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vendredi 25 juillet 2014

Les Juifs de France face à la guerre en Israël


Quand l’opération Bordure protectrice touche Israël début juillet, temps des vacances, quand la France recommande à ses ressortissants de ne pas se rendre dans certaines des villes, quelle est l’attitude adoptée par les Juifs de France ? Comment se porte le tourisme ? Enquête contrastée au cœur du sujet... 

C’est un peu comme la phrase de Shakespeare dans la pièce de Hamlet Etre ou ne pas être. La question qui se pose ici serait plutôt « aller en Israël par temps de guerre ou ne pas y aller ? ». Montrer son soutien par une visite à l’Etat juif ou se sentir touriste inopportun dans un pays en crise ? Jusqu’où peut aller le militantisme sioniste ? L’amour pour Israël a-t-il des limites ? Car même la célèbre bulle qui captive toujours autant n’échappe désormais plus aux missiles…
 Mais c’est aussi en ces temps de crise qu’on évalue la solidité du lien et l’intensité de la solidarité des Juifs de France envers Israël. Pour Yonathan Arfi, vice-président du Crif, cet attachement est aussi familial, car nombreux sont les Juifs de l’Hexagone qui ont de la famille là-bas. Alors il n’y a pas à hésiter, il faut y aller, se rendre sur place pour montrer son soutien dans ces temps d’effroi. La consigne du Crif est claire par ailleurs : une délégation avec deux de ses membres est sur place avec des journalistes de la presse nationale. Pas une seconde il n’a été question de reporter le voyage ou de l’annuler. Et Arfi de conclure : « Les Israéliens ont pu constater que les Juifs de France ont toujours été là : que ce soit dans les périodes d’intifada ou de guerre. »

 Ecouter l’horloge de ses émotions

Sandrine Brauer est productrice du film de Ronit et Schlomi Elkabetz, Guett, qui doit être projeté au Festival du film de Jérusalem. Elle doit partir en Israël. Son débit est rapide au téléphone et l’on sent dans les inflexions de sa voix une certaine anxiété. Mais il lui paraît impensable d’annuler son voyage, car elle y va aussi pour retrouver Schlomi et Ronit avec qui elle est très liée, et dans les moments de crise ce sentiment de retrouvailles est encore exacerbé. « Je me sentirais culpabilisée si je restais car, au-delà de mon film et du festival, j’ai envie d’être avec ceux que j’aime. Si elle s’indigne contre ceux qui boycottent Israël, elle comprend très bien les émotifs et ceux qui, par peur, font marche arrière : « Il faut écouter l’horloge de son émotion et la suivre », note-t-elle. Et puis Sandrine Brauer a produit Testimony le film de Schlomi Elkabetz sur la paix, alors, pour elle, partir en Israël, c’est être en harmonie avec toutes ses croyances.
Et voilà nos purs et durs, un peu inconscients, un peu sur le fil du rasoir. Si on y regarde de près, quelque chose s’est rompu avec la France et ils ont trouvé en Israël un asile, une terre nourricière et protectrice. Leur amour pour l’Etat juif est sans limite. C’est le cas de Guy A., 60 ans ; après un divorce fracassant qui le met au bord de la ruine Guy A. se reconstruit tant bien que mal à Tel-Aviv et finit par tourner le dos à l’Hexagone, il y passe de moins en moins de temps. Il ne fait pas grand-chose de son quotidien, mais regarde les gens et les aime. Un peu donneur de leçon, il ne comprend pas qu’on ait peur et s’insurge, quitte à se fâcher avec des amis qui renoncent à voyager en Israël, repoussés par les pluies de missiles qui s’abattent sur le pays.

La guerre, c’est de l’adrénaline

Même attitude pour Linda qui fréquente un chef d’orchestre israélien et s’apprête à le retrouver entraînant dans son sillage une amie venue pour la première fois. Poussée par les ailes de Cupidon, elle ne semble écouter que son cœur. Sur place, elle a bien l’intention de se rendre à la mer Morte et de faire du tourisme. Mais peut-on aller tranquillement à la plage alors que le chaos est autour ?
Ludi Boeken est réalisateur, sa sœur et son frère vivent en Israël. Celui-ci, Bertrand, est professeur à l’université de Beersheva. Une maison touchée par un missile est voisine de la sienne. Ludi bout, pour l’instant, il est obligé de rester à Los Angeles. Il a renoncé à rejoindre son fils au Vietnam pour se rendre à Tel-Aviv au plus tôt. Pour lui, c’est sans débat, il n’a pas peur, même s’il ajoute, lucide : « Vouloir passer ses vacances sous les bombes, cela n’a pas de sens. Mais quand on doit y aller, alors on va, pas de débat. »
Johanna est journaliste dans une radio juive. Pour l’instant, on ne l’envoie pas en reportage, donc elle attend. Elle se rendra en Israël en vacances, chez elle, dans son joli appartement qui donne sur le Gan Meir. Pour elle, les guerres sont de l’adrénaline : elle était là pendant la guerre du Liban, à la frontière avec son micro. Et de souligner le courage des Juifs de France qui s’y rendent en délégation, pour soutenir le pays. Elle se souvient aussi de cet attentat rue de Rennes qui avait fauché une mère et sa fille qui fuyaient la guerre de leur pays… Sa conclusion : Il y a plus de chance d’être fauché par un accident de voiture que de recevoir un missile.
Pour elle, la grande vedette de cette guerre reste le Dôme de fer qui intercepte 90 % des rockets. Elle mettra fin à la conversation car sa fille l’appelle de l’abri où elle se trouve. Alors soudain, l’angoisse monte, sa voix n’est plus la même…

Mon amour pour Israël a ses limites

Myriam adore Israël, elle s’y rend depuis l’âge de 12 ans, elle en a 56. C’est son grand-père, un rescapé d’Auschwitz, qui l’y a amené : pour la première fois, Myriam avait vu la vie en couleur. Un sentiment très fort, qui vient de l’intérieur. Elle a plein d’amis israéliens, évite les Français et soutient aujourd’hui le Festival du film international de Jérusalem en sponsorisant le site internet au nom de son père. On peut le dire, c’est une militante.
Mais voilà, la peur de ses anciens démons la rattrape et entre sa mère, enfant cachée et hystérique, son mari un peu loin de ce pays et l’inquiétude de ses trois enfants, Myriam doit renoncer la veille à son voyage, elle qui a pourtant fait son aliya en décembre dernier et se déclare si fière d’être israélienne.
Elle se souvient de ses terreurs pendant la guerre du Liban. Myriam le sait, son angoisse est sans fond. Elle regarde I24News toute la journée, dort mal et se demande si elle n’aurait pas mieux fait de partir. Elle constate alors, au creux de ses nuits sans sommeil, que son amour pour Israël à des limites.
Même sentiment pour Carine qui, après avoir fait son aliya, a acheté un appartement dans le quartier branché telavivien de Shenkin. Elle est arrivée avant le début du déclenchement des opérations. Les missiles sur Tel-Aviv, elle n’avait jamais connu ça. Elle est terrorisée, renonce à dormir dans son si joli nid dont elle disait s’y sentir mieux que partout ailleurs, et annule tous ses projets pour reprendre un billet retour le plus vite possible, dans une panique totale, avec toutes sortes de projections et fantasmes qui la mettent au bord de la folie.
Dominique a elle aussi un appartement à Tel-Aviv, dans le quartier de Neve Tsedek. Elle y était en 2013, quand Tel-Aviv a connu sa première alerte pour un tir de roquette gazaoui, alors qu’elle était en train d’essayer un pantalon dans ce joli ce magasin. Ne sachant où se mettre à l’abri, elle a eu très peur. Elle s’est habituée et n’est pas rentrée. Pourtant, elle déconseille de venir, « ce n’est pas des vacances », note-t-elle.

L’arme fatale, le rire

Les Israéliens, ils vivent cela au quotidien, ils sont nés dans les guerres. Noémie, directrice d’une école de cinéma, déclare : « Nous traversons un terrible orage, je comprends qu’on ne vienne pas ». Idem pour Ruben, grand urologue à l’hôpital Ichilov : « Nous n’avons pas besoin de touristes en ce moment, c’est un souci en plus pour la sécurité et également pour nous médecins ». Ruben est trempé dans l’acier, pendant les alarmes, il lui arrive de ne pas se mettre à l’abri, las. Il rêve de se retrouver un instant au café de Flore à Paris ou dans un coin tranquille de la rue Vavin, près de Saint-Germain-des-Prés.
Lui, plutôt modéré, partage maintenant l’avis de beaucoup d’Israéliens : « Il faut en finir avec le Hamas, une bonne fois pour toutes et éliminer tout cet arsenal qui repousse comme les tentacules d’une pieuvre ». Sur la route qui le mène de Tel-Aviv à Jérusalem, il se compare à Cary Grant dans La Mort aux trousses, le chemin était semé d’alarmes de missiles. La peur ne l’habite pas, mais il la comprend. Et ajoute avec une pointe de malice et un rire dans la voix : « Ma cousine, la grande sioniste s’est dégonflée, elle préfère faire la guerre à Deauville. »
 Marta est née en Argentine et a émigré avec sa famille à Jérusalem. Aujourd’hui, elle a gardé un pied à terre dans la ville, mais réside à Paris avec son mari italien, célèbre journaliste. Elle passe seule le mois de juillet à Jérusalem pour visionner à la cinémathèque les films israéliens, pour le festival qu’elle organise en Italie.
Cette année, le cœur n’y est pas et elle raconte combien elle a été surprise par la première alarme chez des amis qui n’ont pas d’abri et se sont tous retrouvés dans la salle de bain. Elle ajoute aussi, avec beaucoup d’humour, que même si la chaleur de la nuit est étouffante, elle enfile un élégant pyjama, en cas d’alerte et de rencontre inopportune dans l’escalier avec les voisins. Elle ne rentrera pas, même si la peur la tenaille au ventre parfois. C’est son pays, et elle a déjà vécu d’autres situations dramatiques : petite, pendant la guerre de Kippour, ils étaient obligés de vivre les fenêtres fermées.

Un tourisme affectif

N’espérez pas trouver de la langue de bois dans la bouche de Laurent Ghanassia, directeur marketing de l’office du tourisme israélien. Cependant, alors que les missiles pleuvent sur tout le pays, il est étonnant de lire dans leur communiqué adressé à la presse les déclarations suivantes : « Les secteurs, sites et attractions touristiques officiels restent ouverts au grand public et leur activité est inchangée. L’impact sur le tourisme en Israël demeure minime à ce stade. A l’heure actuelle plus de 100 000 touristes étrangers passent leurs vacances en Israël, en profitant des nombreuses attractions et activités qu’offre le pays. »
Et d’ajouter : « Nous avons un groupe de pèlerins, parti ce matin. Comme leur destination est autour de Tibériade et du Nord, ils n’ont aucune crainte, certains sont guidés par une foi assez étonnante. »
Du côté des agences de voyage, la tendance est duelle : en ces temps de crise, beaucoup d’Israéliens renoncent à leur séjour à l’étranger pour rester auprès de leur famille. Et les touristes étrangers sont aussi nombreux à vouloir repartir plus tôt. Les hôtels en prennent pour leur grade qui constatent un nombre élevé d’annulations.
 Et Ghanassia de conclure : « C’est un tourisme affectif qui se met en place, ceux qui rejoignent leur famille ». Lui-même enverra dans deux semaines ses deux grands enfants.
 Il a fallu un certain temps pour pouvoir joindre la directrice commerciale d’El Al, Yaël Kalif, au bureau parisien. Ici c’est le chaos complet et la société doit faire face à de multiples appels de clients inquiets. La même question revient : un missile peut-il toucher un avion, l’aéroport peut-il être bombardé ?
 Patiemment, Yaël rassure et explique : les avions d’El Al
– les seuls au monde peut-être – ont un logiciel antimissiles. Et la sécurité de l’aéroport est gérée par l’armée.

Pour l’heure, El Al n’enregistre pas trop d’annulations et tous les vols sont maintenus. Quant à ceux qui préfèrent renoncer, la compagnie rembourse le billet quel que soit celui-ci. Les consignes de la compagnie israélienne sont claires : faire comme d’habitude et être le plus serein possible. Ce qui n’est pas toujours facile, surtout pour Yaël, Israélienne dont les deux enfants ont été appelés par l’armée.

Source JerusalemPost