Quiconque visite Israël ces jours-ci est susceptible d’observer un étrange rituel : le 28 avril, à 10 heures du matin, des sirènes retentiront dans tout le pays, signale d’un arrêt de toute activité pendant 2 minutes. Les bus, les voitures, les camions, s’arrêtent dans leur élan. Les gens s’immobilisent. A la maison, dans les cafés et les magasins, tout le monde cesse de parler et se met debout en silence. Cette même scène immobile se répète six jours plus tard, le soir à 20 heures, et encore le jour suivant à 10 heures...
Les sirènes commémorent ceux dont la mort a conduit à l’établissement de l’Etat juif et a permis sa survie : les six millions de Juifs assassinés par les Nazis, et les dizaines de milliers d’Israéliens, pour la plupart des soldats, tués dans les guerres israélo-arabes et les attaques terroristes.
En ces journées de recueillement, les chaînes de télévision et les stations de radio diffusent en continu des programmes sur la Shoah et les guerres israélo-arabes, et une musique solennelle flotte dans l’air. Des cérémonies sont organisées dans toutes les écoles, et même dans les petites classes, on demande aux enfants de se tenir debout une minute ou deux.
Comment explique-t-on ces rituels aux jeunes enfants? Globalement, on ne le fait pas. Lorsque ma fille a eu 4 ou 5 ans, elle est revenu de la maternelle un jour et m’a lancé: ‘’On nous a dit que ça serait difficile, je ne sais pas pourquoi. Je me suis tenue debout en silence quand la maîtresse nous l’a dit et ce n’était pas difficile du tout".
Mais la semaine dernière, le ministre israélien de l’Education Shaï Peron a introduit un programme d’enseignement de la Shoah obligatoire pour tout le système éducatif, depuis la maternelle. On nous explique que parler de la Shoah aux enfants des petites classes était “raisonnable”, mais qu’est-ce que cela signifie? Pourquoi commencer à enseigner ce sujet à un si jeune âge? Et plus inquiétant encore, quelles leçons les enfants vont-ils retenir de ces cours?
Que tout le monde est contre nous, et que c’est pour cela que nous devons être armés jusqu’aux dents pour pouvoir vaincre les méchants?
Et pourquoi de jeunes enfants si impressionnables devraient porter sur leurs épaules tant de tristesse et d’horreurs? Les enfants ont en eux toutes sortes de peurs irrationnelles; ils peuvent s’imaginer qu’il a y des monstres et des serpents dans leurs lits, qu’il y a des épouvantails dans un coin de la chambre... Notre mission est de leur transmettre la croyance que “tout ira bien” et de les sécuriser.
Pour justifier le projet du ministre de l’Education, on avance que les enfants sont exposés aux événements de commémoration dans tous les cas, qu’ils entendent les discussions de leurs frères, de leurs soeurs et de leurs parents, et que les enseignants doivent savoir comment gérer ces questions. C’est vrai, les enseignants doivent être préparés, au cas où, mais pourquoi accabler les enfants?
En grandissant, les enfants s’identifient avec des héros, pas avec des morts. Ils ont besoin de se sentir protégés, pas victimisés et persécutés. Il est difficile de transformer la Shoah en une histoire où le bien triomphe du mal. On peut raconter aux enfants des histoires de héros juifs de la Seconde guerre mondiale, mais ça ne répond pas à la réalité complexe de la destruction de masse d’un peuple tout entier, un concept que les adultes aussi, peuvent avoir du mal à saisir.
Il y a quelques années, le président français Nicolas Sarkozy avait souhaité introduire un programme d’enseignement de la Shoah pour les enfants de 10 ans et plus, présentant ce projet comme “notre plus grande arme contre le racisme et l’antisémitisme” et comme “la seule protection contre la répétition de ces événements.” Il était demandé à chaque enfant “d’adopter” un enfant de son âge qui avait péri dans la Shoah. Le projet avait suscité de nombreuses critiques de la part des éducateurs et des psychologues. Mais l’un de ses plus marquants opposants fut une survivante d’Auschwitz; l’ancienne Présidente du Parlement européen, et ancienne ministre de la Santé, Simone Veil. “Vous ne pouvez pas demander à un enfant de s’identifier à un enfant mort. Le poids de cette mémoire est trop lourd à supporter” avait-t-elle affirmé à l’époque.
La rationalité du programme israélien est quelque peu différente. “La génération des survivants de la Shoah disparaît peu à peu, la mémoire des morts doit donc être enseignée aux plus jeunes générations” explique Shaï Peron. L’Holocauste sera introduit petit à petit : à la maternelle, on ne l’enseignera que le Jour de Yom HaShoah, puis son enseignement s’étendra à mesure que l’enfant grandira.
Actuellement, les écoliers d’Israël apprennent la Shoah en bonne et due forme uniquement au niveau de la seconde et de la première, et nombreux partent pour un long week-end visiter les sites de camps nazis en Pologne. Les détracteurs de ce programme considèrent que celui-ci est trop étroitement focalisé sur les horreurs infligées aux Juifs et ne permet d’enseigner un message plus universel et plus humain. Un tel message est plus difficile à saisir pour les enfants, en particulier en bas âge. Expliquer à un enfant que la leçon de la Shoah vise à s’assurer que ces horreurs ne se reproduiront plus - pour les Juifs, comme pour n’importe quel peuple - est plus complexe.
Le danger est que les enfants retiennent de cet enseignement, une leçon simpliste qui nourrit un sentiment de victimisation déjà ressenti par de nombreux adultes en Israël, et alimenté par un trop grand nombre de personnes occupant des postes à haute responsabilité. Ce sentiment de victimisation perpétue une mentalité qui prône un “Israël forteresse”, avec toutes ses implications, qui pourrait transmettre à travers le temps un message de terreur et de peur, plutôt que la tolérance et l’espoir.
Source I24News