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mardi 3 mars 2015

Expo sur la Collaboration : la longue mémoire de l’Occupation

 
1940-1945 est une période de moins de cinq ans qui a tant marqué l’Histoire de France qu’elle revient, encore et encore, dans les discours et les références à ces « heures sombres ». Vichy reste « un passé qui ne passe pas », et sa politique fait l’objet d’une exposition passionnante aux Archives nationales, à Paris, sur la Collaboration...


L’affiche en donne le ton : le profil rassurant du « vainqueur de Verdun » qu’était alors pour les Français Philippe Pétain, et celui du chef de l’Allemagne depuis 1933, Adolf Hitler.
Au début de l’exposition, deux discours sont diffusés en même temps : le Führer s’adressant à ses généraux en juillet 1940 et le maréchal expliquant le 30 octobre 1940 à la radio sa rencontre avec Hitler à Montoire :
« C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration. »
La poignée de main Pétain-Hitler, le 24 octobre 1940 à Montoire (Loir-et-Cher)
L’expo présente un parcours chronologique, permettant de suivre l’histoire de ce régime, des pleins pouvoirs votés à Pétain le 10 juillet 1940 à la fuite forcée des dirigeants de l’Etat français emmenés par les nazis en Allemagne en 1944-1945.
Elle montre aussi, par thèmes, l’étendue dans tous les aspects de la vie quotidienne et publique de la Collaboration : partis collaborationnistes, itinéraire de plusieurs figures, actualités, chasse aux francs-maçons, aux juifs et aux résistants, police parallèle de la milice...

Appel à une « extermination progressive »

Dans le domaine de la presse et des arts notamment, les documents sont nombreux et accablants. Ici, c’est un film d’actualité qui suit les artistes français invités à un voyage en Allemagne ; là, ce sont des lettres de dénonciation qui rappellent l’appel systématique à la délation, et celles d’encouragement à la politique vichyste.
Toutes n’étaient pas anonymes : on peut voir celle d’André Algarron, rédacteur en chef adjoint du Petit Parisien, qui plaide pour « le procédé d’extermination progressive des juifs » :
« Quand on veut se débarrasser d’une maladie contagieuse, il n’y a pas 36 moyens : on isole le bacille, et on le tue. »

Lettre de Louis-Ferdinand Céline à Lucien Rebatet (Archives nationales/Alain Berry)
 
Autre écrit parmi les nombreux documents manuscrits, cette lettre de félicitations de Céline à Lucien Rebatet, d’un écrivain et antisémite obsessionnel à un autre, pour son livre « Les Décombres » en 1942 :
« Cher confrère,
je me suis jeté, vous l’imaginez, sur votre vitriolique petit livre [transcription incertaine – Céline avait gardé l’écriture malaisément déchiffrable du Dr Destouches, ndlr], pour mon délice et mon édification sadique. »
Alors qu’en 2015 un Zemmour fait un triomphe en librairie avec un livre contenant des mensonges aussi énormes que la légende d’un Pétain protecteur des juifs français (variante du mythe du bouclier complémentaire de l’épée qu’aurait été de Gaulle), une vitrine présente le texte initial de la « loi portant statut des juifs » d’octobre 1940, annoté de la main de Pétain.
Le chef de Vichy a encore durci cette loi de discrimination, première étape avant les arrestations et déportations de masse. Un film d’une petite minute des « Actualités mondiales » du 6 mai 1942 montre la venue à Paris de Reinhard Heydrich, un des maîtres d’œuvre de la Shoah (il dirigea la conférence de Wannsee de janvier 1942, réunion de bureaucrates du Reich pour régler le génocide des juifs d’Europe).
On y voit la cordiale rencontre entre Heydrich et René Bousquet, secrétaire général de la police, deux mois avant la rafle du Vél’ d’Hiv’ et ses 13 000 victimes, arrêtées par la police parisienne.
L’exposition présente beaucoup d’affiches de propagande, ainsi que des extraits de presse. Le journal collaborationniste Au pilori se livre ainsi à un exercice proche de la science-fiction avec un numéro « du 14 juillet 2142 » titré « Le dernier Juif vient de mourir », avec dans sa chronologie imaginaire un décret de stérilisation de 1950. Autres publications de l’époque de la Seconde Guerre mondiale montrées, Le Téméraire, Signal ou encore Revivre, « le grand magazine illustré de la race ».

La constellation des camps

Les cartes présentent aussi, au-delà du lieu pivot que fut le camp de Drancy près de Paris, la constellation des camps d’internement en France.
L’exposition nous le rappelle avec ces lieux de détention à travers le pays, comme avec l’organisation des convois et les registres administratifs (le recensement étant une première étape avant les spoliations puis les déportations) : au-delà d’une poignée de fanatiques et d’antisémites forcenés, il a fallu tout un système policier et administratif pour faire fonctionner la machinerie de la Collaboration.
Loin de la « mémoire courte » reprochée aux Français par Pétain dans un célèbre discours, il y a sans doute encore à creuser dans l’histoire de cette période honteuse. L’exposition des Archives nationales y contribue utilement ; elle a été prolongée jusqu’au 5 avril.

Infos pratiques
 
"La Collaboration"
Exposition Archives nationales - Hôtel de Soubise.
60 rue des Francs-Bourgeois,
75003 Paris.
 Horaires :
  • lundi, mercredi et vendredi de 10 heures à 17h30 ;
  • jeudi de 10 heures à 22 heures ;
  • samedi de 14 heures à 19 heures ;
  • dimanche de 14 heures à 17h30.
Fermé le mardi et les jours fériés. Jusqu'au 5 avril 2015.Tarifs :
  • plein tarif : 6 euros,
  • tarif réduit : 4 euros

Source Le nouvel Obs