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vendredi 10 juillet 2015

Paracha Pinhas : L’esprit de vengeance de Pinhas


Notre paracha énonce les privilèges que reçut Pin’has en contrepartie de sa bravoure : « Pin’has a détourné Ma colère de dessus les enfants d’Israël (…) c’est pourquoi tu lui annonceras que Je lui accorde Mon alliance de Paix. » L’acte exceptionnel de Pin’has est relaté dans la Torah à la fin de la paracha précédente : « Un homme, parmi les enfants d’Israël, s’avança et amena une Midianite (…). A cette vue, Pin’has se leva du milieu de la communauté, arma sa main d’une lance, il entra dans la tente et les perça tous deux, l’Israélite ainsi que cette femme, qu’il frappa au flanc… » (Bamidbar 25, 6-8)...


Dans le Talmud (Sanhédrin 82), il apparaît que Pin’has réalisa cet acte de « vengeance » de son propre chef. Bravant tous les dangers, il pénétra dans le campement de Chimon et alla transpercer de sa lance le chef de cette tribu, s’insurgeant contre l’affront porté à la sainteté du peuple juif. D’ailleurs, selon les termes de la Halakha, c’est uniquement sous l’impulsion de sa « jalousie pour D.ieu » qu’il put s’en prendre à Zimri, ce chef rebelle.
Mais s’il était venu demander la loi, « on ne lui aurait pas indiqué d’agir comme il le fit ». En clair, il apparaît que l’acte de Zimri n’impliquait pas en soi une condamnation à mort. Si son cas avait été porté devant le Sanhédrin, il aurait de toute évidence été innocenté.
De plus, il est à noter que tout le monde n’aurait pas pu se permettre la même réaction que Pin’has : le Talmud stipule en effet qu’une telle réaction reste l’apanage des « hommes vengeurs » – seuls ceux animés d’un sens profond de justice peuvent s’accorder ce droit.
Cette configuration semble donc des plus étonnantes : un homme que la Halakha ne condamne pas à mort, peut néanmoins la mériter si son exécution est effectuée sous l’impulsion d’un esprit de « vengeance ». Comment définir ce niveau de culpabilité ? Serait-ce à dire qu’il y a des personnes « partiellement » coupables ?

Différentes nuances de justice
Ceci nous amène à comprendre qu’il n’y a pas, dans notre existence ici-bas, une notion de justice absolue. Au contraire, la justice sera toujours proportionnelle au niveau avec lequel nous percevons ce concept. Le Talmud regorge d’exemples témoignant de cette réalité. Ainsi, les lois relatives aux dommages stipulent que quiconque occasionne un dommage à autrui est tenu d’indemniser sa victime.
Cette règle s’applique aussi bien aux préjudices corporels que financiers, et le fautif doit assumer la pleine responsabilité de ses actes. Il existe toutefois quelques exceptions à cette règle.
L’une d’elles est appelée la notion de « grama » – c'est-à-dire le dommage réalisé de façon indirecte ou détournée. C’est notamment le cas d’une personne qui pourrait témoigner en faveur d’autrui et qui s’abstient de le faire. Par son silence, ce témoin potentiel occasionne indirectement un préjudice à autrui. Dans ces circonstances, le Talmud considère cet homme comme étant « non redevable selon le jugement humain, mais coupable selon le jugement céleste » (Baba Kama 55/b).
Que signifie cette sentence ? Qu’en pareille occurrence, le tribunal des hommes ne peut, selon les règles régissant notre réalité, condamner cet homme, car il ne commet pas directement atteinte à autrui. Mais il n’en reste pas moins que dans l’absolu – c'est-à-dire aux yeux de la justice céleste –, une part de responsabilité lui incombe.
Ceci indique clairement que la justice humaine doit convenir de sa propre impuissance face à des situations données : comme on ne peut raisonnablement condamner un acte perpétré indirectement, on est bien contraint de déclarer le fautif comme étant « non coupable », mais pas pour autant innocent. Sa culpabilité absolue ne peut être prononcée que dans une dimension de Justice absolue, incompatible avec notre réalité.
Autre exemple : dans certains cas, on peut être passible de mort « par la justice céleste. »
C’est notamment le cas d’un Cohen qui exercerait ses fonctions sacerdotales en état d’impureté : la gravité de cet acte ne justifie pas une condamnation au regard de la justice humaine, mais seulement en vertu d’une Justice absolue que seul le tribunal céleste peut exercer.
Cela signifie qu’eu égard aux contingences de la réalité, nous faisons preuve d’une certaine indulgence envers des cas équivoques. Cette indulgence dépend néanmoins du niveau de chacun et de sa perception du concept de justice. Plus une personne sera sensible à cette notion, plus ces nuances s’atténueront à ses yeux.

En ce sens, certains sages du Talmud considéraient que le simple fait d’avoir décidé intérieurement de céder un objet pour un prix donné, leur interdisait de le vendre à une somme supérieure. A leurs yeux, une telle attitude était assimilable à de la duplicité.

L’esprit de vengeance de Pin’has

Ceci nous conduit à une relecture de l’épisode où Pin’has exécuta sommairement Zimri, le chef de la tribu de Chimon. Certes, selon les critères stricts de la Halakha – à savoir la justice telle qu’elle peut être pratiquée sur terre –, cet acte ne justifiait aucune condamnation. Toutefois, une dispense de condamnation ne signifie pas pour autant une totale innocence : bien au contraire, cet acte de débauche commis au cœur du campement constitua une atteinte à la sainteté d’Israël.
Mais pour que celle-ci justifiât l’application d’une sanction, il fallait la ressentir comme une insoutenable profanation du Nom divin. Seule la personne capable de considérer cette faute comme un acte de violence perpétrée contre D.ieu – pas moins que si l’on assassinait sous ses yeux des enfants innocents –, méritait d’appliquer une Justice absolue, dépassant l’ordre des conventions terrestres.
C’est là la vertu de « jalousie pour D.ieu », attribuée à Pin’has.
Seule une impulsion spontanée – suscitée par une aversion intime et profonde envers ce genre d’attitude – autorisait l’exécution sommaire de Zimri. Mais si Pin’has lui-même avait consulté le Sanhédrin pour connaître la ligne de conduite à adopter, nul ne lui aurait permis d’agir comme il le fit. Car ici-bas, les notions de responsabilité et de condamnation ne vont pas forcément de pair.
Par Yonathan Bendennnoune

Source Chiourim