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dimanche 5 janvier 2014

Rabbi David Abouhatseira parle de son grand père Baba Salé


A l’occasion de la 27e Hilloula de Baba Salé qui a lieu le 4 Chevat (rabbi Israël Abou’hatsira), son petit-fils, le rav David ‘Haï Abou’hatsira chlita de Naharya avait accepté de rédiger, un texte dans lequel il nous faisait partager quelques pensées et souvenirs forts qu’il conservait de son illustre et vénéré grand-père. Voici donc de larges extraits de ce texte inédit - intitulé « Israël ! C’est par toi que Je Me couvre de gloire ! »


« Nous savons que lors des six jours de la Création, le Saint béni soit-Il créa une Lumière d’une intensité formidable, le « Or ha- Ganouz », mais Il la dissimula au coeur de sa Torah. Mon grand-père, que son mérite soit pour nous une bénédiction, voyait des choses qui échappent totalement à notre perception. Cette extraordinaire « vision » était due au fait qu’il s’absorbait dans l’étude de la Torah corps et âme, littéralement de toutes ses forces. C’est elle qui l’illuminait de cette lumière ardente, et qui lui permettait de voir ces choses imperceptibles au commun des hommes.
Mon grand-père était aussi un homme qui avait acquis une maîtrise de soi parfaite, si bien qu’un grand nombre de ses attitudes pouvaient sembler, à nos yeux, surnaturelles. Il pouvait ainsi se consacrer jour et nuit à la Torah et aux prières, à des jeûnes qui pouvaient même se prolonger pendant six jours consécutifs. Il s’adonnait aussi à des mortifications pénibles et il réalisait de nombreux « tikounim » [pratiques d’amendement cabalistiques] sans jamais manifester la plus petite gêne, comme s’il était un ange insensible aux réalités du corps.

La force du Juste

Nos Sages évoquent l’idée suivante : « Le Saint béni soit-Il vit que les Justes seraient peu nombreux, Il les ‘repiqua’ dans chaque génération… ». Rav Méïr Shapira de Lublin expliquait que cette parabole est à prendre au pied de la lettre. De la même manière que l’on cultive des graines dans des serres pour ensuite les « repiquer » ailleurs, ainsi le Saint béni soit-Il agit avec Ses Justes : pour leur permettre de se développer spirituellement, D.ieu fait grandir les Justes dans les « serres » des anciennes générations, et les repique ensuite dans des époques moins éminentes. C’est pourquoi nous trouvons jusqu’à nos jours des hommes, tels mon grand-père, d’une dimension qui nous dépasse totalement, dont le corps est déposé ici-bas mais dont l’esprit appartient à la spiritualité d’un autre temps.
 
En progrès constant

Chez mon grand-père zatsal, le service du Créateur se concevait comme un perpétuel mouvement vers l’avant. D’un degré spirituel à l’autre, il découvrait chaque jour une nouvelle proximité du Saint béni soit-Il, ne s’accordant jamais le moindre répit. C’est en ce sens que l’homme est qualifié d’être qui « avance », comme le soulignent les versets : « J’avancerai devant l’Éternel dans la terre des vivants » (Psaumes 116, 9) ou encore : « Heureux ceux dont la voie est intègre, qui avancent au gré de la Torah de D.ieu » (ibid. 119, 1). Dans cet ordre d’idée, le Noam Elimélekh expliquait l’enseignement de nos Sages : « Celui qui accomplit une bonne action sans se déplacer, aura la récompense de son acte » (Maximes des Pères). Or de prime abord, quelle importance y a-t-il à « se rendre » à l’endroit d’une mitsva ? L’essentiel n’est-il pas que l’acte soit finalement accompli ? La réponse est que lorsqu’un homme, après avoir accompli une mitsva, continue à stagner sans « aller de l’avant », on peut être sûr que son unique intention était d’en percevoir une récompense. C’est pourquoi cet homme n’aura que la « récompense de son acte », sans qu’aucun progrès sensible ne survienne en lui. Chez mon grand-père en revanche, on pouvait ressentir l’élévation constante jusqu’à son dernier souffle. Chaque prière qu’il prononçait, chaque instant qu’il consacrait à l’étude était le reflet d’une intensité jamais atténuée. Jusqu’à son dernier jour, il consacra aussi une immense énergie à honorer la mémoire des Justes des générations passées, par des festins de Hilloula dans lesquels la sainteté était réellement palpable. En ces occasions, il parlait longuement de la personnalité du Juste dont le souvenir était commémoré, de sa manière de servir le Créateur et de ses enseignements propres. Ces évocations étaient si vivantes que l’on aurait pu sentir l’âme du Juste prendre elle aussi part aux festivités. De même, lorsque des érudits se présentaient chez lui, il leur manifestait les plus grands honneurs, et leur offrait tout ce qu’il possédait, à proprement parler. Je me souviens encore d’un jour où un Gadol de la génération précédente lui avait rendu visite pour solliciter son aide : mon grandpère zatsal avait entièrement vidé le contenu de son tiroir et lui avait donné jusqu’à la dernière pièce qu’il y trouva ! Il demanda ensuite qu’on donne à ce rav tout l’argent de son sac et vers la fin du repas, il avait même retourné ses poches pour ne pas manquer de lui donner jusqu’à son dernier sou ! Les personnes présentes en étaient sorties stupéfaites. L’amour du prochain qui l’animait était tout autant exceptionnel : il priait du fond de son coeur pour chaque Juif qui venait le solliciter, sans épargner larmes et supplications. Et pour les situations les plus tragiques, il jeûnait et redoublait ses prières jusqu’à ce que la personne éprouvée soit délivrée de ses tourments.
 
La force et l’humilité

Il nous était difficile de regarder mon grand-père en face, tant son visage inspirait la crainte. Ses yeux brillaient de mille éclats, son visage resplendissait d’une formidable aura. En revanche, lorsqu’il commençait ses prières, tout son corps était saisi de tremblements, preuves de la profonde crainte du Ciel qui l’habitait. Il incarnait ainsi la force et la dignité conjuguées à la crainte et l’humilité. Ces deux aspects de sa personnalité sont en réalité parfaitement complémentaires : lorsque l’on atteint une haute perception du Saint béni soit-Il, on ne peut qu’être envahi d’humilité. Et inversement, lorsqu’un homme réalise la petitesse de sa condition, il mérite alors de connaître une formidable proximité de son Créateur. Ceci est en fait l’un des plus profonds aspects de la personnalité de mon grand-père : parce qu’il se rabaissait devant son Créateur et se soumettait à Lui de tout son être pour intercéder en faveur de ses frères juifs, il accéda à des dimensions inouïes grâce auxquelles « il ordonnait et ses désirs s’accomplissaient ».
 
Le saint Chabbat

Il m’est vraiment difficile de décrire par des mots l’impression que me laissait chaque Chabbat vécu auprès de mon grand-père zatsal. Le lever avant l’aube aussitôt suivi de la lecture dans un Séfer Torah de la paracha et du targoum, puis l’étude du Zohar et des grands ouvrages de Kabala apportaient à ces moments une indicible sainteté. Aux alentours de midi, il allait se tremper dans le mikvé. Ce moment revêtait alors une grande austérité : l’immersion se déroulait dans une atmosphère tendue, chacun voyait comment le Tsadik purifiait son âme et son corps et nul n’osait émettre le moindre son.
Les repas de Chabbat se conformaient au rythme qu’il imposait : à son signe, les plats étaient posés à table et chaque séouda était ponctuée de paroles de Torah. Lui-même s’asseyait à l’écart des autres convives, sur la table de son grand-père Rabbi Yaacov Abou’hatséra, le saint « Abir Yaacov », reçue en héritage de son père. Les plats qu’il consommait étaient eux aussi préparés et cuits séparément, dans des casseroles réservées à cet effet. Telles étaient ses exigences, et « le secret de D.ieu appartient à ceux qui Le craignent ».
Cependant, l’instant le plus crucial des repas était assurément celui du birkat hamazone. Bien que mon grand-père ne mangeât que de manière très frugale, il s’efforçait cependant de consommer alors une certaine quantité de pain. Et ceci en l’honneur du saint Chabbat, seulement pour avoir l’obligation de prononcer la bénédiction de grâce ! On le voyait alors se rasseoir et disposer chaque membre de son corps de manière à pouvoir orienter ses saintes pensées vers la prière. Une vive émotion s’emparait alors de l’assistance entière, alors que tous les yeux se rivaient sur le saint homme. Chaque mot de sa prière était pesé, et celle-ci s’étendait sur une durée de temps qui semblait ne devoir jamais s’arrêter. Après le repas, beaucoup restaient assis à table pour voir le maître se plonger dans l’étude de la Torah, notamment dans le « Or ha’Haïm » et le « Ma’hsof haLavan », oeuvre de son grand-père le Abir Yaacov et encore d’autres livres de Kabale.
 
Une générosité hors norme

Les nombreuses biographies qui ont vu le jour sur mon grand-père zatsal insistent sur son incroyable générosité, et de fait, il suffit d’avoir vécu un tant soit peu à ses côtés pour comprendre ce que signifie réellement la Tsédaka. Pour soutenir les pauvres et tous ceux qui réclamaient son aide, il n’hésitait pas à se démunir intégralement. Et lorsqu’il ne lui restait plus d’argent, il contractait même des prêts dans des proportions difficilement descriptibles pour apporter un peu d’aide aux indigents. Que ce soit le Chabbat, un jour de fête ou même un Roch ‘Hodech, chaque occasion était bonne pour redoubler ces témoignages de générosité. En réalité, toute sa vie durant, il ne cessa jamais de défendre ses frères juifs et de témoigner en leur faveur. Et je suis même certain qu’il se tient encore aujourd’hui devant le Trône céleste pour implorer et intercéder en faveur du peuple juif.
Mon père et mon grand-père, de mémoire bénie, évoquaient souvent à cet égard le célèbre principe talmudique : « Il n’y a dans la généralité que ce qu’il y a chez le particulier » – autrement dit, chez le peuple juif, la dimension de l’individu autonome n’existe pas : chaque Juif incarne par essence une parcelle du peuple juif dans son intégrité ! Et c’est la conscience de cette union qui incitait ainsi mon grand-père à se soucier de chaque Juif quel qu’il soit, à s’efforcer de le rapprocher de la tradition de ses ancêtres, et à lui accorder toutes ses bénédictions.

Source Chiourim