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jeudi 2 juillet 2015

Négationnisme : le double discours de Mahmoud AbbasNégationnisme : le double discours de Mahmoud Abbas

 
 
Le 27 avril dernier, comme chaque année, Israël commémorait solennellement la Shoah. À cette occasion, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, longtemps accusé de négationnisme, affirmait : « Ce qui est arrivé aux Juifs durant l’Holocauste est le crime le plus odieux qui soit survenu contre l’humanité pendant l’ère moderne ». De fait, M. Abbas n’en est pas à son premier communiqué dans ce sens puisqu’en 2010, à Ramallah (Judée-Samarie), s’indignant qu’on l’accuse de nier l’Holocauste, il assurait devant un parterre de journalistes, avoir envoyé des délégués à Auschwitz lors de cérémonies commémoratives...


A l’unisson, la presse se réjouit de cette annonce émanant de celui qu’elle considère comme un interlocuteur incontournable pour la paix au Proche-Orient.
Toutefois, le discours attendu du leader palestinien ne parvient pas à dissiper le malaise que provoque l’existence d’une thèse de doctorat qu’il soutint en 1982, à l’Université de Moscou. Cette thèse, conservée depuis cette date dans les archives russes, relativise la gravité du génocide nazi perpétré contre les Juifs d’Europe.

Intitulée « La connexion entre les nazis et les dirigeants sionistes (1933-1945) », elle a donné lieu à un ouvrage de Mahmoud Abbas publié en Jordanie en 1984 et disponible aujourd’hui sur le site internet officiel de l’Autorité palestinienne et de l’Organisation de libération de la Palestine . Hormis la photographie de la couverture et le titre, l’ouvrage sur le site correspond en tous points à l’original.
Ce livre, qui contient peu de références, et mentionne les noms – mal orthographiés – d’auteurs occidentaux, se focalise sur les actions du mouvement sioniste durant la Seconde Guerre mondiale .

M. Abbas y soutient que des accords secrets entre les organisations sionistes et les nazis avaient été conclus : « L’intérêt du mouvement sioniste, écrit-il, consistait à ne pas chercher à sauver les Juifs durant la guerre afin d’augmenter le nombre de morts et d’obtenir de ce fait de plus grandes compensations après la guerre ».
Fort de cet argument, il en vient à prétendre que les sionistes et les nazis partageraient ainsi la responsabilité de l’extermination des Juifs.
 

 

Couverture de la première édition de « L'autre face des relations secrètes entre le nazisme et le sionisme », publiée en 1984.
 

M. Abbas explique, en outre, que le nazisme est similaire au sionisme car chacune des deux idéologies renfermerait la notion de « race pure ». Soutenant la thèse de l’existence d’un complot sioniste, il accuse même le mouvement sioniste d’avoir fait assassiner ceux qui ont tenté de révéler ces agissements.
La dernière partie du livre est consacrée à l’antisémitisme dans les pays arabes, lequel n’aurait pas été aussi important que le mouvement sioniste l’a affirmé.

Les origines de l’analogie entre nazisme et sionisme

L’analogie établie entre nazisme et sionisme n’est pas nouvelle. On la trouve tant chez les idéologues du nazisme que du stalinisme. En 1930, le nazi Alfred Rosenberg publie Le Mythe du 20ème siècle, un ouvrage qui tente de réduire l'histoire à une lutte de races et de démontrer la supériorité des Allemands sur les autres peuples .

D’ailleurs, ce n’est sans doute pas un hasard si le livre du négationniste américain Arthur Butz, publié en 1976, possède quasiment le même titre que celui de Rosenberg . Idéologue du nazisme, ce dernier influence des auteurs antisionistes dans leur entreprise de mise en équivalence du nazisme et du sionisme ; ainsi l’exemple de Roger Garaudy  qui écrit :

« Alfred Rosenberg écrira en 1937 : "Le sionisme doit être vigoureusement soutenu afin qu'un contingent annuel de juifs allemands soit transporté en Palestine (Der Spur des Juden im Wandel der Zeiten, Munich 1937. p. 153.)". C’est sur cette idéologie de la race, qui leur était commune avec les nazis, que les dirigeants sionistes allemands entreprirent de négocier avec les hitlériens » .

On retrouve encore la théorie de Rosenberg dans la propagande stalinienne. M. Abbas qui a publié sa thèse à Moscou, s’en inspire, et fait sienne l’idée que, à l’instar des thèses nazies sur la prétendue « pureté de la race aryenne », le sionisme renferme dans ses principes même le concept de « pureté de la race juive ».

M. Abbas est aussi influencé par un historien de l’ex-République démocratique allemande, Klaus Polkehn. En 1976, ce dernier publie en effet dans le Journal of Palestine Studies un article retentissant intitulé « Les contacts secrets : le sionisme et l’Allemagne nazie, 1933-1941 », titre très proche de celui de M. Abbas .

Polkehn ne tarde pas à devenir l’une des références idéologiques d’auteurs pro-palestiniens tels que Lenni Brenner, un écrivain juif américain, trotskyste, engagé dans les mouvements contre la guerre au Vietnam et lié au Black Panther Party.
Activiste antisioniste dès les années soixante, Brenner prolonge son combat en faveur de la résistance palestinienne en s’attaquant à la réalité de l’Holocauste. Dans son ouvrage publié en 1983, qui a peut être également inspiré M. Abbas, Zionism in the Age of the Dictators, et dans un style qui se veut scientifique, L. Brenner revient sur les relations secrètes entre le sionisme et le nazisme.

Tout en qualifiant Israël d’« Etat fasciste », il prétend que l’alliance germano-soviétique se trouvait être en fait une triple alliance incluant le leader du mouvement sioniste David Ben Gourion.
Il ajoute qu’un complot sioniste d’envergure mondiale, incluant des alliances avec des partis fascistes, est à l’origine de la création de l’Etat hébreu.
Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, L. Brenner, à l’instar d’autres auteurs antisionistes tels que Paul Eisen ou Jöran Jermas (alias Israel Shamir), embrasse le négationnisme.

De fait, L. Brenner se retrouve publié par une maison d’édition néo-nazie et négationniste, Noontide Press, qui avait édité les ouvrages des négationnistes A. Butz (The Hoax of the Twentieth Century) et R. Harwood (Did Six Million Really Die ?). L’ouvrage de Brenner est également diffusé sur des sites internet négationnistes((Cf. sur le site négationniste des membres de la Vieille Taupe, l’Aaargh (L'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerres et d'Holocaustes).

Les négociations entre sionistes et les nazis ne sont pas un secret

Certes, l’existence de négociations entre les organisations sionistes et les nazis avant et durant la Seconde Guerre mondiale, ne sont pas un secret. Dans Le septième million, l’historien T. Segev revient sur cet accord nommé Haavara et sur le rôle joué par l’Agence juive dans les négociations avec les nazis.

Il les replace dans leur contexte d’avant-guerre, à un moment où les organisations sionistes poursuivaient le double objectif de sauver les Juifs européens et de leur offrir un refuge en Palestine.
L’historien analyse les négociations entreprises par le Juif hongrois Rudolf Kastner, responsable du Comité de salut et de secours de Budapest, avec des dirigeants SS, dont Adolf Eichmann, pour obtenir le départ de 1 684 Juifs de Hongrie pour la Suisse en échange d'argent, d'or et de diamants.
Dans son livre, Les Juifs à vendre ?, Yéhuda Bauer retrace également les nombreuses négociations entreprises à l’initiative de plusieurs dirigeants sionistes à la fin de la guerre notamment.

Tandis que les Allemands manquaient d’armes et de médicaments, les Juifs constituaient une monnaie d’échange pour les nazis, qui cherchèrent à négocier avec les Alliés.
Mais ceux-ci refusèrent d’y prendre part afin de ne pas effrayer l’Union soviétique et de ménager la Grande-Bretagne. Le secret des négociations sera donc dévoilé par voie de presse dans le but de les faire échouer, sans pour autant révéler que la cause de cet échec était politique. Quant aux organisations juives, elles ne cesseront d’être partagées. Sauver quelques vies méritait-il de négocier avec le Diable ?
Y. Bauer explique que le sauvetage des Juifs ne se fera pas dans les dimensions qui avaient été imaginées au début des négociations et que, lorsqu’elles eurent lieu, elles le furent toujours en parallèle d’une extermination qui perdurait dans les camps.
L’historien Pierre Vidal-Naquet avait une formule pour saisir la nature de cette « collaboration juive » avec les nazis : « la collaboration de la corde et du pendu » (Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, La Découverte, 1987.)
Le livre de Y. Bauer, historien de Yad Vashem, est régulièrement cité par les négationnistes, notamment par R. Garaudy dont l’ouvrage a été abondamment diffusé dans le monde arabe .

Bien que Garaudy critique l’ouvrage de Bauer, il s’en sert pour mettre à jour les vraies raisons, selon lui, de ces négociations :
« "Tous les historiens s'accordent pour dire que Himmler préférait une paix séparée avec l'Occident afin de consacrer toutes ses forces contre la menace bolchevique." (Bauer p. 167)

Les "négociations" entre les sionistes et les nazis avaient précisément cet objet, c'est pourquoi Bauer est obligé de le reconnaître, et même de le rappeler souvent : Hitler permettait à Himmler de négocier avec les sionistes. […] Ces rapports économiques, et ces "échanges" avaient une raison politique plus profonde que Bauer lui-même avoue : "utiliser les filières juives pour entrer en contact avec les puissances occidentales." (Bauer p. 283).
Cette préoccupation dominait toutes les autres, les nazis connaissant le poids des lobbies sionistes auprès des dirigeants occidentaux » .
Les négationnistes exagèrent les négociations entre les nazis et les sionistes. Ils en transforment les intentions, modifiant même les propos d’un historien pour qu’ils aillent dans leur sens. L’enjeu de ces négociations fait partie intégrante de la thématique négationniste.
Y. Bauer est également recommandé par ceux qui soutiennent la brochure bordiguiste « Auschwitz ou le grand alibi », texte publié dans les années soixante qui fait l’impasse sur les chambres à gaz dans sa description des camps nazis .

Le livre de Y. Bauer sera d’ailleurs traduit en français en 1996 par Denis Authier, un auteur qui apportera son soutien à Robert Faurisson à la fin des années soixante-dix  (Y. Bauer affirme ne pas connaître les antécédents de son traducteur français, mais assure que la traduction a été faite correctement .).

Stéphanie COUROUBLE
 
Source Non Fiction