Israël vit toujours dans l’illusion d’une immigration de masse depuis la France, presque à l’égale de celle venue de l’ex-URSS dans les années 1990. Amener 40.000 Juifs français à rejoindre l’État hébreu, comme l'ambitionne le gouvernement israélien, qui, selon le quotidien Maariv du 31 janvier, veut faire venir près de 10% de la communauté juive française en Israël dans un délai de quatre ans, reste cependant un fantasme.
L’idée est simple, voire simplissime. Exploiter la furie d’un clown antisémite comme Dieudonné pour faire croire à une panique généralisée dans la communauté juive de France et pousser les Juifs à fuir un pays où ils sont intégrés et où ils jouissent de tous les droits. La France condamne et combat pourtant les dérives d’un autre temps, du temps de la haine organisée.
Elle n’est pas la Tunisie, qui a laissé partir ses 100.000 Juifs en trois vagues successives en 1956, en 1962 et en 1967. Elle n'est pas l’Égypte, qui a expulsé en quelques semaines en 1956, après l’avoir rackettée, la fine fleur du judaïsme séfarade et ashkénaze, qui vivait en bonne entente avec les Égyptiens «de souche» et dont le départ a signé le début de la récession économique du pays après la fuite de nombreux commerçants et industriels.
Bien sûr reste vivace en Israël le miracle de l’arrivée de près d’un million de Juifs russes qui ont échappé à un antisémitisme d’État, qui n’avaient pas la liberté de culte, qui n’avaient pas le droit de développer et promouvoir leur culture juive et qui étaient victimes de numerus clausus pour faire des études et dans la plupart des professions.
Le parallèle avec l'URSS sans signification
Mais le parallèle entre la France et l’URSS n’a aucun sens et le sentiment d’urgence est particulièrement exagéré. Illustration: jusqu’alors, un organisme israélien, l’Agence juive, était chargé de la propagande et de l’organisation des départs vers Israël. À présent, le gouvernement lui-même a décidé de légiférer en raison d’une situation qu’il juge critique. Il estime devoir «réduire le processus bureaucratique pour faciliter l’absorption» d'au moins 6.000 Juifs français supplémentaires par an.
Reste à savoir si cette volonté de propagande du gouvernement israélien, et dans une certaine mesure de provocation, peut vraiment favoriser «l’alyah», ou la montée des Juifs français vers Israël. Car en s’appuyant sur quelques cas isolés d’attaques antisémites et en médiatisant le fait qu’Israël est le refuge des Juifs français, cela peut envenimer les relations diplomatiques plutôt bonnes avec la France et mettre la communauté juive française en porte-à-faux.
Maariv appuie la thèse gouvernementale et estime que les Juifs pourraient fuir en masse la France vers Israël, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada en raison d’une «situation économique difficile, de l’augmentation des impôts et de la montée de l’antisémitisme». Il s’appuie pour cela sur la manifestation à Paris du «Jour de colère», qui a dégénéré par moments en défilé antisémite.
Mais admettons même que les Juifs français prennent peur: la destination préférée de ces immigrants ne sera sans doute pas Israël car les difficultés d’intégration sont énormes. La langue, l’emploi, la reconnaissance des diplômes français et le logement sont des freins importants. Près de 25% des immigrants français réintègrent leur pays d’origine après un échec d’intégration.
Frapper fort
En tout cas, pour attirer des immigrants en Israël, Benjamin Netanyahou a décidé de frapper fort. Dans une première étape, il a décidé d'augmenter la propagande en France grâce à trois nouveaux envoyés à l’Agence juive, trois nouveaux diplomates à l’ambassade israélienne et plusieurs jeunes émissaires qui sillonneront les écoles françaises. Des professeurs seront détachés pour l’enseignement de l’hébreu en France et pour sensibiliser les Juifs à l’idéal sioniste.
Et dans une deuxième étape, sur place en Israël, des fonctionnaires seront chargés de l’intégration des nouveaux immigrants «afin de s'assurer qu'ils trouveront un emploi, un logement pour les empêcher de retourner en France», où les avantages sociaux ne sont pas comparables. Pour que l’Alyah réussisse, il faut que les candidats en aient fait le choix, plus par idéal que par obligation, avec tous les sacrifices que cela implique. Aujourd’hui, rien n’est encore fait pour reconnaitre les diplômes français des «médecins, des avocats, des thérapeutes de toutes sortes et autres diplômés».
En impliquant dans le projet trois de ses principaux ministres, Yaïr Shamir (Agriculture), Uzi Landau (Tourisme) et Danny Danon (Défense), le gouvernement a décidé volontairement de politiser le débat, avec le risque d’indisposer la France au moment où Israël est isolé diplomatiquement à la suite de l’accord de la communauté internationale avec l’Iran sur son programme nucléaire.
Une stratégie déjà adoptée en 2004
Ce n’est pas d’ailleurs une nouveauté pour un gouvernement israélien. Ariel Sharon avait également provoqué l’indignation en France en 2004 lorsqu’il avait appelé publiquement les Juifs de France à venir s’installer en Israël «aussi vite que possible en raison de l’augmentation de l’antisémitisme dans leur pays». Le Premier ministre israélien avait à l’époque provoqué stupeur et indignation, poussant le ministère français des Affaires étrangères à demander des «explications au sujet de ces propos inacceptables» tandis que les principales institutions juives de France avaient dénoncé de telles déclarations.
Elles s’étaient alors élevées contre la notion même de Juifs de France: «Parler de Juifs de France, cela ne veut rien dire, il y a des citoyens français qui sont juifs comme d’autres ont une autre religion.» Selon elles, l’appel à l’immigration lancé par Ariel Sharon jetait «de l’huile sur le feu de façon inacceptable».
Sans aucun doute, l’augmentation du nombre d’actes à caractère antisémite inquiète la communauté juive mais elle inquiète aussi les autorités françaises. La lutte contre ce phénomène fait partie des priorités du gouvernement Ayrault et de Manuel Valls.
Sans esquiver le risque d’une panique au sein de la communauté juive, ces propos pourraient être considérés comme un comportement inamical du gouvernement israélien. C’est à se demander si la cellule communication de Benjamin Netanyahou agit en toute connaissance de cause.Source Slate