nature même du coupable que tu désignes ? Israël. Soit. C’est un peu décevant Philippe. Tu aurais pu trouver mieux. Plus original, plus fin. Tu aurais pu dire les tailleurs, les fourreurs, les restaurants de couscous, Timsitt, Bruel, le professeur Schwartzenberg, mais non, tu as choisi Israël. Banal.
Peut-être aussi l’absence d’autocritique. Personnellement, moi qui suis autant qualifié que toi pour expliquer ces grands mouvements migratoires et leurs tenants et aboutissants dans la situation géopolitique actuelle, j’ai tendance à croire – et je n’arrive pas à me l’enlever de la tête – que ton film Mademoiselle a quand même une part évidente de responsabilité. Tu remarqueras d’ailleurs que là encore personne n’en parle, ce qui tendrait à prouver que :
1 : J’ai raison
2 : Il y a sans doute une convergence d’interêts derrière qui expliquerait ce silence
3 : Sandrine Bonnaire tire sûrement quelques ficelles dans l’ombre.
Enfin dernière chose, j’étais un peu gêné par le fait que tu sembles croire tenir un discours minoritaire, qui se veut anti-élitiste, de gauche, et humaniste, là où tu ne fais que reproduire le discours dominant, simpliste, plutôt réactionnaire, et juste assez polémique pour ravir les animateurs de radio et télé. Monter les gens les uns contre les autres, désigner des éternels coupables, créer de la tension, de la haine, tu admettras qu’il y a un moment où il n’y a plus rien de transgressif la dedans. Quoi qu’il en soit j’ai été étonné que toi aussi tu sois un zemmouroïde.
Voilà cher confrère, je me suis permis de te répondre, car à chaque fois qu’un type dit une connerie pareille – qui par ailleurs va toujours dans le même sens – nous sommes des milliers de crétins à nous taire, pour tout autant de bonnes raisons. Pas le courage, pas l’énergie, pas l’envie, pas la tribune. C’est comme ça que vous êtres en train de gagner. Ce n’est même plus votre bêtise qui fait le travail, c’est notre silence. Donc pour une fois, parce que je te connais, parce qu’on fait le même métier, parce que j’ai aimé tes films parce que tout ça me rend triste, je voulais juste te répondre.
Je te prie de croire, cher Philippe, en l’expression de ma peine la plus sincère.
Michel
PS : Il n’est jamais trop tard pour dire qu’on a dit une connerie.
Source Judaicine