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lundi 2 février 2015

Waleed al-Husseini, l’ami blasphémateur...

Waleed al-Husseini, l’ami blasphémateur

Des prisons d’Allah à la liberté parisienne : un jeune Palestinien athée raconte son combat pour la laïcité. Quand mon ami palestinien Waleed al-Husseini a entrepris d’écrire « Blasphémateur ! Les prisons d’Allah », il y a environ six mois, il ne se doutait évidemment pas que l’ouvrage paraîtrait tout juste au lendemain des 17 assassinats commis par trois fous d’Allah français...


Ces actes terroristes l’ont accablé, mais pas vraiment surpris. Peu de temps après son arrivée en France, au printemps 2012, où il a obtenu le droit d’asile après avoir dû quitter sa ville natale de Qalqilya, il m’avait fait part de sa stupéfaction qu’un pays laïque comme le nôtre se montre aussi tolérant envers l’islamisme radical dont il voyait les manifestations un peu partout. Évoquant dans son livre les femmes voilées ou en burqa, il écrit d’ailleurs : « Cette revendication vestimentaire permet […] aux organisations extrémistes de combattre le libéralisme des athées et les mouvements progressistes. En imposant le voile, ils veulent distinguer les femmes musulmanes des femmes européennes, impies par définition, et prouver que toute l’identité de ces femmes réside dans l’islam. »
Waleed a décidé de quitter sa terre natale parce que l’Autorité palestinienne l’avait jeté 10 mois en prison, où il a été torturé, pour avoir affiché son athéisme sur les réseaux sociaux. Il raconte en détail dans « Blasphémateur » comment, tout en recevant une éducation musulmane dans sa famille, à l’école puis au lycée, il s’est mis à douter.

Et comment il a fini par faire ce qu’il faut bien appeler son coming out. Annoncer, en terre d’Islam, que l’on quitte la religion à laquelle on est censé appartenir par la naissance, est une épreuve qui ressemble à celle qu’ont vécue ici d’innombrables gays et lesbiennes au moment de s’affirmer comme tels. Mais en pire.
Il faut lire ce qu’a subi Waleed dès lors que son apostasie a été connue. Sa famille n’a pas été épargnée, accusée d’avoir un « mécréant » en son sein. Et encore a-t-il eu la chance, si on peut dire, de vivre en Cisjordanie et non à Gaza.
Rencontrer Waleed, lorsqu’il a débarqué à Paris, m’a fait l’effet d’accueillir un émissaire privé du Printemps arabe.

Son hostilité farouche aux dictatures arabes, qu’elles soient nationalistes ou religieuses, son rejet de l’obscurantisme, sa soif de liberté et de démocratie, tout m’a rappelé ce qu’il y avait de meilleur dans la grande révolte qui soufflait à travers le Moyen-Orient. Au fil des quelques 230 pages qu’il signe on découvre un jeune homme – de 25 ans – qui prône l’ouverture d’esprit et le dialogue, on le voit avide de culture, de science.
Tout bouffeur d’imams et de bigots qu’il soit, comme s’il avait été biberonné à Charlie, on ne trouve cependant sous sa plume aucune haine, aucune aigreur. Il s’adresse posément à ses « frères dans l’humanité » que sont les musulmans – ainsi que les fidèles des autres religions.
Nulle trace non plus d’antisémitisme ou de conspirationnisme, ces deux maux qui rongent le monde arabo-musulman, pas plus que d’homophobie ou de cette misogynie dont il estime l’islam imprégné. Aucune complaisance avec l’extrême droite, dont certains courants ont tenté de l’enrôler, notamment quand il a fondé le Conseil des ex-musulmans de France (CEMF).
Pensez, un Arabe qui estime que « le laxisme occidental pose problème » et que la France est pour lui « la liberté comme je la voulais », c’était pain bénit pour les « identitaires ». Mais les responsables du CEMF se sont imposés d’être « extrêmement vigilants pour empêcher que des partis, des mouvements, ou des associations fascistes ou extrémistes ne détournent notre Conseil et ne l’exploitent en travestissant nos valeurs ».
À propos du conflit israélo-palestinien, l’ami Waleed adopte une position qui pulvérise les dogmes du nationalisme arabe et des islamistes : « L’édification d’un État palestinien ne sera possible que si la mentalité du peuple évolue et accepte l’idée de complémentarité entre les deux États. » Et d’ajouter : « Un brassage entre les deux sociétés est indispensable afin d’aider les Palestiniens à rattraper leur retard en matière de modernité par rapport à leurs voisins israéliens. »
Notre « blasphémateur » revendique son athéisme, mais son combat est avant tout celui pour la laïcité. Non seulement elle doit être l’objectif pour le monde arabo-musulman, mais elle doit être fermement défendue dans le monde occidental où il la considère menacée, notamment par l’usage pervers de la notion d’« islamophobie ».

« Certains musulmans emploient désormais le terme d’islamophobie au lieu de parler tout simplement de racisme envers les Arabes, écrit-il. C’est une façon bien commode, mais tout à fait erronée, de faire croire qu’il y aurait une stigmatisation spécifique de l’islam. »
Son conseil : « Pour mener à bien le combat contre le fanatisme et pour libérer les musulmans, il faudrait tout d’abord que les médias cessent de servir de support et de tribune aux radicaux et arrêtent de relayer ces fausses accusations d’islamophobie. »
Ironie de l’histoire, on trouve déjà sous la plume du jeune Palestinien un fort « Halte aux amalgames », ce mot d’ordre qui fait tant florès ici depuis une semaine. Mais il a chez lui un sens assez différent : « Nous pouvons porter des prénoms et des noms arabes, avoir les traits arabes, sans être musulmans. » Il ne dit pas « sans être terroristes », ce qui va de soi, mais bien « sans être musulmans ».

Il explique qu’au CEMF « nous voulions que l’amalgame fait en Occident en général, et en Europe en particulier, entre Arabes et musulmans vole en éclats. » 
Dans l’introduction de son livre Waleed affirme qu’il est « certain d’une chose : après l’avoir refermé, des milliers d’hommes et de femmes qui étouffent dans certains pays – et dans certaines banlieues ou quartiers des villes européennes – régis par l’islam éprouveront l’immense réconfort de découvrir qu’ils ne sont pas seuls ».

Et, deux cents pages après, il conclut ainsi : « Ma bataille pour la liberté, la laïcité, la paix et les valeurs universelles des droits de l’Homme, et surtout de la femme, me permet aujourd’hui de savourer la vie telle que je l’ai rêvée, une vie que j’ai conçue librement, loin de l’oppression de la religion et de sa culture abêtissante. » Pour ma part, cher jeune homme, je savoure de t’avoir pour ami.

Par Bernard Schalscha


Source JewPop