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mardi 10 février 2015

Il y a en France deux catégories d'anti-juifs

 
Dans la noirceur du moment présent on trouve tout de même des raisons d'espérer : la défaite du FN dans le Doubs est une bonne nouvelle pour la République tout comme l'effet involontaire de l'agression au couteau contre des soldats de garde devant les institutions juives de Nice. Ce monsieur Coulibaly de Nice a eu une formule encore plus meilleure que celle de Brice ! Il a dit qu'il détestait « la France, l'armée, la police et les Juifs ! » et c'est cette détestation qui avait inspiré son geste...


Certains vont hurler, surtout au FN, « pas d'amalgames ! » Assimiler les Juifs, à l'armée, à la police et à la France, va faire se retourner Maurras dans sa tombe et le défunt Du Paty de Clam en avaler ses particules.
 Certes le temps a passé depuis la dégradation du capitaine Dreyfus dans la cour de l'Ecole militaire et certes aussi la police française a changé depuis la rafle du Vel d'hiv, mais tout de même voilà une fusion républicaine énoncée par Coulibaly qui donne de l'avoine à moudre au cheval de Jean Marie Le Pen. Bon, son cheval est de retour, mais tout de même...
Ce Coulibaly de Nice rend donc grâce à la République qui sait depuis Marc Bloch qu' « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération». La France que Coulibaly déteste est bien celle de cet amalgame dont les Juifs sont une autre composante.
Vichy avait voulu en séparer les éléments et voilà que par une ironie de l'histoire c'est cet indigène autoproclamé de la République qui les rassemble. Lui qui estime être une victime du colonialisme autant que du sionisme maléfique unit dans une même démonisation le creuset français à l'intérieur duquel il aurait pu trouver sa place.
« Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d'un antisémite », ajoute Marc Bloch dans L'étrange défaite. Il y a désormais en France deux catégories de racistes, deux catégories d'antijuifs : ceux qui criaient dans les rues de Paris, en janvier 2014 « Juif, casse toi la France n'est pas à toi ! » dans une manifestation d'extrême droite et ceux qui, au nom de Mahomet ou de la Palestine attaquent les synagogues rue de la Roquette.
Cette confluence devrait ouvrir les yeux et les oreilles de ceux qui avaient fait ou font toujours de la Propalestine sinon leur religion, du moins le vecteur émancipateur d'un peuple opprimé en ne se posant qu'une seule question : qui opprime les peuples arabes aujourd'hui ? Qui tue qui dans l'espace de l'islam ? Est ce que ce sont les sionistes ou les soldats impérialistes-colonialistes ? Le malheur arabe est réel, le malheur palestinien est réel. A qui la faute? Sinon aux systèmes de pensée que les peuples arabes ont façonné pour eux mêmes depuis la fin de la colonisation.
La source de cette humiliation arabe tant invoquée est à aller chercher dans cette pensée magique qui va toujours chercher ailleurs que chez elle, la raison de son désastre. Cette culture du ressentiment est le moteur de ces attitudes à l'œuvre chez nous, dans les cours des collèges, chez les « jeunes des quartiers » comme on dit pour ne pas nommer les choses. L'obscurantisme actuel en est la résultante encouragée en cela, ici, par tous ceux qui victimisent ces populations pour effacer leur propre culpabilité post coloniale. Loin de les émanciper, loin de les rendre maîtres de leur destin, cette attitude déresponsabilise, exonère ceux qui ont choisi de ne pas être Charlie mais plutôt Merah ou Coulibaly.
 Il s'agit bien de revisiter toutes les constructions idéologiques dont les horreurs présentes sont aussi l'aboutissement. Si des jeunes français, issus de l'immigration maghrébine, deviennent jihadistes et passent à l'acte, c'est aussi parce qu'un air du temps leur a soufflé que la figure du Juif n'était pas bonne et qu'elle avait quelque chose à voir dans le malheur des arabes à commencer par celui des palestiniens.
Faut-il rappeler les textes de Deleuze sur le « juif riche » ou « les indiens de Palestine » ou la « grandeur d'Arafat » (1) ? Faut-il rappeler les séductions de Jean Genet pour Septembre noir?
L'époque était à la nostalgie d'un Guevara de substitution et l'imaginaire de la guerre d'Algérie transférait sur Israël les fautes de l'Algérie française sans que l'on prit simultanément le temps de regarder de près les crimes du FLN puis ceux des Khmers rouges.
Il était de bon ton de ricaner de Camus mais de trouver chez Sartre une juste radicalité. Cette tradition très française de voir le réel à travers les prismes de l'idéologie continue jusqu'à nos jours quand la gauche de gauche au nom de la liberté, s'insurge contre la loi interdisant le voile islamique à l'école ou quand le NPA présente sans moufter une candidate voilée à des élections.
Tous les glissements sémantiques des années 70 trouvent leurs effets aujourd'hui. Les Indigènes de la République perpétuent cette démarche qui considère la France comme une puissance coloniale à ceci près que les colonies sont intérieures au lieu d'être outre mer.
Pour réduire la schizophrénie identitaire des « jeunes en difficulté » dans les « quartiers difficiles » il faudrait peut être commencer par revoir à la baisse le statut symbolique qui leur fut accordé par la pensée progressiste.
« Juif » est une insulte dans les cours d'école autant que « sale Français » mais cette délinquance verbale ne serait plus délinquante puisque leurs auteurs seraient autant victimes qu'irresponsables.
Le film d'Alexandre Arcady, « 24 jours », racontant le rapt et l'assassinat d'Ilan Halimi par un gang de banlieue, pour la seule raison que son statut de juif signifiait « argent » et que en tant que tel ils allaient obtenir une rançon d'une « communauté qui se serre les coudes » montre bien la dynamique de cette bouillie intellectuelle.
C'est la même bouillie qui a motivé une récente agression à Créteil. La mise en pratique de ces clichés serait-elle possible si un air du temps politique ne les avait pas confortés?
Désormais la République a choisi de sévir. Un peu tard. « On ne laissera plus rien passer » dit la ministre de l'éducation. Soit pour les élèves, mais quid du logiciel de pensée politique qui très en amont a rendu ces paroles possibles ? Et c'est à la gauche de gauche qu'il faudrait s'en prendre, celle qui défilait sous des banderoles abjectes affichant un signe = entre la Svastika et l'étoile juive dans des manifestations anti impérialistes des années 2000 ou en soutien à la « flottille pacifiste » en faveur de Gaza.
Ont-ils fait amende honorable les lecteurs éblouis de Stéphane Hessel ? Ont-ils su lire la haine suave du saint homme quand il s'indignait exclusivement des méfaits supposés d'Israël ? Ont-ils fait l'ombre d'un retour sur eux mêmes les Morin, Badiou ou Balibar ?
Rien n'est moins sur, tant la certitude mandarinale d'avoir raison constitue leur raison d'être. C'est à une révolution intellectuelle que nous obligent - à quel prix ! - les tueurs de Charlie et de l'hyper casher. Les mots de ce Coulibaly de Nice, confirment le diagnostic : ce fascisme d'aujourd'hui s'approprie le Coran pour s'y abriter et c'est cette imposture qu'il faut démasquer et combattre.
Ceux qui nous le demandent les premiers en ont été et en sont les premières victimes : ces intellectuels du Maghreb ou d'Arabie, assassinés, muselés ou condamnés au fouet pour l'avoir dit, bien avant ces intellectuels français installés dans leurs dogmes et leurs certitudes aveugles.
Source HuffingtonPost