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vendredi 12 décembre 2014

Paracha Vayechev : Interroger les songes


Quand bien même accorderions-nous une valeur significative aux rêves, ceux-ci demeurent néanmoins à nos yeux des récits insolites, souvent remarquables et parfois effrayants. Pourtant, quelques brefs regards dans les écrits traditionnels de la Halakha nous montrent l’importance que les décisionnaires pouvaient parfois leur attribuer...
 



Le thèmes de « Chéélat ‘Halom » est abordé avec le plus grand sérieux par les auteurs traditionnels. Cette « interrogation par le rêve » consiste en effet à jeûner, à s’épancher en prières et à se repentir plusieurs jours consécutifs, puis à formuler une question dont la réponse est transmise depuis le Ciel à travers un rêve. Or d’innombrables sources portent le témoignage de telles manifestations parfaitement authentiques qui furent prises en compte pour des implications rigoureusement concrètes et halakhiques.
C’est ainsi que dans le Séfer ‘Hassidim, oeuvre du très illustre rabbi Yehouda ha’Hassid (décédé en 1217), on peut lire les lignes suivantes : « Les ablutions à la fin du repas sont une obligation (…) et qui se montrerait permissif à leur sujet verrait les jours de sa vie livrés au laxisme. Telle est la réponse que l’on donna du Ciel au frère du Mordékhaï, au moyen d’une ‘chéélat ‘halom’ ».
Dans son Chem haGuedolim (notamment dans le Maarékhet guedolim, A, 199), le ‘Hida rapporte également plusieurs circonstances dans lesquelles des décisions halakhiques formelles furent confirmées ou infirmées suite aux révélations d’un rêve.

Il rapporte ainsi que le Radvaz (1479-1573) avait statué dans l’un de ses responsa qu’il était possible de modifier des Téfilines de Rabbénou Tam pour les adapter à l’opinion de Rachi. Or la nuit même, on lui révéla en rêve que cette décision n’était pas exacte, après quoi il dut se rétracter. « Vois la grandeur de nos Maîtres, poursuit le ‘Hida, qui à peine s’éloignaient-ils de la vérité qu’on se manifestait à eux en rêve, comme c’était courant du temps des Sages de la Michna et du Talmud ».
Il apparaît donc que, même bien après l’ère talmudique, des Sages et des décisionnaires tenaient compte des révélations qui leur apparaissaient en rêve. Toutefois, le ‘Hida fait lui-même remarquer que cette approche ne fait visiblement pas l’unanimité, et ce, en référence au passage du Traité talmudique Sanhédrin (voir notre article « Au-delà des rêves »). A cet égard, le Chakh, qui fut l’un des plus importants décisionnaires de notre ère, put déclarer en réponse à une décision provenant justement des révélations d’un rêve que ceux-ci « n’ont aucune incidence halakhique » !
Concluons par une petite anecdote remarquable dans laquelle le rav ‘Haïm de Volozhin, illustre disciple du Gaon de Vilna, prit parti de manière déroutante pour ce dernier point de vue…
Un marchand vint un jour relater au maître de Volozhin un rêve troublant qu’il avait eu la nuit précédente : il se voyait marcher en chemin, accompagné de charrettes chargées de marchandises, en route pour la foire annuelle. Son itinéraire le conduisait jusqu’à un pont traversant une large rivière, qu’il franchit. Mais soudain, le pont s’effondra et il tomba corps et biens dans les eaux profondes de ce grand torrent.
Emporté par le courant, il se vit périr…
Or il s’avérait que le marchand s’apprêtait précisément à se rendre à cette foire et qu’en outre, il connaissait parfaitement l’endroit de ce passage. Troublé par ces révélations nocturnes, il était donc venu demander conseil au rav, pour savoir comment réagir face à de telles circonstances.
Conformément aux conclusions de la Halakha, le rav ‘Haïm de Volozhin répondit à cet homme qu’il pouvait sans crainte se rendre à la foire comme il comptait le faire, dans la mesure où « les rêves n’ont absolument aucune incidence » ! Le marchand entreprit donc son voyage.

Il arriva au niveau du pont, le franchit et… le pont s’écroula, si bien qu’il périt, emporté par le courant de la rivière…
Lorsqu’on vint rapporter ces faits au rav ‘Haïm, il ne s’en émut aucunement ! Bien que déplorant le décès du pauvre marchand, il expliqua en effet que dans la mesure où la Halakha établit que les rêves n’ont aucune incidence, telle est donc la réalité des choses !

Par conséquent, ajouta-t-il, le fait que cet homme ait ainsi péri était totalement indépendant de son rêve et même s’il n’avait pas entrepris ce voyage, il serait aussi très certainement mort...

Par Yonathan Bendennoune

Source Chiourim