Médiapart a récemment publié un article rédigé par René Backmann et dont le titre est « L'armée israélienne est colonisée par les religieux ». L'auteur de cet article, très critique à l'encontre de la place que la religion est censée posséder dans l'armée israélienne, a commis deux erreurs. 1) Appliquer une conception européenne en général et française en particulier d'un sujet à propos d'un pays qui n'est pas la France et qui ne se trouve pas en Europe ; 2) Ignorer entièrement la région dans laquelle Israël évolue et qui permettrait de comprendre qu'au sein du Proche-Orient, l'État d'Israël ne dénote par rapport à ses voisins...analyse...
Une vision française pour un pays qui ne l'est pas
La France possède une histoire spécifique des relations entre l'État et les religions. Le contexte est propre à la France (l'héritage de la Révolution) et le tissu social l'est également (en 1910, 90% de la population française était chrétienne).
Depuis plusieurs années, le débat – en France – à propos de la laïcité évolue d'une façon qui laisse de moins en moins d'espace de vie aux personnes croyantes (particulièrement – ce qui n'est sans doute pas un hasard – si elles ne sont pas chrétiennes, mais juives ou musulmanes).
Ainsi, penser à un facteur qui délivrerait le courrier en portant une kippa ou à une policière munie d'un turban est impossible au pays des droits de l'homme. Beaucoup trouvent cela normal, d'autres regrettent qu'on excluent de l'espace public des individus qui n'ont rien fait de répréhensible. Dans tous les cas, il revient à chaque français(e) de choisir le type de société qui lui convient, même si cela peut être fait au détriment d'autres individus.
On ne devrait pas avoir de difficulté à imaginer que ce portrait de la France et de la laïcité ne correspond pas à l'État d'Israël. Essayer de comprendre le peuple juif, composante principale de l'État d'Israël, en ignorant le Judaïsme est l'équivalent d'essayer de comprendre le peuple arabe sans aborder l'Islam : dans les deux cas, on est voué à l'échec.
Ainsi, plutôt que d'avoir utilisé un titre au goût douteux (« L'armée israélienne est colonisée par les religieux »), il aurait été préférable de rappeler que l'armée d'Israël est un armée de conscription (ce qui est une différence supplémentaire par rapport à la situation française.) Est-ce donc si étonnant que celle-ci soit le reflet de la société israélienne ?
De fait, si l'on tient compte du nombre de députés juifs religieux au Parlement israélien, on peut estimer qu'un minimum de 25% d'israéliens sont religieux, d'une façon ou d'une autre. C'est sans doute le poids que représentent les Juifs religieux au sein de l'armée israélienne ; est-ce si étonnant que cela ?
Si en France, la religion est bien acceptée dans la mesure où elle se pratique chez soi, en Israël, on la voit de partout. Même si les Juifs sont bien sûr majoritaires en Israël – et c'est pour cela que l'on rencontre régulièrement des Juifs qui portent la kippa – on voit également beaucoup de Musulmans et Musulmanes religieux, des Chrétiens orthodoxes... Israël se trouve au Proche-Orient ; ne l'oublions pas.
On comprend donc l'erreur de René Backmann qui décrit « à la française » une situation qui en est très éloignée. On peut se poser la question si son intention ne consistait pas seulement à formuler une critique négative à l'encontre d'Israël, quitte à ignorer ce qui pourrait facilement le valoriser.
Par exemple, en conservant son mode de pensée « à la française », l'auteur aurait pu s'étonner qu'en Israël, les femmes musulmanes peuvent porter leur foulard : dans la rue, au travail, à l'université, à l'école... Selon l'auteur, n'y aurait-il pas là raison à s'écrier de la présence indue de la religion dans la sphère publique ? Également, il aurait pu s'étonner d'entendre aux quatre coins de rues l'appel à la prière des minarets. Cet appel « public » fait partie intégrante du mode de fonctionnement des Musulmans et peu, en Israël, trouvent une raison de le contester.
Ignorer entièrement le Proche-Orient
La deuxième erreur de René Backmann consiste à analyser un phénomène israélien...et uniquement celui-ci. Au Proche-Orient, la religion tient une place dominante dans toutes les sociétés, sans exception. Si ce sujet tient à cœur monsieur Backman, on attendra avec impatience ses articles sur un nombre important de pays - tous musulmans, à l'exception d'Israël – et sur la place que tient la religion dans l'armée de chacun.
Au-delà des armées, c'est de l'aspect religieux de l'ensemble de chacune de ces sociétés que monsieur Backman partagera certainement avec ses lecteurs et ses lectrices dans un avenir proche. Qu'il me permette une suggestion : afin de rester proche d'Israël – un sujet qui lui est si cher – il pourra nous informer de la situation à Gaza et en Judée-Samarie. S'il existe bien des endroits où la religion est importante, ce sont dans ces deux régions.
À Gaza, le Hamas représente un cas intéressant pour les relations entre la religion et l'État. De fait, la charte du Hamas commence par un verset du Coran dans lequel il est dit qu'il faut tuer les Juifs (et pas seulement tous les israéliens).
Diantre, cela devrait intéresser chaque journaliste qui se respecte ! Quitte à ne pas donner une excellente image du Hamas, l'enquête de monsieur Backmann sera sans aucun doute remplie de détails enrichissants. L'article à propose d'Israël nous a montré que René Backmann ne cherche pas toujours à ménager son sujet ; le Hamas ne devrait donc pas faire exception.
En Judée-Samarie, monsieur Backmann pourrait s'intéresser à la lettre de condoléances que Mahmoud Abbas – président de l'Autorité Palestinienne – a envoyée aux parents du Palestinien qui tiré de sang-froid sur un Juif qui quittait le lieu où il venait de participer à une conférence.
Dans cette lettre, Mahmoud Abbas qualifie le jeune palestinien de « martyr qui sera reçu au paradis.» Fichtre, il n'y a tout de même pas que la lettre d'un militaire israélien qui doit nous intéresser !
Beaucoup en Israël, n'ont guère apprécié cette lettre (imaginons que Nicolas Sarkozy ait envoyé une lettre de condoléances à la mère de Mohammed Merah !) Voilà un bel exemple d'analyse journalistique de mélange entre politique et religion. N'en doutons pas : monsieur Backmann nous en parlera bientôt.
Conclusion
J'ai expliqué les raisons pour lesquelles analyser les événements qui se déroulent en Israël selon des critères français et européens est souvent une erreur, particulièrement en matière de religion. Cependant, cette erreur serait fortement atténuée si les pays voisins de l'État hébreu étaient soumis à la même réflexion. Force est de constater qu'il en est rien.
Souvent, les israéliens estiment que l'intérêt qu'on leur porte est suspect. L'article de René Backmann en est un bon exemple ; il est regrettable de constater que le site de Médiapart lui ait ouvert ses colonnes.
À la lecture des nombreux commentaires que l'article en question a attiré– dont plusieurs ont été supprimés par la rédaction de Médiapart à cause d'antisémitisme, tandis que le ton nauséabond mais légal d'autres permet d'être encore lus – je ne doute pas qu'une proportion importante des abonné(e)s de Médiapart se soient régalés. Est-ce l'objectif de Médiapart ? Si cela est le cas, on peut dire qu'il a atteint son but. Tout de même, je trouve cela regrettable.
Par Lucas Martin
Source Blogs.mediapart